Accepter un mandat – une question d’intégrité…et de moyens

Embellir un curriculum vitæ pour obtenir un mandat, ou encore accepter un mandat et ne pas disposer des moyens pour l’exécuter est un manque d’intégrité qui mine la confiance du public envers la profession.

Cet article s’inscrit dans la collection « Éthique et Déontologie ».

Par Me Martine Gervais, avocate et Philippe-André Ménard, ing.


Dans une récente décision1, le Conseil de discipline de l’Ordre des ingénieurs du Québec (CDOIQ) a rappelé qu’une ingénieure ou un ingénieur ne doit pas accepter n’importe quel mandat qu’on lui propose:

  • « [46] L’article 3.01.01 du Code de déontologie est ainsi libellé :
  • « 3.01.01. Avant d’accepter un mandat, l’ingénieur doit tenir compte des limites de ses connaissances et de ses aptitudes ainsi que des moyens dont il peut disposer pour l’exécuter. »
  • « [47] Nous sommes au cœur même de l’exercice de la profession. Un manquement à cet égard est grave.

Le public est en droit de s’attendre à ce qu’un ingénieur détienne les compétences nécessaires pour exécuter tous les mandats qu’il accepte. »

  • « [54] Peu importe son bagage d’expérience, l’ingénieur doit demeurer dans son champ de compétence. »
  • « [57] […] Le public est en droit de s’attendre à ce que le professionnel qu’il mandate soit apte à poser les gestes professionnels exigés par le mandat. Il en va de la confiance du public.»

L’intégrité dans la sollicitation

Avant même d’accepter ou non un mandat, il est important d’aborder la question de la sollicitation, particulièrement en ce qui a trait à l’expertise mise de l’avant par l’ingénieure ou l’ingénieur auprès de ses clients potentiels.

Mais d’abord, rappelons qu’en ingénierie, la notion de « spécialiste » n’existe pas2, contrairement à d’autres professions comme la médecine (par exemple : radiologiste, pédiatre, cardiologue, etc.).

Par ailleurs, attention à la publicité trompeuse. À ce sujet, l’article 5.01.01 du Code de déontologie des ingénieurs mentionne ceci :

  • « L’ingénieur ne doit pas faire, par quelque moyen que ce soit et en toutes circonstances, de la publicité ou de la représentation fausse, trompeuse, incomplète ou susceptible d’induire en erreur, par rapport à ses activités et services professionnels. »

Par exemple, mentionner une équipe de collaboratrices ou de collaborateurs alors que l’on travaille seul ou encore multiplier des expériences prestigieuses alors que notre contribution y était marginale serait faire preuve d’un manque d’intégrité.

En fait, il appartient à l’ingénieure ou à l’ingénieur de juger s’il possède l’expérience, les aptitudes et les connaissances pour lui permettre d’effectuer le mandat sollicité ou proposé. Bien sûr, son champ de pratique peut s’étendre au-delà de sa formation universitaire initiale ; s’y ajoutent ses expériences pertinentes, ses réalisations, et les connaissances et compétences acquises par des activités de formation continue. Mais une simple énumération de projets ou de réalisations dans un curriculum vitæ ne fait pas foi de tout : il faut indiquer quelle a été sa contribution spécifique, quels sont ses apprentissages particuliers et les habiletés acquises dans la réalisation de ces projets.

 

Les moyens propices à la réalisation

Avant d’accepter le mandat, l’ingénieure ou l’ingénieur doit s’assurer d’avoir les moyens nécessaires pour le réaliser. Est-ce que le temps alloué est raisonnable? Est-ce que les ressources requises sont suffisantes (humaines, matérielles, financières) ? Est-ce que le client a fourni tous les intrants nécessaires (plan d’architecture, rapport géotechnique) ? Est-ce que les autorisations légalement requises ont été obtenues ?

De plus, il arrive que certains aspects d’un mandat requièrent une expertise particulière que l’ingénieure ou l’ingénieur ne possède pas. Dans un tel cas, l’ingénieure ou l’ingénieur devra avoir l’humilité de reconnaître ses limites et avoir recours aux services de consœurs ou de confrères qui possèdent cette expertise particulière. Cependant, rappelons qu’il faudra que l’offre de service précise les aspects du mandat qui seront sous la responsabilité de ces autres personnes et que le client y consente et accepte les modalités afférentes3.

La confiance du public envers la profession se bâtit un mandat à la fois. Cela commence par de justes représentations lors de la sollicitation et se poursuit en cours de réalisation par la mise en place des moyens nécessaires. À tout moment, la transparence envers les clients est de mise. Il en va de l’honneur et de la dignité de la profession.

 

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  1. CDOIQ 22-20-0619S, Ingénieurs c. C.R. Roy, p. 12 et 14.
  2. Voir l’article 58 du Code des professions : « […] Un professionnel ne peut se qualifier de spécialiste s’il n’est titulaire d’un certificat de spécialiste. »
  3. Voici ce que précise l’article 3.01.02 du Code de déontologie des ingénieurs à ce sujet : « S’il y va de l’intérêt de son client, l’ingénieur retient les services d’experts après avoir obtenu l’autorisation de son client ou avise ce dernier de les retenir lui-même. »

 


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