2 août 2022

Gestion des risques et inspection professionnelle

Parce qu’ils sont souvent au coeur des projets de développement d’une entreprise, les ingénieurs et ingénieures ont le devoir de mettre en œuvre différents mécanismes pour réduire les risques. C’est pourquoi les inspecteurs et inspectrices de l’Ordre des ingénieurs du Québec veillent au grain. Lorsqu’ils évaluent les compétences des membres, ils attachent beaucoup d’importance à cet aspect de leur pratique.

Par Mélanie Larouche


Que ce soit en usine, sur les chantiers ou dans les bureaux, les risques sont partout et de tous ordres : opérationnels, environnementaux, financiers, etc. Limiter l’ensemble de ces risques exige une gestion serrée, en amont comme en aval d’un projet.

« La gestion des risques est un volet sur lequel l’Ordre insiste beaucoup, particulièrement dans les domaines des équipements industriels et de la sécurité des machines, souligne Marc Bellerive, ing., inspecteur à la surveillance de l’exercice à l’Ordre des ingénieurs du Québec. J’aime rappeler aux membres que je rencontre dans le cadre de mes inspections qu’il en coûte bien moins cher de régler un problème au moment de la conception d’un projet plutôt qu’au cours de sa réalisation. On doit tous et toutes faire de la gestion de risques, c’est incontournable. À l’Ordre, nous préconisons des méthodes pratiques connues en ingénierie, mais nous en suggérons aussi différents modèles dans le Guide de pratique professionnelle (GPP), dans la section portant sur la gestion des risques. »

J’aime rappeler aux membres que je rencontre qu’il en coûte bien moins cher de régler un problème dès la conception d’un projet plutôt qu’au cours de sa réalisation.

— Marc Bellerive, ing. — Ordre des ingénieurs du Québec

 

Les personnes chargées de la surveillance de l’exercice ont la tâche de veiller à ce que les membres exercent selon les meilleures pratiques de la profession; ces inspecteurs et inspectrices évaluent la compétence professionnelle des membres et vérifient si leur travail est conforme aux lois, règlements et normes en vigueur. Pour ce faire, ils les rencontrent sporadiquement au cours de leur cheminement professionnel.

 

Préparer la rencontre d’inspection

Expert dans l’inspection en automatisation des machines et des procédés, Réjean Daudelin, ing., précise que les deux parties doivent prendre le temps de se préparer à cette rencontre. « Dans un premier temps, on discute un peu avec l’ingénieur ou l’ingénieure lors de la prise du rendez-vous ; on valide quelles sont les tâches de cette personne pour s’assurer que l’on est l’inspecteur qui convient et que notre expertise et notre expérience se rapprochent le plus possible de sa pratique. Par la suite, on fait nos propres recherches au sujet de l’entreprise, ce qu’elle fait, à quelles clientèles elle s’adresse ; on visite le site Web pour être prêts pour la rencontre. De son côté, la personne faisant l’objet de l’inspection a quelques documents à préparer pour ce rendez-vous. »

Ces documents sont au nombre de quatre. Le premier, et non le moindre, consiste en un formulaire de préinspection dans lequel l’ingénieur ou l’ingénieure décrit l’entreprise qui l’emploie, ses fonctions et ses tâches ; il ou elle doit également y inscrire les titres des lois et des normes relatives à son champ d’expertise. Un CV, joint au dossier, doit faire état de ses compétences ou de ses champs de pratique. Un organigramme de l’organisation permet de voir où se situe la personne dans l’entreprise et de déterminer son niveau de responsabilité (haute direction, gestionnaire d’équipe, etc.). Le quatrième document est la liste des projets réalisés au cours des trois dernières années. Quelques-uns de ces projets seront choisis par l’inspecteur ou l’inspectrice pour analyser la pratique du membre. « L’inspection professionnelle est basée sur les compétences de chaque membre. Celles-ci sont départagées en deux catégories : d’une part les compétences critiques (niveau technique) qu’il faut maîtriser dès le départ pour éviter de causer de graves préjudices dif­ficilement réparables quant à la pro­tection du public ; d’autre part les compétences importantes, qui ont davantage trait aux obligations pro­fessionnelles et au savoir-être de l’ingénieur. Ces dernières doivent aussi être bien maîtrisées, mais elles ont moins d’impacts à court terme, leurs préjudices sont réversibles et corrigeables plus rapidement », explique Réjean Daudelin.

L’inspection professionnelle est basée sur les compétences de chaque membre. Celles-ci sont départagées en deux catégories : les compétences critiques et les compétences importantes.

— Réjean Daudelin, ing. — Ordre des ingénieurs du Québec

 

Une rencontre individuelle

La rencontre est toujours individuelle et confidentielle. « La personne faisant l’objet d’une inspection présente ses dossiers, et l’inspecteur ou l’inspectrice se concentre sur l’aspect technique de son travail, indique Marc Bellerive. La pratique du génie est très large ; moi, je m’occupe en particulier des dossiers liés au domaine des équipements et de la sécurité des machines en milieu industriel. Chaque personne chargée de l’inspection a ses champs d’exper­tise spécifiques. Nous évaluons l’ingénieur ou l’ingénieure selon les documents présentés, nous posons des questions sur son approche professionnelle de manière géné­rale, mais nous nous penchons aussi plus particulièrement sur quelques projets, notamment les intrants, les dessins, les calculs, les diagrammes de procédés, les descriptions fonc­tionnelles et, bien sûr, la gestion des risques. Nous étudions le dossier complet des quelques projets ciblés. Nous remplissons une grille d’évaluation thème par thème. »

Lorsque Marc Bellerive rencontre des ingénieurs et des ingénieures qui conçoivent des équipements, il insiste sur l’importance d’analyser les risques d’accidents auxquels sont exposés les utilisateurs et utilisatrices. « Il y a des normes à respecter relativement à l’analyse de risques en sécurité des machines, dit-il. Les phénomènes dangereux sont catégorisés selon leur niveau de risque, niveau qu’il est possible d’établir grâce à des méthodes fournies par les normes. Trop de membres négligent de documenter adéquatement l’analyse de risques et mettent de ce fait en danger les opérateurs et opératrices, le personnel de maintenance ou autre. Lorsque nous repérons un manque­ment à cet égard, nous devons faire des suivis. Dans certains dossiers, c’est la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécu­rité du travail (CNESST) qui fait un signalement, et l’ingénieure ou l’in­génieur concerné doit alors revoir l’aspect santé et sécurité pour mettre en place des mesures d’at­ténuation des risques. La CNESST demandera un certificat de confor­mité par la suite. »

 

Documenter la conception

Une mauvaise gestion des risques peut compromettre le bon déroulement d’un projet. Un bon plan de travail aide à bien gérer les risques. Les membres de l’Ordre doivent considérer tout un éventail de risques dans leur analyse. Il y a aussi des risques sur le plan opérationnel et il est important de prendre en compte les risques techniques pour éviter les bris et les arrêts de production, ou tout simplement pour s’assurer que l’équipement est fonctionnel et efficient, même en ce qui concerne son entretien, par exemple.

Marc Bellerive souligne par ailleurs qu’il est très important de consigner les renseignements sur les projets, dans leurs moindres détails. « J’apprécie beaucoup quand les gens font une revue de conception, mentionne-t-il. Cela aide à avoir une vision globale du projet. Ce n’est pas tellement plus long de le faire, et ça en vaut vraiment la peine. »

Dans le cas de projets d’automati­sation, Réjean Daudelin s’attardera notamment aux intrants utilisés, dont les schémas de procédés (P&ID), qui sont souvent préparés en collaboration avec les ingé­nieurs et ingénieures de procédé, et ce, pour choisir les éléments de régulation et l’instrumentation à utiliser, signale-t-il.

Réjean Daudelin note que la gestion des risques en automatisation exige une implication active, bien que ce soit souvent la discipline méca­nique ou de procédé qui prend en charge cet aspect du projet. « L’ingénieur ou l’ingénieure en automatisation doit absolument prendre part au projet, insiste-t-il. C’est la personne la mieux placée pour le faire, puisqu’elle connaît son équipement de contrôle, et que c’est elle ou son équipe qui en a fait la programmation. C’est la façon de protéger le public : l’aspect sécurité doit être intégré en tout temps. »

Au terme de la rencontre d’inspection, un indice de confiance (élevé, modéré ou faible) sera attribué à la personne faisant l’objet de l’inspec­tion relativement à sa compétence professionnelle. La démarche de l’inspection professionnelle se veut positive. Le but est l’amélioration de la pratique des membres de la profession. Dans son rapport, l’inspecteur ou l’inspectrice pourra suggérer des correctifs à apporter ou recommander de suivre des activités de formation. Finalement, dans le cas d’un indice de confiance faible, lorsqu’il appert que certains aspects de la pratique d’un ou d’une membre peuvent représenter des dangers pour le public, le Comité d’inspection professionnelle pourrait prescrire des mesures de per­fectionnement.

Un partage d’expériences

En mars dernier, l’ingénieur François Roche, gestionnaire responsable des risques des procédés à Air Liquide Canada, rencontrait un inspecteur de l’Ordre. Il en est ressorti avec un indice de confiance élevé et des commentaires favorables quant à sa pratique. François Roche estime que l’exercice est fort utile à la profession et profitable pour les membres en exercice, qui peuvent bénéficier de réflexions intéressantes et nécessaires au maintien d’une progres­sion professionnelle constante.

Fin prêt pour la rencontre, François Roche avait pris soin de préparer les documents requis par son auditeur, l’inspecteur à la surveillance de l’exercice Réjean Daudelin. « J’ai répondu préalablement au questionnaire, en apportant des précisions sur mes connaissances relatives au métier, et j’ai fourni la liste des références principales auxquelles je me réfère le plus souvent, mentionne-t-il. L’exercice en lui-même peut être réellement utile pour les membres en début de carrière ou qui ont moins d’expérience ; il permet de rendre compte de l’ensemble des documents dont ils et elles se servent et de repenser leurs méthodes de travail. C’est très bénéfique, puisque nous ne réalisons pas tout ce que nous faisons au quotidien dans le cadre de nos fonctions. De son côté, la personne chargée de l’ins­pection s’assure que nous couvrons bien tous les aspects de notre profession. »

La rencontre a duré environ trois heures et a donné lieu à un partage d’expériences et d’opinions profes­sionnelles. « On m’a transmis une évaluation globale et un rapport, qu’il est possible d’aller cueillir en ligne sur le portail de l’Ordre, précise François Roche. L’évaluation témoigne de mon niveau de compé­tence, certifié élevé, et j’y ai trouvé quelques judicieuses observations. »


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