Une nouvelle vision de l’aménagement urbain

L’alarme a sonné depuis un moment déjà, et les efforts convergent désormais vers une volonté ferme d’agir pour une mobilité plus respectueuse de l’environnement. Mais au-delà des infrastructures de transport de toutes sortes, la solution ne résiderait-elle pas davantage dans une nouvelle vision de l’aménagement du territoire ?

 


Cet article s’inscrit dans le dossier « Transport et mobilité durables ».

Par Mélanie Larouche


Le transport étant au cœur du changement climatique, il est plus qu’urgent d’intervenir pour freiner l’élan de cet élément majeur de l’empreinte carbone. Les initiatives sont nombreuses pour adapter les infrastructures existantes et celles de l’avenir afin de favoriser la mobilité durable, notamment en réduisant l’utilisation du voiturage en solo. Au Québec comme partout en Amérique du Nord, la culture de l’automobile est bien ancrée dans le mode de vie des populations.

 

« Cette situation nuit à nos efforts en faveur du transport durable, souligne d’entrée de jeu Francesco Ciari, professeur à Polytechnique Montréal. Ici, tout a été bâti autour de l’automobile parce qu’on a de grandes distances à parcourir, ce qui limite notre marge de manœuvre pour implanter efficacement la mobilité durable. Il faudrait changer les villes, revoir tout l’aménagement du territoire, mais c’est impossible. On peut faire des pistes cyclables et mettre en place le transport en commun et d’autres systèmes de transport, mais on ne peut pas tout changer. Pour ce qui est des infrastructures, on ne pourra jamais en faire assez pour réellement renverser la tendance. »

 

Selon Francesco Ciari, il est important de comprendre et d’analyser dans un premier temps comment on peut optimiser les installations actuelles pour contribuer à améliorer la situation dans les zones centrales, ce qui déjà entrainera des gains significatifs. « À défaut de pouvoir changer la structure d’une ville, on peut recourir à plusieurs solutions adaptées aux zones centrales et à d’autres moyens convenant aux zones périphériques, mais ça ne fait pas des miracles, note-t-il. À Montréal par exemple, quand on habite près de son lieu de travail, c’est possible de vivre sans voiture ; mais pour toutes les personnes habitant en banlieue, ça devient vite compliqué. Plusieurs éléments entrent en ligne de compte : le lieu de travail du conjoint ou de la conjointe, l’emplacement des écoles et des milieux de garde, des points de services et des endroits où on peut s’adonner à des loisirs, etc. Tout est dispersé sur une grande portion de territoire. »

 

Les gens seraient-ils ouverts à l’idée de partager des véhicules autonomes ? « Il y a des habitudes de mobilité bien implantées dans la vie des gens, mentionne Francesco Ciari. Il y a toujours ce cercle vicieux de la culture de la voiture, mais jusqu’où peut-on aller pour créer un cercle vertueux de transport durable ? Les connaissances dont nous disposons sur la capacité des gens à changer de paradigme de manière généralisée sont, selon moi, encore peu fiables. De plus, en nous basant sur des simulations, nous avons pu démontrer dans une étude récente que ça fonctionnerait plutôt bien pour la partie centrale de l’île de Montréal ; mais ce n’est pas très efficace pour les autres secteurs. Les solutions de remplacement actuelles n’ont pas d’impact majeur. Nous sommes limités dans la capacité de changer les choses. À travers tout cela, il y a l’élément temporel qui n’est pas à négliger, nous avons peu de temps pour réagir et apporter des changements significatifs. »

 

De l’avis de Francesco Ciari, une voie prometteuse dans le contexte des villes nord-américaines serait de réduire le monocentrisme des services. « C’est particulièrement problématique pour les villes à faible densité, précise-t-il. Dans une ville étalée, les besoins de déplacement sont bien présents, tout est dispersé aux quatre coins du territoire. »

 

L’aménagement du territoire

Il faut désormais concevoir des quartiers différents de ce qu’on a connu. Pour ce faire, nous avons besoin d’un zonage multifonctionnel.

Jean-Marc Fournier, Institut de développement urbain du Québec

 

 

Jean-Marc Fournier, ex-politicien et actuel président-directeur général de l’Institut de développement urbain du Québec (IDU), abonde dans le même sens que Francesco Ciari. « À l’IDU, nous croyons que l’avenir de la mobilité durable passe par la conception de quartiers de proximité, pour diminuer l’empreinte carbone, explique-t-il. Il y plusieurs façons de la réduire : d’abord, en agissant sur les besoins en déplacements ; puis, lorsqu’on est obligés de se déplacer, en ayant accès au transport collectif. Il faut désormais concevoir des quartiers différents de ce qu’on a connu. Pour ce faire, nous avons besoin d’un zonage multifonctionnel. Actuellement, on poursuit l’aménagement urbain selon la vision du zonage d’il y a plusieurs années. C’est clair que le tout premier élément pour réduire l’empreinte carbone est vraiment de limiter les déplacements, de bâtir des quartiers où les gens peuvent combler leurs besoins, où ils trouvent des services de proximité et de l’emploi. Cependant, cela repose sur une densité suffisante au kilomètre carré pour que ça fonctionne bien. Ce n’est pas le cas de nos jours, mais c’est l’objectif. »

 

Jean-Marc Fournier souligne que, actuellement, les infrastructures sont très inégales entre les grands centres, les banlieues et les régions. « Évidemment, les grands centres sont nettement mieux desservis, mais il existe tout de même des circuits régionaux et interrégionaux. Ça se développe assez rapidement, mais il reste beaucoup de chemin à faire. En ce qui concerne le transport collectif, le métro de Montréal a eu ses années de développement ; là, c’est au ralenti, mais le Réseau express métropolitain (REM) est intéressant. Le projet de tramway avance à Québec ; on y pense à Gatineau aussi. Il y a une prise de conscience un peu partout ! »

 

Le financement

Parce que tout est question d’argent, au-delà des solutions mises de l’avant le problème se pose : comment financer tout ça ? « Il faut créer un réseau à la fois durable et structurant et, pour ce faire, il faut imaginer le transport de l’avenir en fonction des populations de l’avenir, indique Jean-Marc Fournier. Le partage des responsabilités entre Québec et les villes date de 1867, à l’époque de la Constitution. Les municipalités passent essentiellement par la taxe foncière pour se financer. Mais aujourd’hui, les besoins ont changé, ils exigent des investissements énormes, ce qui explique le déséquilibre dans l’offre de services. Il faudra des efforts pour avoir une taxation foncière cohérente avec les objectifs de mobilité durable. Par exemple, il n’est pas normal que le multilogement, qui génère moins de déplacements, ne soit pas avantagé. L’IDU propose un programme de transfert municipal financé par le gouvernement provincial, et aussi par le fédéral. Si on regarde bien la crise climatique qui est devant nous, tous les programmes existants, qui bénéficient déjà de transferts partiels de Québec et d’Ottawa, doivent intégrer l’aspect prioritaire de l’atteinte de la cible de décarbonisation et ajuster les budgets en conséquence. »

 

Les deux experts s’entendent pour dire qu’il ne faut pas considérer seul l’aspect mobilité durable. Toutes les solutions prises individuellement ne sont pas particulièrement efficaces, mais ensemble elles peuvent donner d’excellents résultats si elles sont bien pensées, bien intégrées. « On voit une réelle prise de conscience collective et c’est très encourageant, fait valoir le professeur Ciari. Si tous et toutes agissent à leur échelle, si on agit partout où il est possible de le faire, on progressera. Il y a incontestablement de l’espoir du côté d’une nouvelle vision de l’aménagement urbain et de la modification des modes de vie. »

 

Jean-Marc Fournier croit que nous ne verrons pas de changements manifestes au cours des deux ou trois prochaines années. « Nous sommes en période de transition. Les nouvelles générations ont indéniablement une conscience environnementale plus vive que les générations précédentes. Nous devons reconnaitre qu’il y a un rythme de développement accéléré à prendre. Chose certaine, on ne réussira pas à atteindre nos objectifs en s’opposant les uns aux autres. Il faut respecter ceux et celles qui collent à l’ancienne réalité, les amener intelligemment vers une vision d’avenir. Dans dix ans, tout aura probablement beaucoup changé. On va passer d’une période de fixation de cibles à une période d’adoption de moyens pour les atteindre. À l’heure actuelle, les élues et les élus hésitent à instaurer des mesures pour changer les modes de vie, mais la sensibilisation et l’information vont faire leur oeuvre, ce qui conduira les personnes au pouvoir à se donner les moyens concrets et cohérents d’atteindre les cibles. ».

 

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