Génie végétal : Comment s’applique la loi sur les ingénieurs dans ce domaine ?

Comment le génie végétal est-il intégré dans des projets d'ingénierie durable au Québec, notamment pour protéger nos berges?

Cet article s’inscrit dans la collection « PRATIQUE EXEMPLAIRE ».

Marie-Julie Gravel, ing., conseillère à la surveillance de la pratique illégale et Me Patrick Marcoux, avocat.


Dans un projet de stabilisation des berges d’un cours d’eau, on propose parfois des techniques faisant appel au génie végétal. Cela implique-t-il nécessairement de recourir à l’expertise d’une ingénieure ou d’un ingénieur ?

Le terme « génie végétal » désigne un ensemble de techniques alliant les principes de l’écologie et du génie pour concevoir et mettre en œuvre des ouvrages utilisant des végétaux comme matériel de base afin, entre autres, de stabiliser talus et berges, d’épurer les eaux et de contrôler l’érosion. Ces techniques peuvent également viser à restaurer, réhabiliter ou renaturer. Elles reposent sur l’utilisation de végétaux vivants (semences, boutures, plants, plançons), parfois en association avec des matériaux inertes (troncs, pieux de bois, géotextiles, roches, agrafes métalliques, etc.).

Peut-on employer le terme « génie » ?

L’utilisation du terme « génie végétal » suscite quelques questions. Est-il légal d’employer une expression qui comprend le mot « génie » pour décrire un champ de pratique qui ne relève pas exclusivement de l’ingénierie ? La réponse est oui, mais deux nuances importantes s’imposent. La première est que cette expression ne peut pas être utilisée dans le nom d’une entreprise, car la Loi interdit d’exercer des activités sous un nom collectif ou constitutif comportant les mots « génie », « ingénierie », « ingénieur », ou leurs équivalents anglais. Par exemple, l’appellation ABC Génie végétal inc. est illégale, et ce, même si l’entreprise appartient à une ou un membre de l’Ordre, ou si elle est administrée par une personne membre de l’Ordre.

Seconde nuance : une personne qui n’est pas membre de l’Ordre ne peut pas se présenter comme ingénieure ou ingénieur, ou utiliser quelque titre, désignation ou abréviation susceptible de laisser croire que l’exercice de la profession d’ingénieur lui est permis. Une personne qui s’afficherait comme « ingénieur biologiste » pourrait se trouver en infraction à la Loi, et être passible d’une amende allant de 2500 $ à 62 500 $.

Cependant, employer l’expression « génie végétal » dans un contexte scolaire ou scientifique ou pour décrire la discipline ne pose pas de problème.

On entend souvent le terme « phytotechnologie ». Ce mot est-il préférable à « génie végétal » ? La phytotechnologie est un terme général qui englobe l’ensemble des approches et des techniques utilisant les plantes vivantes pour résoudre ou atténuer des problèmes environnementaux. Le génie végétal, tel qu’il est défini plus haut, est plus précis et correspond à un sous-ensemble des phytotechnologies.

Ce champ de pratique nécessite-t-il le recours à des membres ?

Le génie végétal inclut plusieurs techniques pouvant être mises en œuvre dans divers projets. Toutefois, la Loi sur les ingénieurs ne s’applique pas automatiquement dès qu’il est question de « génie végétal ». Il faut examiner la nature de l’intervention et le type de document requis pour déterminer si la Loi s’applique.

Quant à la nature de l’intervention, on doit d’abord se demander si elle constitue un ouvrage d’ingénierie selon la Loi. Généralement, les interventions comprenant des techniques du génie végétal ont pour objectif de stabiliser une berge ou un talus. De tels travaux font appel à la notion de « structure ». La Loi sur les ingénieurs indique qu’une structure, temporaire ou permanente, servant à l’aménagement ou à l’utilisation des eaux est un ouvrage d’ingénierie lorsqu’elle nécessite des études des propriétés des matériaux qui la composent ou qui la supportent. Ainsi, pour être visé par la Loi, un ouvrage de génie végétal doit avoir une fonction structurelle et nécessiter le recours à des études des propriétés des matériaux (propriétés géotechniques, hydrauliques, résistance mécanique).

La nature de l’intervention détermine donc si la Loi s’applique et si les plans doivent être scellés ou non par une ingénieure ou un ingénieur. Examinons quelques exemples. Les ouvrages traditionnels de génie civil impliquant les techniques de stabilisation mécanique ou mixtes (tel un empierrement, végétalisé ou non) sont considérés comme des ouvrages d’ingénierie. Dans les ouvrages de génie végétal, ce sont les propriétés mécaniques des végétaux qui offrent des propriétés structurelles à l’ouvrage. Par exemple, les fascines, les fagots, les matelas de branches ou les plançons sont généralement considérés comme des « structures » au sens de la Loi puisque, tout comme les techniques traditionnelles de génie civil, ce sont des structures servant à l’aménagement des eaux qui nécessitent le recours à des études des propriétés des matériaux qui les composent et qui les supportent. Aussi, tout comme les techniques de génie civil, certains ouvrages de génie végétal peuvent avoir de lourdes conséquences sur les biens et les personnes s’ils sont mal conçus ou réalisés. À l’inverse, les ouvrages de génie végétal servant strictement à restaurer, à réhabiliter à renaturer, sans composant structurel, ou les projets impliquant uniquement l’ensemencement ou la plantation ne sont pas considérés comme des « structures » au sens de la Loi, étant donné que les risques pour les personnes et les biens y étant associés sont en général bien moindres.

Quels documents doivent être préparés par l’ingénieure ou l’ingénieur ?

Dans les projets faisant appel au génie végétal, plusieurs documents sont requis. La préparation de certains documents est réservée aux membres de l’Ordre, notamment les calculs, les plans et les devis, les attestations de conformité et les avis techniques. Cependant, la préparation d’un relevé de l’existant, d’un schéma de localisation ou d’un rapport détaillant les espèces végétales à utiliser ne constitue pas une activité réservée.

Bref, le génie végétal propose des solutions à de nombreux problèmes structurels et environnementaux pour faire face aux défis climatiques et satisfaire aux exigences de développement durable. Il offre ainsi une occasion de développement professionnel aux membres exerçant en génie civil, notamment en ce qui concerne la stabilisation des berges et des talus. Les ingénieures et ingénieurs qui débutent dans le domaine doivent cependant agir avec prudence et s’entourer des personnes qualifiées (ingénieures et ingénieurs en génie hydraulique, géotechnique ou civil, ainsi que biologistes, hydrogéomorphologues, architectes paysagistes, etc.).

 

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