Conversation inspirante entre deux femmes de génie

La présidente de l’Ordre des ingénieurs du Québec, Sophie Larivière-Mantha, ing., et la présidente de l’Union étudiante du Québec, Catherine Bibeau-Lorrain, candidate à la profession, se sont prêtées au jeu d’une discussion spontanée. Sujets abordés : le rôle des ingénieures et des ingénieurs dans la société, la présence des femmes en génie, la responsabilité sociale et environnementale. Aperçu de leurs réflexions.

Cet article s’inscrit dans la collection « PRATIQUE EXEMPLAIRE ».
Par Emmanuelle Gril, journaliste.


 

Sophie Larivière-Mantha, ing. : Catherine, peut-on se tutoyer ?

Catherine Bibeau-Lorrain, CPI : Oui, je pense que c’est une bonne idée.

Sophie : Catherine, pourquoi avoir choisi d’étudier en génie?

Catherine : Avant d’entreprendre des études de deuxième cycle, j’ai fait un baccalauréat en génie chimique parce que je voulais pouvoir améliorer et optimiser différents processus et procédés employés dans divers secteurs de la société, afin que le monde puisse évoluer de façon plus adéquate, notamment en matière de développement durable. Je souhaitais aussi utiliser ma tête et ma logique pour trouver des solutions à des problèmes actuels concrets.

 

Catherine : Et de ton côté, pourquoi avoir opté pour le génie ?

Sophie : Au secondaire, j’ai participé à une expo-sciences où j’ai présenté un distributeur automatique de nourriture pour animaux que j’avais programmée moi-même.

Influencée par le travail de ma mère en automatisation, je me suis inscrite au cégep en technique de génie électrique. Cependant, lors d’un stage, j’ai réalisé qu’être ingénieure était plus propice à la programmation d’automates. Je me suis alors inscrite au baccalauréat en génie de la production automatisée à l’École de technologique supérieure, avec une concentration en technologie de la santé, et je me suis passionnée pour ce domaine ! Même si ça a été le fil conducteur de mes études, je n’ai jamais programmé d’automate professionnellement, j’ai trouvé autre chose qui me passionnait davantage.

 

Sophie : Pourquoi t’être engagée dans le mouvement étudiant ?

Catherine : Je veux être présente pour les étudiantes et les étudiants, défendre leurs droits et intérêts pour qu’elles et ils aient les meilleures conditions possibles pour étudier, et pour que les membres de la communauté étudiante développent un sentiment d’appartenance.

Mon but est aussi d’inciter les autres à s’impliquer afin qu’on soit plus nombreux pour changer les choses.

Sophie : C’est complémentaire à ta formation en génie. Souvent, ce qui attire l’attention dans un projet, c’est l’impact social, et c’est important de développer des habiletés relationnelles nécessaires pour vulgariser ces projets.

 

Catherine : Et toi, pourquoi avoir voulu devenir présidente de l’Ordre des ingénieurs du Québec ?

Sophie : Ce n’était pas du tout mon objectif de carrière !

En 2014, à la suite d’une assemblée générale extraordinaire à l’Ordre durant laquelle j’ai constaté plusieurs défis, j’ai décidé de me présenter au conseil d’administration pour aider à les régler. J’ai siégé au conseil de 2015 à 2018, puis j’ai pris une pause jusqu’en 2020, car entre-temps j’ai eu deux enfants. En 2022, après le départ de la présidente sortante, je me suis présentée et j’ai été élue. C’est donc une suite d’événements et de circonstances qui m’ont amenée à la présidence de l’Ordre.

Catherine : Finalement, nous avons des parcours semblables, mais dans des milieux différents.

 

« Les ingénieures et les ingénieurs sont assurément des vecteurs d’amélioration qui peuvent contribuer au changement. »

SOPHIE LARIVIÈRE-MANTHA, ING.

 

PRÉSENCE DES FEMMES EN GÉNIE

La question des femmes en génie préoccupe l’Ordre. Des études montrent qu’elles font toujours face à des défis et à des obstacles liés à leur genre dans leur profession.

Catherine : En tant que femme à la tête du deuxième ordre professionnel en importance au Québec, quels sont tes principaux défis ?

Sophie : J’ai deux jeunes enfants et la conciliation travail-famille constitue un défi important. Mon rôle de porte-parole implique de nombreuses activités le soir et la fin de semaine. Sans le soutien de mon conjoint, je n’y arriverais pas. La complexité des dossiers est un autre défi. Le domaine du génie est vaste et touche de nombreuses spécialités ; je dois être en mesure de saisir les différents problèmes.

Catherine : J’affronte des défis similaires. Même sans enfants, concilier travail, vie associative et vie personnelle est difficile.

Notre travail reste souvent méconnu, et notre entourage peut avoir du mal à comprendre nos activités.

 

Sophie : L’une de mes priorités est que l’on puisse compter au moins 30 % de femmes, tous domaines du génie confondus, en 2033. Crois-tu que nous y parviendrons ?

Catherine : Selon moi, c’est possible. D’ailleurs, j’ai pu constater une bonne différence à cet égard entre le début de mon bac et la fin. Dans les universités, on voit par exemple des comités de génie au féminin dont le but est d’inviter les femmes à prendre leur place en ingénierie. Il faut inciter les administrations à soutenir de telles initiatives.

 

RESPONSABILITÉ SOCIALE

Au cœur de plusieurs projets importants, les ingénieures et ingénieurs jouent un rôle sous- estimé d’agent de changement.

Sophie : Comment peut-on encourager les étudiantes et les étudiants à considérer la responsabilité sociale comme partie intégrante de leur future carrière ?

Catherine : On devrait leur en parler davantage et les pousser à s’impliquer dans des activités extrascolaires liées à la responsabilité sociale. Ce type d’expériences permet de développer une réflexion à cet égard, et ce, de façon plus concrète.

 

Catherine : Que penses-tu du rôle des membres de l’Ordre comme agents de changement positifs ?

Sophie : Les personnes exerçant l’ingénierie se retrouvent souvent au cœur de la conception des projets. À ce titre, nous sommes donc en mesure de repérer les éléments qui nécessiteraient des améliorations et de proposer des solutions.

Les ingénieures et les ingénieurs sont assurément des vecteurs d’amélioration qui peuvent contribuer au changement.

 

« Les ingénieures et les ingénieurs sont assurément des vecteurs d’amélioration qui peuvent contribuer au changement. »

SOPHIE LARIVIÈRE-MANTHA, ING.

 

ENVIRONNEMENT

L’environnement et la lutte contre les changements climatiques sont des défis importants auxquels nous devrons faire face et qui nécessiteront la participation des ingénieures et des ingénieurs à la recherche de solutions durables.

Catherine : Comment les membres de l’Ordre peuvent-ils intervenir concrètement dans la lutte contre les changements climatiques ?

Sophie : Le développement durable est l’un des trois dossiers majeurs sur lesquels j’ai choisi de travailler durant ma présidence. Tous les membres devraient en tenir compte dans la conception des projets afin de diminuer leur impact sur l’environnement. Cela consiste, par exemple, à considérer le cycle de vie d’un bâtiment au moment de sa conception, ce qui facilitera par la suite sa déconstruction qui, contrairement à la démolition, vise à récupérer un maximum de matériaux.

Sophie : En tant que future ingénieure, comment crois-tu pouvoir agir dans cette lutte ?

Catherine : Je perçois les membres de la profession comme des vecteurs de changement essentiels. On nous apprend à innover et à concevoir autrement. Par conséquent, nous possédons les compétences nécessaires ; il faut les mettre en application.

Sophie : C’est déjà la fin de notre conversation. Que puis-je te souhaiter pour l’avenir ?

Catherine : De trouver un emploi où je pourrai mettre en application mes passions : le génie chimique ainsi que la gestion des ressources humaines et des équipes, tout en laissant de la place pour mes engagements personnels.

 

La rencontre a mis en lumière les rôles similaires de Sophie Larivière-Mantha et de Catherine Bibeau-Lorrain, respectivement à la présidence de l’Ordre et de l’Union étudiante du Québec. Fières ambassadrices de la profession, elles sont engagées à faire une différence dans la société.

 

 

MINIBIO

Sophie Larivière-Mantha –  Présidente de l’Ordre des ingénieurs du Québec depuis 2022, Sophie Larivière-Mantha s’est fixé trois priorités sur lesquelles elle intervient durant son mandat : la surveillance des travaux, le développement durable et la place des femmes en génie.

Catherine Bibeau-Lorrain – Candidate à la profession d’ingénieur, Catherine Bibeau-Lorrain est titulaire d’un baccalauréat en génie chimique de Polytechnique Montréal et a entrepris une maîtrise en administration des affaires à HEC Montréal. Elle est présidente de l’Union étudiante du Québec, un regroupement de 11 associations étudiantes universitaires totalisant plus de 94 000 membres.

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