, 11 octobre 2022

Exercice illégal : l’Ordre agit

Dans cette chronique, nous présentons trois jugements rendus dans la dernière année en matière d’exercice illégal de la profession. Ces trois dossiers récents de poursuite pour exercice illégal visent l’utilisation de plans pour permis, la préparation de devis et l’exécution de travaux de structure avec plans d’architecture.

Cet article s’inscrit dans la collection « Législation et jurisprudence ».
Par Marie-Julie Gravel, ing., M. Sc. A., conseillère à la surveillance de la pratique illégale

En collaboration avec Me Patrick Marcoux, avocat


La patience est la clé du succès

Un promoteur immobilier de la région de Québec a récemment dû payer une amende de 10 000 $ pour avoir permis que soient utilisés, afin de réaliser des travaux de prolongement d’un réseau d’aqueduc, des plans qui n’étaient pas conformes aux dispositions de l’article 24 de la Loi sur les ingénieurs.

 

En mars 2021, l’Ordre a reçu un signalement faisant état de travaux de construction d’un aqueduc et d’égouts destinés à desservir un ensemble résidentiel de 36 à 40 chalets ou habitations de repos, situés en bordure d’un somptueux golf. Le signalement indiquait que les travaux étaient exécutés sans plans réalisés pour construction et sans certificat d’autorisation du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC).

 

L’enquête a démontré que le promoteur avait obtenu des plans d’ingénierie pour faire une demande de certificat d’autorisation (« CA ») auprès du MELCC. Au moment où l’enquêteur de l’Ordre des ingénieurs s’est présenté sur le chantier, ce CA n’avait toujours pas été obtenu et les plans pour construction n’avaient pas été réalisés par l’ingénieur concepteur. Or, les travaux allaient bon train sur le terrain. Les plans utilisés par l’entrepreneur en excavation étaient ceux qui avaient été préparés pour la demande de CA. Le promoteur a expliqué à l’enquêteur de l’Ordre avoir décidé de commencer les travaux au printemps, car c’est le meilleur moment de l’année pour ce genre de travaux, afin de pouvoir construire les maisons au cours de l’été et de l’automne. Il a agi en toute connaissance de cause, se disant prêt à accepter le risque que les travaux soient refusés lors d’une éventuelle inspection par un ingénieur ou une ingénieure.

 

La preuve révèle aussi que le promoteur a insisté auprès de l’entrepreneur en excavation pour que les travaux soient entamés en utilisant les plans réalisés pour la demande de CA. L’entrepreneur savait que les plans n’étaient pas ceux à utiliser pour la construction, car chaque feuillet des plans porte une mention l’indiquant clairement. L’ingénieur concepteur n’était pas au courant que les travaux avaient débuté.

 

Étant donné ces faits, l’Ordre a déposé un chef d’accusation contre le promoteur, pour avoir permis l’utilisation de plans non conformes. En matière d’exercice illégal, la peine minimale est de 2 500 $ par chef d’accusation. Dans ce cas-ci, le fait que le promoteur avait été mis au courant par la municipalité que des plans pour construction et un certificat d’autorisation du MELCC étaient requis pour entreprendre les travaux et le fait que la mention « Ne pas utiliser pour construction » avait été ajoutée par l’ingénieur concepteur sur toutes les pages du plan ont servi de circonstances aggravantes, justifiant le montant de 10 000 $ d’amende.

 

Ce jugement démontre que pour réaliser des travaux d’ingénierie, il est nécessaire d’avoir les plans et devis appropriés, signés et scellés par un ingénieur ou une ingénieure, c’est-à-dire les plans réalisés pour construction. Contourner les exigences de la Loi pour gagner du temps n’a donc pas été une stratégie payante pour cet entrepreneur.

 

Pris la main dans le sac

Le deuxième jugement concerne un projet de construction d’une garderie. À la suite d’une visite de chantier effectuée en juin 2021, le vérificateur de l’Ordre a pu constater que les seuls plans utilisés pour la construction de la garderie étaient ceux qui avaient été préparés par un architecte. Le contremaître sur le chantier a mentionné au vérificateur n’avoir jamais vu de plan d’ingénierie.

 

Devant cette apparence d’infraction à la Loi sur les ingénieurs, le vérificateur a amorcé une enquête qui a révélé que l’entrepreneur ayant réalisé la construction disposait de plans d’architecture. Il disposait aussi de certains plans d’ingénierie, notamment pour les poutres, les poutrelles et la structure du toit métallique. Aucun plan d’ingénierie n’avait cependant été produit pour la fondation. L’entrepreneur avait déjà réalisé les travaux en utilisant uniquement les plans d’architecture, et ce, même si la fondation présentait une conception originale ; l’un de ses murs s’élevait en effet du sous-sol jusqu’au niveau du toit.

 

Une garderie étant un établissement du groupe A (établissement de réunion), la préparation des plans pour les éléments de structure est réservée aux membres de l’Ordre des ingénieurs. Réaliser ou permettre que soient réalisés des travaux de cette nature sans plans signés et scellés par un ingénieur ou une ingénieure constitue une infraction à l’article 24 de la Loi sur les ingénieurs. L’entrepreneur contrevenait donc aux dispositions de la Loi, puisque les travaux de fondation avaient été réalisés sans plan d’ingénierie signé et scellé par un ingénieur ou une ingénieure.

 

La peine minimale pour une personne morale (entreprise ou société) est de 5 000 $. Dans ce dossier, l’entreprise a dû payer une amende de 6 250 $. Ce montant est supérieur au minimum prévu par le Code des professions, parce que l’Ordre a estimé, d’une part, que les travaux de structure visaient un bâtiment destiné à abriter des enfants – ce qui met directement en cause la sécurité du public – et, d’autre part, que ces travaux ont été réalisés seulement avec des plans d’architecture, alors qu’il s’agit clairement d’une structure du bâtiment au sens de la Loi sur les ingénieurs.

 

La peine réclamée tient compte du fait que les représentants de l’entreprise ont collaboré à l’enquête, et que des plans d’ingénierie ont été obtenus pour tous les éléments où ils étaient requis, sauf la fondation.

 

Chacun son métier…

Le dernier dossier d’enquête concerne la préparation d’un devis d’appel d’offres pour la modernisation de quatre ascenseurs situés dans un établissement d’enseignement. Lorsque l’enquêteur de l’Ordre l’a rencontré, l’accusé dans ce dossier a reconnu avoir préparé le devis en question, qui contenait plusieurs éléments d’ingénierie. L’Ordre a jugé que ce document était un devis (selon l’article 2(5°) de la Loi sur les ingénieurs) concernant un système mécanique d’un bâtiment (ouvrage réservé à l’article 3 al.1(1°) de la Loi), dont la préparation est réservée aux ingénieurs et ingénieures. Par conséquent, en vertu de l’article 22(1°) de la Loi, cette personne s’est vue accusée d’avoir pratiqué une activité professionnelle réservée aux membres de l’Ordre, sans être membre de l’Ordre.

 

Lorsqu’il a été rencontré par l’enquêteur de l’Ordre, l’accusé a défendu son comportement au motif qu’il avait une trentaine d’années d’expérience dans le domaine. Évidemment, cela n’est pas une excuse pour ne pas respecter la Loi sur les ingénieurs. La peine imposée dans ce dossier a été de 5 000 $.


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