, 26 juillet 2022

Analyses de risques : réservées aux membres de l’Ordre, ou pas?

L’analyse des risques est au coeur de la pratique professionnelle de l’ingénierie. La question suivante nous est souvent posée : est-ce que la réalisation d’une analyse de risques est une activité réservée aux membres de l’Ordre des ingénieurs ? Voici des éléments de réponse.

Cet article s’inscrit dans la collection « Législation et jurisprudence ».
Par Marie-Julie Gravel, ing., M. Sc. A., conseillère à la surveillance de la pratique illégale

En collaboration avec Me Patrick Marcoux, avocat


La notion de risque dans la Loi sur les ingénieurs

D’entrée de jeu, l’article 1.1 de la Loi sur les ingénieurs définit la finalité de l’exercice de l’ingénierie comme étant d’assurer un milieu fiable, sécuritaire et durable. Or, pour atteindre cet objectif, la personne qui exerce la profession devra identifier les risques et déterminer les moyens qui pourraient les prévenir ou limiter les conséquences dommageables d’une activité sur la fiabilité, la sécurité et la durabilité d’un ouvrage. À noter que cet article de loi parle de « milieu » [fiable, sécuritaire et durable] et que la notion de milieu est beaucoup plus large que celle d’ouvrage. Ainsi, la réflexion sur les risques devrait porter non seulement sur l’ouvrage d’ingénierie en tant que tel, mais également sur les méthodes utilisées pour le réaliser ainsi que sur le milieu dans lequel il sera réalisé et utilisé.

La version révisée de la Loi publiée en 2020 a formalisé des notions inhérentes à l’exercice de l’ingénierie qui n’étaient pas précisées auparavant, notions touchant la gestion des risques. Ainsi, l’article 2 définit les activités professionnelles réservées aux ingénieurs et ingénieures, et en particulier celles-ci :

« 1° déterminer les concepts, les paramètres, les équations ou les modèles qui, à partir de modèles issus de principes d’ingénierie, permettent d’anticiper le comportement des structures, des matériaux, des procédés ou des systèmes ;

2° effectuer des essais ou des calculs nécessitant le recours à des modèles issus de principes d’ingénierie ; »

La nouvelle activité mentionnée au paragraphe (1°) reconnaît que la maîtrise des modèles et principes d’ingénierie ainsi que de leur mise en application permet aux ingénieures et aux ingénieurs d’anticiper les risques qui peuvent survenir tout au long du cycle de vie d’un ouvrage d’ingénierie. Cette capacité à identifier et à prévenir les risques sera par la suite mise en œuvre dans la réalisation de toutes les autres activités réservées. En effet, l’ingénieur ou l’ingénieure qui anticipe un risque pourra par exemple planifier des essais, des activités de surveillance spécifiques ou un plan d’inspection afin d’identifier l’occurrence de ce risque le plus rapidement possible. Il ou elle pourra également inclure des mesures de mitigation aux plans et devis ainsi que des procédures de prévention dans les manuels d’opération ou d’entretien relatifs à l’ouvrage.

Réfléchissons maintenant à la notion d’essais. En quoi cette activité fait-elle appel selon vous à la notion de risques ? Cette activité implique la connaissance de l’ouvrage, de sa conception, de son fonctionnement, de ses modes de dysfonctionnement, des risques qui y sont associés. L’ingénieur ou l’ingénieure concevra le plan d’essais, établira, entre autres, les méthodes et équipements à utiliser, les conditions à tester. Il ou elle définira également les critères d’acceptabilité qui permettront de déterminer si les critères de fonctionnement attendus sont respectés, au premier chef ceux qui concernent la sécurité.

Enfin, la notion de risque s’exprime aussi en toile de fond dans la description des ouvrages. En effet, le risque que présente un ouvrage est l’un des principaux critères qui servira à déterminer s’il fait partie des ouvrages auxquels se rapportent les activités réservées. Ainsi, une structure fera partie de ces ouvrages si des études des propriétés des matériaux qui la composent ou qui la supportent sont nécessaires ; un système en fera partie si son dysfonctionnement présente un risque pour la sécurité des personnes, et un procédé, s’il est appliqué à l’échelle industrielle.

Les analyses de risques

Nous avons mentionné plus haut que la notion de risque est enchâssée dans la description des ouvrages, notamment dans la définition des sys­tèmes. Rappelons la définition de cette catégorie d’ouvrage selon la Loi :

« 3° Les activités réservées à l’ingénieur en vertu du premier alinéa de l’article 2 se rapportent aux ouvrages suivants :

[…]

« 3° un système de génération, d’accumulation, de transmission, d’utilisation ou de distribution d’énergie sous forme électrique, mécanique ou thermique, tel un équipement industriel ou un système de pompage servant au traitement des eaux, à l’exclusion d’un système dont le dysfonctionnement ne présente pas de risque pour la sécurité des personnes et d’un système destiné à l’usage d’une seule unité d’habitation. » (Article 3 de la Loi sur les ingénieurs ; c’est nous qui soulignons un passage de cet extrait.)

La question qui survient régulièrement à la lecture de cette définition est la suivante : comment fait-on pour déterminer si le dysfonctionnement présente un risque pour la sécurité des personnes ? Chose certaine, cette détermination ne repose pas sur une opinion ou une estima­tion subjective. Si une personne se blesse en se servant d’un équipement industriel ou si un cours d’eau est contaminé par un procédé industriel, le ou la responsable de l’ouvrage ne pourra pas se limiter à répondre : « On ne pensait pas que ça pouvait être dangereux. » Il ou elle doit faire preuve de diligence raisonnable et évaluer les risques à l’aide d’une méthode structurée. Il ou elle pourra faire appel à des experts en cas de besoin, notamment à des membres de l’Ordre. L’ampleur et la complexité de l’évaluation varieront bien évidemment en fonction de la nature de l’ouvrage en ques­tion. Une pompe et un train d’atterrissage sont deux exemples d’ouvrages d’ingé­nierie. L’analyse de risques portant sur la première n’aura évidemment pas la même ampleur ni n’exigera les mêmes efforts que l’analyse portant sur le second.

Les revues de risques

Le processus d’analyse de risques porte sur différents éléments touchant plusieurs disciplines, y compris l’ingénierie. L’une des bonnes pratiques en matière de gestion des risques est de s’entourer d’une équipe multidisciplinaire. Une telle équipe devrait être constituée de spécialistes aux compétences complémentaires, qui disposent de connaissances approfondies à propos du système ou de l’ouvrage en question. Le rapport d’analyse de risques comprendra une multitude d’éléments, dont des éléments d’ingénierie. En conséquence, si l’analyse de risques porte sur un ouvrage d’ingénierie, la préparation de la portion ingénierie du rapport sera considérée comme un acte réservé, et le rapport devra être authentifié par un ingénieur ou une ingénieure, qui indiquera la contribution qui lui revient.

Un rôle important dans un processus d’analyse des risques est celui de l’animation. L’animateur ou l’animatrice est garant de la méthode d’analyse de risques et prend soin de guider efficacement l’équipe à travers le processus systématique de la méthode choisie. Bien qu’il s’agisse d’un rôle clé, l’animation de revues de risques ne constitue cependant pas une activité réservée aux ingénieurs et ingénieures. Elle consiste surtout à soutenir l’équipe dans l’utilisation d’une approche structurée d’analyse des risques associés à un ouvrage. L’ingénieure ou l’ingénieur qui a une connaissance approfondie de l’ouvrage participera activement au processus, en identifiant et en classifiant les risques ainsi qu’en proposant des mesures techniques et technologiques de mitigation.

On constate donc que la notion de risques est omniprésente dans la Loi sur les ingénieurs. Cette observation ne devrait pas nous surprendre, puisque l’objectif de la Loi est de protéger le public. La lecture de la Loi nous fait cependant prendre conscience des risques associés à l’ingénierie et indique clairement que la gestion des risques fait partie intégrante de la pratique professionnelle des ingénieures et des ingénieurs.


Vous avez d’autres questions au sujet de la Loi sur les ingénieurs ? Vous aimeriez que nous abordions un sujet en particulier ? N’hésitez pas à nous écrire à [email protected].


Lire la revue Plan Juillet août 2022

Découvrir le dossier complet : Gestion des risques

Découvrir nos chroniques Législation et jurisprudence

Voir aussi