Conversation inspirante : un avenir énergétique durable et inclusif

Cet article s’inscrit dans la collection « PRATIQUE EXEMPLAIRE ».
Par Emmanuelle Gril, journaliste.
Claudine Bouchard, vice-présidente exécutive, cheffe de l’exploitation et des infrastructures d’Hydro-Québec et PDG de la Société d’énergie de la Baie James (SEBJ), a répondu aux questions de Sophie Larivière-Mantha, ing., présidente de l’Ordre des ingénieurs du Québec, sur les défis de la transition énergétique. Plongez dans cet échange captivant à propos du Plan d’action 2035 d’Hydro-Québec et de l’importance de favoriser la diversité et d’intégrer davantage de femmes dans le secteur de l’énergie.
Sophie Larivière-Mantha, ing. : Hydro-Québec a lancé son Plan d’action 2035, qui vise notamment l’ajout de 60 TWh d’ici 2035. C’est un chantier colossal que la province va mettre en place. Peux-tu nous en parler davantage ?
Claudine Bouchard, ASC :
À l’échelle mondiale, d’ici 2030, les investissements en transition énergétique atteindront 40 000 milliards de dollars. Le Québec va participer à cet effort collectif, et nous avons un atout : celui de produire une énergie propre à 99 % grâce à notre hydroélectricité, tout en procurant des tarifs parmi les plus bas.
Notre travail aujourd’hui consiste à nous assurer que cet avantage concurrentiel sera maintenu pour les prochaines générations. Pour cela, nous réfléchissons au meilleur mélange énergétique possible, notamment grâce à l’éolien, qui agira en complémentarité avec l’hydroélectricité. Parmi les 60 TWh de puissance qui seront ajoutés d’ici 2035, nous prévoyons donc 10 000 MW d’éolien. Nous avons récemment signé des ententes de partenariat dont le potentiel éolien total est de 4000 MW, et ce, en plus des projets éoliens déjà en cours de développement.
Augmenter la production d’électricité
Sophie : Vous cherchez à augmenter la puissance des centrales actuellement en service. Quel rendement additionnel pouvez-vous obtenir en remplaçant les groupes turbine-alternateur ?
Claudine : Certaines de nos centrales ont plus de 100 ans, leurs groupes turbine-alternateur arrivent en fin de vie utile et doivent être remplacés. Dans certains cas, comme à Carillon, nous avons réussi à accroître la production de 20 % en utilisant à peu près la même quantité d’eau, et de près de 30 % sur la Côte-Nord, à Manic-3.
Aujourd’hui, en ayant recours à la technologie, nous sommes en mesure de scénariser où une goutte d’eau aura un effet optimal et générera le maximum de mégawatts. En optimisant l’utilisation ou la production des centrales, nous pourrons produire jusqu’à 2000 MW de plus d’ici 2035.
Sophie : Y a-t-il d’autres travaux ou technologies qui permettront de maximiser les installations existantes et de faire face aux nouveaux défis ?
Claudine : Nous travaillons sur tous les plans, qu’il s’agisse de la production, du transport ou de la distribution. Par exemple, en ce qui a trait au réseau de transport d’électricité, nous avons été pendant longtemps les leaders mondiaux avec notre réseau à 735 000 V, développé ici au Québec.
Mais pour être plus performants et ajouter de la capacité, nous avons besoin d’équipements permettant de transiter davantage d’énergie sur les lignes afin de minimiser la construction de nouvelles infrastructures.
En distribution, nous pouvons maintenant automatiser le rétablissement des pannes, ce qui permet d’améliorer la qualité de service pour nos clients, la première priorité de notre Plan d’action.
Nous travaillons aussi sur la maintenance prédictive et sur la façon d’optimiser l’intégration d’une énergie renouvelable intermittente, comme l’éolien, tout en assurant la stabilité du réseau électrique. Nous avons également plusieurs projets de construction dans lesquels seront investis de 155 à 185 milliards de dollars d’ici 2035.
Nous devons implanter les nouvelles technologies pour accélérer la réalisation des travaux et réduire les coûts, tout en minimisant les risques de santé et sécurité au travail. Dans certains projets, on utilise déjà des technologies novatrices, comme les robots. Il faut penser à l’avenir et être agiles !
Améliorer la fiabilité du réseau
Sophie : La résilience des infrastructures sera essentielle à notre sécurité énergétique. Quelles mesures seront prises pour réduire le nombre de pannes liées aux événements météorologiques extrêmes et leur durée ?
Claudine : D’une part, notre parc d’actifs vieillit, et d’autre part, les changements climatiques s’accélèrent et ont un impact très réel sur notre réseau. La combinaison de ces deux facteurs représente un défi de taille.
En 2023, 80 % des pannes ont été liées à cinq événements météorologiques sévères majeurs. Pour nous assurer que cela aura moins de répercussions sur le réseau et pour nos clients, nous devons utiliser d’autres façons de faire et concevoir l’architecture du réseau différemment. D’ores et déjà, l’implantation des nouvelles technologies pourra nous aider à mieux faire face à ces événements. En parallèle, on doit nous assurer de réduire les interruptions liées à la présence de végétation. Nous intensifions nos efforts à cet égard pour améliorer rapidement la qualité de service offert à nos clients.
Le défi du recrutement de la main-d’œuvre
Sophie : Hydro-Québec a plusieurs projets ambitieux. Quels sont les défis en matière de main-d’œuvre ?
Claudine : Il y a des défis tout au long de notre chaîne de valeur, soit de la planification du réseau à la construction, en passant par la surveillance des travaux, l’exploitation des infrastructures, etc. C’est pourquoi nous devons développer les talents.
Nous travaillons avec les universités, la Commission de la construction du Québec et le gouvernement pour développer les programmes requis. Nous comptons également sur les travailleurs étrangers ; il reste beaucoup à faire pour que leur expérience soit reconnue.
Nous devons aussi intéresser les jeunes à notre domaine d’activité, ils doivent savoir que l’énergie est un secteur d’avenir.
Au-delà de l’écosystème énergétique, pour développer l’économie et assurer la prospérité d’un Québec décarboné, on a besoin de tous les talents.
« Une fois convaincue, lorsque des femmes arrivent à Hydro-Québec, je m’assure, avec mes collègues, qu’on est prêts à les recevoir et à les faire rayonner. »
CLAUDINE BOUCHARD, ASC
La présence des femmes
Sophie : La présence des femmes dans la profession est un aspect qui m’intéresse tout particulièrement. Comment vois-tu ça? Pourquoi l’avancement des femmes est-il important à tes yeux?
Claudine : Si on regarde les compagnies qui composent le S&P 500, les femmes ne représentent approximativement que 6 % des PDG. Au sein des conseils d’administration des entreprises du SPX au Canada, c’est environ 22 %. On est donc encore très loin de la parité…
Or, par leur vision différente, la présence des femmes permet d’enrichir les discussions, d’accroître l’innovation, d’améliorer la communication et de trouver de nouvelles façons de faire lorsqu’il est question d’acceptabilité sociale et du développement durable. Leur apport est essentiel.
C’est pourquoi il faut inspirer les jeunes femmes, leur donner des outils pour grandir, les aider à sortir de leur zone de confort et les inciter à se tourner vers des métiers moins traditionnels. D’ailleurs, cette question concerne tout le monde, tant les hommes que les femmes ; il s’agit d’une responsabilité collective envers la jeunesse et la prospérité du Québec.
Sophie : Comment attirer les femmes dans des domaines plus techniques, dans le secteur de l’énergie, par exemple ?
Claudine : On doit les intéresser quand elles sont jeunes et leur donner des modèles auxquels s’identifier. Mais attention, tout le monde ne veut pas nécessairement être PDG ; c’est pourquoi on a besoin de modèles à tous les échelons et pas seulement à la haute direction. Lorsque des femmes arrivent à Hydro-Québec, je m’assure, avec mes collègues, qu’on est prêts à les recevoir et à les faire rayonner.
Sophie : Que peuvent faire les femmes pour soutenir leur développement ?
Claudine : Cela commence par des connaissances et une solide expertise. Pour se démarquer, il faut être crédible dans son domaine. On doit surtout avoir le courage de ses convictions et être convaincue qu’on peut faire la différence au quotidien. C’est un travail d’équipe, il faut prendre le temps de constituer son réseau et de l’utiliser au moment opportun. Bâtir son réseau, c’est un précieux trésor.
En conclusion
En plus de nous aider à mieux comprendre le Plan d’action 2035 d’Hydro-Québec pour l’avenir d’un Québec décarboné et prospère, cette discussion nous rappelle l’importance d’intégrer les travailleuses et travailleurs de l’étranger ainsi que les femmes dans la réflexion.
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MINIBIO
Sophie Larivière-Mantha, ing., MBA, ASC
Présidente de l’Ordre des ingénieurs du Québec depuis 2022,
Sophie Larivière-Mantha s’est fixé trois priorités sur lesquelles elle désire intervenir durant son mandat : la surveillance des travaux, le développement durable et la place des femmes en génie.
Claudine Bouchard, ASC
Claudine Bouchard, vice-présidente exécutive, cheffe de l’exploitation et des infrastructures d’Hydro-Québec.
À ce titre, elle veille à la conception et à l’optimisation d’un système énergétique plus intelligent et plus interactif, intégrant de nouvelles technologies et de nouvelles ressources énergétiques renouvelables et variables. Cumulant aussi les fonctions de PDG de la Société d’énergie de la Baie James, elle a pour mandat de gérer les actifs et infrastructures d’Hydro-Québec et d’assurer la réalisation des projets de réfection et d’expansion les concernant.