Les murs de soutènement
Cet article s’inscrit dans la collection « Législation et jurisprudence ».
Par Marie-Julie Gravel, ing., conseillère à la surveillance de la pratique illégale et Me Patrick Marcoux, avocat
Débutons par un petit jeu. Selon vous, lequel des murs de soutènement reproduits ci-dessous est un ouvrage nécessitant la contribution d’un ingénieur?
Cet exercice n’était pas bien difficile. Ces deux photos montrent en effet les deux extrêmes d’un large éventail de murs de soutènement. Sans risquer d’y perdre notre chemise, nous parions que vous avez répondu «B» sans aucune hésitation. C’est la bonne réponse. Maintenant, sauriez-vous quoi répondre pour les cas moins évidents? Quelles sont les questions à se poser?
Un ouvrage d’ingénierie
Les murs de soutènement peuvent servir à de nombreux usages, mais dans tous les cas, leur fonction de base est de retenir et de stabiliser une quantité de sol afin de protéger des ouvrages (édifices, routes, espaces publics, etc.). Les murs de soutènement sont considérés comme étant des structures au sens de la Loi sur les ingénieurs, puisqu’ils supportent une charge, celle qui est exercée par les sols qu’ils retiennent.
C’est le second alinéa de l’article 3 de la Loi sur les ingénieurs qui s’applique aux murs de soutènement; on y lit ceci : «3. Les activités réservées à l’ingénieur en vertu du premier alinéa de l’article 2 se rapportent aux ouvrages suivants : […] 2° une structure, temporaire ou permanente, qui nécessite le recours à des études des propriétés des matériaux qui la composent ou qui la supportent […].»
(A)
(B)
On remarque d’emblée que la Loi ne définit pas une structure selon ses dimensions. Ce n’est donc pas sa hauteur qui déterminera si un mur de soutènement est assujetti à la Loi ou non. Un mur sera assujetti à la Loi si sa conception nécessite une étude des propriétés des matériaux. Cette étude servira à prévenir les risques que le mur en question pose à la sécurité du public. Si la sécurité du public est en cause, un ingénieur sera requis et prendra les mesures appropriées pour assurer une conception adéquate. Comment doit-on évaluer ce risque? Il faut se poser des questions concernant, notamment, la fonction du mur (structurale ou esthétique), sa hauteur, la nature des sols, les risques d’érosion ou de glissement de terrain dans le secteur, les charges à supporter sur le sol en haut du mur (présence d’un bâtiment, d’une route, d’un stationnement par exemple), les charges exercées par le sol en contrebas sur le mur. Les réponses à ces questions serviront à évaluer les risques que présente l’ouvrage et à décider s’il convient de recourir à une étude géotechnique pour calculer la charge à laquelle le mur sera soumis. Ces données seront utilisées pour faire la conception du mur (hauteur, épaisseur, inclinaison, matériaux, etc.).
Revenons aux photos présentées au début du présent texte. Dans le cas de la photo A, le muret fait partie d’un projet d’aménagement paysager et a été mis en place pour des raisons esthétiques. Cet ouvrage de faible hauteur est construit pour contenir une petite quantité de terre et de plantes. Les charges à supporter par le mur sont faibles et le mur ne protège aucun ouvrage. Cet ouvrage ne présente pas de risque pour la sécurité du public. Ainsi, pour concevoir ce petit muret, il n’est pas nécessaire de recourir à une étude
des propriétés des matériaux qui le composent ou le supportent; ce type de mur n’est clairement pas visé par l’article 3 de la Loi sur les ingénieurs.
La situation n’est pas la même dans le cas de la photo B. Celle-ci a été prise lors d’une enquête effectuée par le Service de la surveillance de la pratique illégale. L’entrepreneur n’avait pas fait appel à un ingénieur pour la conception de ce mur, constitué de plusieurs paliers d’environ 2 m de hauteur chacun. Or il est clair dans ce cas qu’une analyse de la nature des sols et des risques associés est requise pour la conception d’un ouvrage de ce type. Il faut prendre en compte les charges en présence afin de protéger à la fois les résidences situées en haut de la pente ainsi que la route et les résidences situées en contrebas. Plusieurs aspects dont il faut tenir compte ont des conséquences sur la sécurité du public; cet ouvrage est clairement assujetti à la Loi, et la préparation des plans et des devis s’y apportant est réservée à l’ingénieur.
Coexistence de règlements municipaux et de la Loi sur les ingénieurs
Il peut arriver que la règlementation municipale n’exige des plans d’ingénieurs qu’à l’égard de murs de soutènement présentant des caractéristiques particulières; par exemple, une municipalité peut fort bien choisir de n’exiger des plans d’ingénieur que pour des murs de soutènement excédant 2 m de hauteur. Toutefois, une telle exigence règlementaire ne peut aucunement se substituer à l’application de la Loi sur les ingénieurs. Celle-ci s’applique même si la municipalité n’exige pas de plan d’ingénieur. Si la conception du mur de soutènement demande une étude des propriétés des matériaux qui le composent ou le supportent, alors un plan d’ingénieur sera nécessaire, peu importe ce que mentionne la règlementation municipale.
Conclusion
Faut-il des plans et des devis signés et scellés par un ingénieur pour construire un mur de soutènement? Il n’existe malheureusement pas de réponse unique. Il sera nécessaire de s’interroger chaque fois au sujet des conditions du projet. Si ces conditions font en sorte qu’une étude des propriétés des matériaux est requise, alors un ingénieur sera requis. Vous avez d’autres questions au sujet de la Loi sur les ingénieurs? Vous aimeriez que nous abordions un sujet en particulier? N’hésitez pas à nous écrire à [email protected].