, 31 août 2022

Être membre d’un ordre professionnel : privilège et obligations

Être
Dernièrement, lorsque nous avons traité du secret professionnel(1) et de l’usage des médias sociaux(2), nous avons brièvement abordé le fait qu’être membre d’un ordre professionnel est un privilège qui vient avec certaines obligations. Nous avons cru bon cette fois-ci de revenir sur certaines de ces obligations en lien avec les enquêtes disciplinaires, à la lumière notamment de récentes décisions du Conseil de discipline de l’Ordre (CDOIQ).

Cet article s’inscrit dans la collection « Éthique et déontologie ».
Par Me Martine Gervais, avocate Chef d’équipe de la gestion des demandes d’enquête et conseillère juridique au Bureau du syndic et Philippe-André Ménard, ing. Syndic adjoint


Répondre aux demandes du bureau du syndic

Lors des enquêtes disciplinaires menées par le Bureau du syndic, la principale obligation des membres, qu’ils ou elles fassent l’objet d’une enquête ou soient simplement des témoins, est « de répondre dans les plus brefs délais3 ».
De plus, en vertu du Code des professions4, les membres n’ont pas le droit au silence et ne peuvent invoquer le secret professionnel ou des ententes de confidentialité pour se dérober à leurs obligations. Les membres doivent fournir une version des faits complète, sans omission ni déclaration trompeuse.
Au cours des dernières années, le CDOIQ a sévèrement sanctionné des ingénieurs qui refusaient de répondre aux questions5 ou encore qui fournissaient un témoignage incomplet et mensonger6.

Agir avec diligence

Récemment, le CDOIQ a sanctionné des ingénieurs qui avaient entravé le travail de représentants du Bureau du syndic en ne donnant pas suite à diverses demandes. Un de ces membres s’est vu imposer une radiation de deux mois, et les deux autres ont dû payer des amendes allant de 6 000 $ à 12 000 $.
Dans la première affaire7, l’ingénieur a négligé pendant quelques mois de fournir sa version des faits, comme le demandait le syndic adjoint, et ce, malgré plusieurs courriels, appels téléphoniques et un envoi recommandé à cet effet.

Dans sa décision, le CDOIQ rappelle l’importance de la collaboration de l’ingénieur :

« [56] L’obligation de répondre au syndic avec diligence […] est essentielle pour permettre au syndic de tout ordre professionnel de faire enquête et ainsi d’assurer son rôle de protecteur du public. »
« [57] En effet, la non-collaboration d’un professionnel visé par une demande d’enquête du syndic de son ordre professionnel a pour effet de mettre en échec tout le travail du syndic, qui a pour fonction première la protection du public et le processus disciplinaire qui pourrait en découler. »

Dans les deux autres affaires, le Bureau du syndic a coopéré avec le Comité d’inspection professionnelle (CIP) de l’Ordre afin d’obtenir la collaboration d’ingénieurs qui s’étaient, au départ, montrés quelque peu réfractaires au processus d’inspection professionnelle. Ces derniers avaient soit négligé carrément de répondre aux communications du CIP et du Bureau du syndic8, soit négligé de fournir toute la documentation demandée9.

Encore ici, le CDOIQ se prononce sur la gravité du manque de collaboration10 :

« [53] Le Conseil est aussi d’avis que le défaut de l’ingénieur de collaborer avec les diverses instances de l’Ordre, dont le [Comité d’inspection professionnelle] et le Bureau du syndic, constitue un manquement objectivement grave, considérant sa principale mission d’assurer la protection du public. »
« [69] Le manque de collaboration d’un ingénieur avec l’Ordre est susceptible d’affecter la crédibilité de la profession, considérant que cet élément influence en partie la perception du public quant à savoir si les ingénieurs en général respectent les règles de la profession et sont dignes de confiance. »

Consacrer le temps nécessaire

Répondre aux demandes du Bureau du syndic, c’est aussi y consacrer, à ses frais, le temps nécessaire.
À ce sujet, le CDOIQ a récemment sanctionné un ingénieur qui avait réclamé des honoraires professionnels à son client, après que ce dernier eut déposé une demande d’enquête le concernant au Bureau du syndic :

« [129] […] réclamer des honoraires à un demandeur d’enquête pour le temps consacré à répondre aux demandes du syndic est de nature à décourager les membres du public de dénoncer des situations problématiques ou à les inciter à refuser de continuer leur collaboration avec le Bureau du syndic. »
« [130] Or, le syndic a un rôle central à jouer au sein du système disciplinaire. Il en est la clé de voûte. La collaboration des membres du public est essentielle pour permettre au syndic ainsi qu’au système disciplinaire d’assurer sa mission de protection du public. Une personne songeant à dénoncer une situation et le demandeur d’enquête peuvent être intimidés par de telles manoeuvres. »
« [139] Le Conseil considère nécessaire d’imposer une sanction exemplaire […] afin de dissuader les autres ingénieurs de commettre ces infractions. »

Fournir les documents demandés

Dans le cadre de leurs enquêtes, pour établir de façon probante la chronologie des évènements ainsi que les inconduites déontologiques, le cas échéant, les représentants et représentantes du Bureau du syndic ont souvent besoin de différents documents de toutes natures : plans et devis, rapports, contrats, échanges de courriels, notes, dossiers techniques, etc.
Lorsqu’on leur demande de fournir de tels documents, les membres doivent les transmettre dans les meilleurs délais. Cette demande est faite en vertu des pouvoirs d’enquête que le Code des professions confère aux représentants et représentantes du Bureau du syndic11.
Ainsi, peu importe qui est l’employeur de l’ingénieure ou de l’ingénieur visé par une telle demande, cette demande n’est pas faite en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels et ne doit donc pas être traitée comme telle, avec les délais et les restrictions que cette loi prévoit.
Le Bureau du syndic s’attend donc à recevoir dans les délais raisonnables impartis des documents ni caviardés ni manipulés.

 

1 Martine Gervais et Philippe-André Ménard, « Confiance du public et secret professionnel », Plan, volume 59, no 2, mars-avril 2022.
2 Martine Gervais et Philippe-André Ménard, « Les médias sociaux et la déontologie : prudence et retenue », Plan, volume 59, no 3, mai-juin 2022.
3 « L’ingénieur doit répondre dans les plus brefs délais à toute correspondance provenant du syndic de l’Ordre, du syndic adjoint ou d’un syndic correspondant, des enquêteurs, des membres du comité d’inspection professionnelle ou du secrétaire de ce dernier comité. » (Code de déontologie des ingénieurs, article 4.02.02.)
4 « […] le professionnel […] ne peut invoquer son obligation de respecter le secret professionnel pour refuser de le faire. » (Code des professions, article 192.)
5 Ingénieurs (Ordre professionnel des) c. Farley, 2016 CanLII 26324 (QC CDOIQ).
6 Ingénieurs (Ordre professionnel des) c. Hébert-Croteau, 2019 CanLII 144892 (QC CDOIQ).
7 Ingénieurs (Ordre professionnel des) c. Duquette, 2021 QCCDING 20.
8 Ingénieurs (Ordre professionnel des) c. Legault, 2021 QCCDING 26.
9 Ingénieurs (Ordre professionnel des) c. Saidi-Garakani, 2022 QCCDING 21 (CanLII).
10 Ingénieurs (Ordre professionnel des) c. Legault, 2021, QCCDING 26.
11 Voici les extraits des articles du Code des professions concernés :
Article 114 : « Il est interdit d’entraver de quelque façon que ce soit un membre du comité, la personne responsable de l’inspection professionnelle nommée […], un inspecteur ou un expert […], de refuser de lui fournir un renseignement ou document […] ».
Article 122 : « Un syndic peut […] exiger qu’on lui fournisse tout renseignement et tout document relatif à cette enquête […] ».
Article 192 : « Peuvent […] requérir la remise de tout document […] un syndic […] ».

Voir aussi