, 1 mars 2022

Carmel-Antoine Bessard : À contre-courant

Carmel-Antoine Bessard, fille d’immigrants haïtiens, réalise son rêve en devenant ingénieure. Cette ingénieure à la Ville de Montréal est heureuse de faire valoir la diversité au sein de sa profession. Envers et contre tout, Carmel-Antoine Bessard, ing., a non seulement réussi à étudier en génie, mais aussi à faire valoir la diversité au sein de sa profession.

Les parcours rectilignes, très peu pour elle. Carmel-Antoine Bessard trace sa route avec ténacité et aplomb, en assumant ses choix.  Ingénieure depuis 15 ans à la Ville de Montréal au Service de l’environnement, cette fille d’immigrants haïtiens n’était pas destinée à faire une carrière scientifique. Pourtant, elle a réussi à obtenir son baccalauréat en génie chimique à l’Université McGill, après avoir décroché non pas un mais deux diplômes d’études collégiales en sciences.

Élevée dans le nord de Montréal, la jeune CarmelAntoine entretient dans son enfance plus de liens avec la diaspora haïtienne de New York qu’avec le reste du Québec. Qu’à cela ne tienne, elle s’engage dans le corps des Cadets royaux de l’Armée canadienne et apprend la survie en forêt avec le régiment des Fusiliers Mont-Royal, au cours des expéditions en Gaspésie, à la base des Forces canadiennes de Valcartier ou en Estrie. Grande lectrice des Aventures de Tintin et des romans de la série Bob Morane, elle se voit bien devenir espionne. «Ces lectures ont contribué à développer mon intérêt pour la culture scientifique, souligne-t-elle plusieurs décennies plus tard, parce que la débrouillardise y était à l’honneur. »

Seulement voilà, élevée dans un milieu modeste, la jeune fille ne dispose pas de l’argent nécessaire pour entreprendre de longues études universitaires. Et son père ne comprend pas l’intérêt d’une fille pour la physique et les mathématiques. Bien décidée à tracer sa voie malgré tout, elle choisit de suivre une formation technique au cégep, en transformation de procédés chimiques. Une façon pour elle de s’assurer un emploi, car les postes d’opérateurs de machines fixes sont très recherchés dans les années 1990.

Si j’avais vécu là où mes parents sont nés, c’est sûr que je n’aurais pas eu ce parcours professionnel, car les inégalités sociales existent.

Carmel-Antoine Bessard, ing. — Ville de Montréal

La voilà donc en stage à la raffinerie Ultramar de Saint-Romuald, puis employée à la centrale nucléaire Gentilly-2 pendant neuf ans. Ces expériences dans un monde industriel s’avèrent très utiles lorsqu’elle s’inscrit finalement en génie des procédés, plus  communément appelé génie chimique à l’Université McGill. Femme noire dans une cohorte où seulement deux étudiants ont plus de 32 ans, elle s’accroche à ces études dont elle a longtemps rêvé. Plus tard, elle obtient une maîtrise en administration publique, concentration Gestion municipale, de l’ENAP. «Je suis très fière de mon parcours et de la chance que j’ai eue d’avoir accès à des études supérieures», témoigne l’ingénieure.

Pour la diversité en génie

Passionnée par ses cours, la jeune femme profite aussi de son passage à l’université pour rappeler aux plus jeunes l’importance de valoriser le rôle des femmes en génie. À McGill, elle relance d’ailleurs le comité POWE (Promoting Opportunities for Women in Engineering) chargé des commémorations autour de la tuerie de Polytechnique, au moment où, 10 ans plus tard, plusieurs ont oublié ce tragique événement. En 2016, elle s’implique d’ailleurs à titre de marraine pour la conférence pancanadienne sur la diversité en génie organisée par son alma mater, qui met l’accent sur toutes les diversités.

«Ma présence a permis aux étudiantes et étudiants d’accéder à des services et à des ressources dont ils n’auraient pas eu vent dans le monde dans lequel ils évoluent, comme la participation de la Ville de Montréal à la création d’oriflammes à l’effigie de la conférence et
leur pose en plein centre-ville, la signature du Livre d’or de la Ville de Montréal ou des accès directs avec la police», mentionne celle qui démarre sa carrière à la Ville de Montréal en 2007.

D’abord embauchée comme dépisteuse des fuites d’eau dans le vaste univers des infrastructures souterraines montréalaises, un métier qu’elle a adoré, CarmelAntoine Bessard travaille ensuite dans le service chargé d’appliquer les règlements en environnement. Son rôle consiste à contrôler à la source les rejets industriels dans les ouvrages d’assainissement, comme les égouts, et les rejets dans l’atmosphère. Ce travail la passionne, puisqu’il lui permet de conjuguer ses intérêts pour l’environnement, tout en dialoguant avec les entreprises. «Montréal, c’est chez moi, j’ai envie d’en prendre soin, affirme l’ingénieure. Le bien-être des citoyens et citoyennes et celui des industries me tiennent à cœur.»

L’héritage haïtien

Si une partie du cœur de Carmel-Antoine Bessard bat pour la métropole québécoise, une autre portion résonne pour Haïti. Deux ans après le tremblement de terre qui a détruit une partie de Port-au-Prince, cette fille d’Haïtiens renoue avec le berceau familial de façon professionnelle. Pendant près d’un an, en 2012, elle travaille à Truitier, un dépotoir métropolitain de Port-au-Prince, dans le quartier Cité-Soleil. Sa mission : surveiller l’entrepreneur gérant le site de revalorisation de gravats des bâtiments endommagés.

«Ma vie a complètement changé, reconnaît l’ingénieure. Il y a vraiment un avant et un après Haïti.» Immergée dans une société où elle n’est plus une «minorité», elle prend conscience de l’importance de son héritage créole, mais aussi des acquis de son éducation  québécoise. Difficile en effet d’imaginer qu’elle aurait pu assumer un rôle de surveillance sur un chantier comme ingénieure si elle avait grandi dans la Perle des Antilles. «Si j’avais vécu là où mes parents sont nés, c’est sûr que je n’aurais pas eu ce parcours professionnel, car les inégalités sociales existent», explique-t-elle. Rentrée à Montréal, la voilà plongée dans l’écriture. Les deux tomes de Dyaspora Lakay, qui donnent la parole à une ingénieure, témoignent de cette expérience hors normes.

Membre du Comité consultatif d’urbanisme de Montréal-Nord, l’ingénieure veille à ce que les projets d’urbanisme correspondent bien aux besoins d’inclusion de ce quartier très multiculturel. Personne multiple assumée, Carmel-Antoine Bessard exprime pourtant sa préférence pour la profession d’ingénieure. «Je voudrais terminer ma carrière dehors, sur un chantier, bottes de sécurité aux pieds et casque sur la tête, déclare-t-elle. C’est là où je me sens le plus heureuse.»

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