Informatique quantique : à la recherche de ses mystères
Cet article s’inscrit dans la collection « VOIR GRAND ».
Par Valérie Levée, journaliste.
Grâce à sa puissance, l’informatique quantique décuple les possibilités de simulations complexes et d’optimisation, mais risque aussi de rendre obsolètes les méthodes de chiffrement actuelles utilisées pour faire face au cyberpirates. Gros plan sur les défis et ses promesses avec la professeure Soumaya Cherkaoui, ing.
MonarQ, c’est le nom de l’ordinateur quantique que Calcul Québec a acheté à Anyon Systems, une entreprise montréalaise. À Bromont, PINQ2, la Plateforme d’innovation numérique et quantique du Québec, héberge aussi un ordinateur quantique, l’IBM Quantum System One. La force de ces ordinateurs réside dans l’utilisation de qubits, capables d’exister dans plusieurs états superposés, contrairement aux bits de nos ordinateurs classiques qui n’existent que dans deux états : le 1 et le 0. Si la superposition quantique permet à un qubit d’encoder simultanément plusieurs états, l’intrication quantique corrèle ces états de manière exponentielle, tandis que l’interférence quantique amplifie les solutions optimales, ouvrant ainsi l’exploration parallèle d’un vaste espace de configurations.
« Imaginez un labyrinthe. En informatique classique, les chemins sont explorés un par un, alors qu’en quantique, toutes les trajectoires sont explorées à la fois », illustre Soumaya Cherkaoui, ing., professeure au Département de génie informatique et génie logiciel à Polytechnique Montréal. L’informatique quantique devient réalité dans des entreprises proposant déjà l’accès à des processeurs quantiques via le nuage.
La cybersécurité à réinventer
Forte de ces capacités uniques, l’informatique quantique accélère les simulations complexes et facilite la recherche de solutions optimales avec des applications en logistique, en finances ou en recherche pharmaceutique, entre autres.
Mais cette force de calcul représente aussi une menace, car elle permettrait de briser les algorithmes de cryptographie classiques. Cependant, la défense s’organise. Une course contre la montre a commencé pour développer des algorithmes qui, par leurs propriétés mathématiques, pourront résister aux attaques quantiques.

« Imaginez un labyrinthe. En informatique classique, les chemins sont explorés un par un, alors qu’en quantique, toutes les trajectoires sont explorées à la fois ».
Soumaya Cherkaoui, ing., professeure au Département de génie informatique et génie logiciel à Polytechnique Montréal.
L’informatique quantique fournit aussi des pistes pour bloquer les cyberpirates. Une première piste passe par la distribution quantique des clés. Explication : lorsqu’une entité A transmet des données à une entité B, celles-ci sont chiffrées avec une clé encodée par la technologie quantique et transmise via un canal quantique. Toute interception modifie irréversiblement les états quantiques : le qubit intercepté perd ses propriétés quantiques et se transforme en bit classique. Cette altération devient détectable par A et B, ce qui conduit au rejet de la clé.
La deuxième piste repose sur les simulations quantiques, qui permettent de tester des scénarios de sécurité plus complexes et de mieux se préparer aux attaques.
Enfin, la troisième piste, explorée par Soumaya Cherkaoui, fait appel à l’apprentissage automatique quantique. L’objectif est d’exploiter des algorithmes quantiques pour révéler des corrélations ou des motifs complexes dans les données par l’apprentissage automatique quantique afin d’améliorer la détection de cyberattaques sophistiquées et d’anomalies subtiles.
Un monde limité, mais déjà vaste
L’informatique quantique est en marche, mais elle n’en est qu’à ses premiers pas, notamment parce que les ordinateurs quantiques n’offrent qu’un nombre limité de qubits. « Quand on développe des algorithmes quantiques, il faut tenir compte du nombre de qubits que l’on peut utiliser », explique Soumaya Cherkaoui. La décohérence, où les qubits perdent leur état quantique en interagissant avec l’environnement, est une autre contrainte majeure. « Maintenir la cohérence des qubits, essentielle pour les opérations, reste un défi », précise l’ingénieure. Or la décohérence limite sévèrement le nombre d’opérations réalisables.
Malgré les défis, d’importantes avancées sont attendues grâce aux feuilles de route prometteuses d’entreprises visant des qubits logiques stables et des systèmes de correction d’erreurs. La professeure voit l’informatique quantique comme « un domaine révolutionnaire, exigeant une refonte des approches algorithmiques et attirant de plus en plus d’étudiants enthousiasmés par son potentiel ».
Trouver la solution optimale
L’informatique quantique donne un nouvel élan à la simulation et à la recherche de solutions optimales.
Par exemple, Soumaya Cherkaoui mène des recherches sur l’optimisation quantique de l’allocation des ressources dans les réseaux de communication. Son travail exploite les capacités des algorithmes quantiques pour maximiser l’efficacité spectrale et énergétique tout en répondant aux demandes croissantes de capacité, de fiabilité et de latence ultrafaible.
D’autres applications incluent la recherche d’itinéraires optimaux, la simulation moléculaire pour la recherche de médicaments, l’évaluation des stratégies d’investissement…
Un champ transdisciplinaire
Le développement de l’informatique quantique repose sur des compétences dans de nombreux domaines :
- mécanique quantique et science des matériaux pour améliorer la performance des ordinateurs quantiques ;
- outils mathématiques de calcul algorithmique, calcul quantique et simulation pour développer la programmation quantique ;
- science des matériaux, cryptographie et intelligence artificielle pour la transmission de l’information quantique et la cybersécurité.
Les nombreuses disciplines – la logistique, la finance, la chimie, la climatologie, etc. – qui utilisent les simulations informatiques et l’intelligence artificielle pourraient bénéficier de l’informatique quantique et faire appel aux compétences afférentes.
