Une vision d’avenir portée par l’ingénierie

La transformation de la mobilité au Québec prend plusieurs visages, et pour chacun d’eux, l’ingénierie contribue activement aux changements attendus en proposant une nouvelle manière de concevoir les déplacements des personnes et des marchandises dans une vision d’avenir.

Cet article s’inscrit dans la collection « VOIR GRAND ».
Par Mélanie Larouche, journaliste.


Le gouvernement compte faire du Québec un leader nord-américain de la mobilité durable et intégrée.  Les ingénieures et les ingénieurs y ont un important rôle à jouer.  On compte entre autres sur leur expertise pour bien orienter les actions sur la base de données probantes, d’analyses et de réflexions poussées, d’exercices de modélisation et de simulation, ainsi que pour proposer une planification intégrée de l’aménagement du territoire et des modes de transport. Rien de moins !

Prévoir les besoins futurs

« Le ministère des Transports et de la Mobilité durable (MTMD) est composé de plusieurs secteurs, explique Yan Turgeon, conseiller expert en mobilité durable au MTMD. Les ingénieures et les ingénieurs qui travaillent dans chacun de ces secteurs possèdent une expertise unique, souvent très pointue. Le défi de la Politique de mobilité durable (PMD), c’est de faire en sorte que tout le monde se parle, que l’expertise spécifique de chaque secteur percole au sein du ministère, que les actions de tous les secteurs convergent vers la mobilité durable. Par exemple, si la réhabilitation d’une voie de chemin de fer destinée au transport de marchandises peut bénéficier au transport des personnes, il faut saisir cette occasion. La PMD nous permet de faire ces liens et d’accélérer la transition. »

Pour éclairer la prise de décision, le MTMD peut compter sur le travail de modélisation réalisé à partir des résultats des enquêtes origine-destination des grandes agglomérations urbaines. Ingénieure en planification des transports urbains, Louiselle Sioui travaille à la Direction de la modélisation au MTMD. « En modélisation, nous avons accès à beaucoup de données sur la mobilité, notamment grâce aux grandes collectes de données que sont les enquêtes origine-destination, indique-t-elle. Ces enquêtes nous aident à comprendre et à modéliser les déplacements des ménages. Ainsi, on est bien outillés pour développer des indicateurs, contextualiser les motifs de déplacements et anticiper les comportements, de façon à éclairer la prise de décision. Le génie des transports, c’est très humain, plus que d’autres domaines du génie, en raison de l’objet d’étude. On parle des gens, on cherche à comprendre leurs comportements et à anticiper les déplacements futurs. »

Le génie des transports, c’est très humain, plus que d’autres domaines du génie, en raison de l’objet d’étude. On parle des gens, on cherche à comprendre leurs comportements et à anticiper les déplacements futurs.

Louiselle Sioui, ing., ingénieure en planification, Des transports urbains au ministère des Transports et de la Mobilité durable 

 

Proposer diverses options de transport

Stéphane Blais, ing., directeur de l’expertise vélo à Vélo Québec — un organisme sans but lucratif qui a pour mission d’encourager les gens à utiliser le vélo comme mode de déplacement —souligne que l’utilisation du vélo contribue à l’atteinte de plusieurs des cibles du plan d’action de la PMD, entre autres celles de mettre la mobilité au service des citoyennes et des citoyens et de réduire l’empreinte carbone. « Il ne faut pas négliger l’aspect culturel dans la compréhension de la mobilité et dans notre volonté de changement des habitudes, cet aspect humain est très sensible, insiste-t-il. Aussi, la notion de partage équitable des espaces publics est un élément fondamental ; nous devons le traiter de manière à favoriser le bien commun. Nous devons offrir aux gens diverses options de transport, à la fois sécuritaires et confortables. »

L’implantation de voies cyclables ne sert pas que les intérêts des cyclistes, elle profite à l’ensemble de l’écosystème d’un quartier. « Elle permet de civiliser les déplacements, d’éloigner les voitures du trottoir, ajoute Stéphane Blais. Elle s’intègre à une vision globale, avec l’ajout de verdure pour limiter les îlots de chaleur. »

La notion de partage équitable des espaces publics est un élément fondamental ; nous devons le traiter de manière à favoriser le bien commun. Nous devons offrir aux gens diverses options de transport, à la fois sécuritaires et confortables.

Stéphane Blais, ing., directeur de l’expertise vélo à Vélo Québec

Mettre en place une infrastructure intelligente

Professeur à l’Université de Sherbrooke et directeur du Laboratoire sur l’intelligence véhiculaire, Denis Gingras, ingénieur à la retraite, note que les infrastructures de transport auront de plus en plus tendance à privilégier une utilisation multimodale. « Le gros défi d’ingénierie consistera à intégrer et à coordonner l’intelligence adaptée aux différents modes de transport. Nous aurons également besoin de capteurs (lidars, radars, vidéos, etc.) pour collecter des données afin de mieux comprendre et anticiper la dynamique de l’environnement. L’infrastructure intelligente peut servir à plusieurs usages ; ainsi, des lampadaires intelligents peuvent adapter l’éclairage à la luminosité, surveiller la météo, recueillir des données sur le trafic ou diffuser de l’information. Une chaussée munie de capteurs intégrés permet déjà le monitorage du trafic et des conditions d’adhérence à sa surface. »

Générer d’énormes quantités de données exige l’automatisation du stockage, du traitement et de la synthèse des informations obtenues après analyse, précise Denis Gingras. « De plus, les trois ordres de gouvernement se partagent le système routier, d’où la pertinence d’échanger des données pour rendre les routes plus performantes, pour mieux planifier, déterminer les zones à risque, etc. »

En milieu urbain, il pourra un jour être avantageux d’intégrer les véhicules autonomes pour certaines fonctions, comme véhiculer plusieurs personnes à la fois, afin de réduire le voiturage en solo et le nombre de véhicules sur la route. « Il faut adapter la mobilité en fonction des aspects géographiques, démographiques et des divers besoins des citoyens, poursuit Denis Gingras.  La technologie des véhicules autonomes sans conducteur progresse, mais elle n’est pas encore totalement au point, notamment en ce qui concerne l’évaluation des risques et les aspects de sécurité routière liés à son utilisation. En particulier, les véhicules autonomes ne sont pas encore bien adaptés aux conditions hivernales. Pour ce qui est de leur système de propulsion, logiquement, les véhicules autonomes seront tous électriques. » En misant sur l’innovation, l’expertise et une planification intégrée, l’ingénierie québécoise façonne la mobilité durable de demain.

Par des approches humaines, technologiques et collaboratives, elle répond aux défis actuels et futurs, affirmant son rôle central dans la transition vers des solutions de transport adaptées, responsables et axées sur le bien commun.

Le gros défi d’ingénierie consistera à intégrer et à coordonner l’intelligence adaptée aux différents modes de transport. Nous aurons également besoin de capteurs (lidars, radars, vidéos, etc.) pour collecter des données afin de mieux comprendre et anticiper la dynamique
de l’environnement.

 

Denis Gingras, ingénieur à la retraite, professeur à l’Université de Sherbrooke et directeur du Laboratoire sur l’intelligence véhiculaire

 

Un autopartage remplace 10 véhicules personnels

Les services d’autopartage ont assurément un rôle à jouer dans l’atteinte des objectifs de mobilité durable au Québec.  Pionnière de l’autopartage en Amérique, Communauto dessert plus de 50 000 personnes au Québec annuellement. Selon des études réalisées par des chercheurs de Polytechnique Montréal, chaque voiture d’autopartage de Communauto remplace 10,2 voitures privées et les usagers utilisent quatre fois moins la voiture que ceux qui possèdent un véhicule. D’autres études montrent que l’autopartage entraînerait une réduction d’environ 30 % à 40 % des kilomètres parcourus. Cette diminution des déplacements effectués en voiture se traduirait, en moyenne, par une réduction de 1,2 tonne des émissions de CO2 pour chaque usager.

Repenser les priorités pour un avenir plus vert

Par Marie Lefebvre, directrice des communications de l’OIQ.

La mobilité durable vise l’adoption de modes de transport efficaces et respectueux de l’environnement. Amélie Cossé, de la firme-conseil en transport Momentum Consultants, est spécialisée dans ce domaine et approuve la démarche RTA (Réduire – Transférer – Améliorer) pour faire du Québec un leader en matière de mobilité durable. Voici un rappel des trois piliers de cette approche :

  1. Réduire implique de prioriser la densification urbaine et l’intégration de la mobilité dans l’aménagement du territoire plutôt que l’étalement urbain, afin de diminuer les déplacements motorisés quotidiens des citoyennes et des citoyens, en concevant des espaces où il est possible de vivre, travailler et accéder aux services localement.
  2. Transférer signifie effectuer un transfert modal vers des options de transport plus durables, comme la marche, le vélo ou les transports collectifs. Ce faisant, on cherche à accroître la part modale des transports actifs (vélo et marche) et collectifs (transport en commun, covoiturage, autopartage)
  3. Améliorer consiste à procéder à l’électrification des déplacements restants, notamment ceux qui sont liés à la logistique urbaine.

La démarche RTA se concentre sur les modes de transport, mais porte également sur l’aménagement du territoire et l’urbanisme pour encourager des pratiques durables. Comme le souligne Amélie Cossé, l’ordre de priorité doit être respecté rigoureusement pour atteindre les objectifs fixés :

« La politique la plus efficiente pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre associées au transport consiste à réduire la nécessité de se déplacer sur de longues distances en concentrant nos activités dans un territoire aménagé pour privilégier la densité et la mixité d’usage. »

Amélie Cossé note que les politiques et les investissements québécois mettent l’accent sur l’électrification, au détriment des étapes essentielles de réduction et de transfert. Elle cite la ville de Londres comme modèle inspirant, où chaque projet immobilier doit démontrer des des répercussions positives sur la mobilité locale et la santé des rues environnantes.

Pour le Québec, le défi est double. D’une part, il s’agit de promouvoir une collaboration beaucoup plus étroite entre des personnes issues de disciplines variées — urbanistes, architectes, architectes paysagistes et ingénieurs — avec les constructeurs et promoteurs immobiliers. Cette synergie est essentielle pour répondre efficacement aux besoins en mobilité de la population, tout en tenant compte également des besoins des piétons, des cyclistes et des commerçants.

D’autre part, le cadre d’aménagement du gouvernement du Québec pourrait jouer un rôle accru en faveur de la mobilité durable par l’adoption de règles et d’outils visant à renverser la logique actuelle, centrée sur l’automobile. Ces mesures devraient être applicables à tous les échelons : provinciale, régionale, municipale et locale.

 Amélie Cossé, de la firme-conseil en transport Momentum Consultants

 

 

 

 

 

 

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