Transition énergétique : le Québec a besoin d’un profond changement des mentalités
Cet article s’inscrit dans la collection « VOIR GRAND ».
Par William Thériault, journaliste.
Chantier colossal, la transition énergétique est un processus de longue haleine qu’il faut entreprendre rapidement. Mais pour ce faire, l’appui de toute la société est essentiel. Pour l’instant, l’hésitation se fait sentir.
Les trois experts que PLAN a consultés sont unanimes : si le Québec souhaite mener cette imposante entreprise à bon port, il faudra insuffler un profond changement de mentalité dans toutes les sphères de la société et de l’économie, autant dans la population que chez les donneurs d’ordre et chez les ingénieures et ingénieurs. On peut même parler de la nécessité d’un « réveil collectif ».
« Il y a un écart entre les acteurs qui interviennent dans le domaine de l’énergie et la population en général, indique Yvan Cliche, spécialiste en énergie et fellow du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM). Les gens ne comprennent pas bien ce que la transition va changer dans leur vie de tous les jours. »
Ce spécialiste ajoute qu’il faudra construire plusieurs nouveaux aménagements visibles pour réussir la transition – comme des lignes électriques et des barrages hydroélectriques –, ce qui aura un effet près des territoires habités. On devra aussi creuser des mines, puisque l’Agence inter- nationale de l’énergie prévoit qu’il faudra multiplier par six les minéraux disponibles : cobalt, graphite, lithium, nickel, terres rares et autres sont nécessaires pour passer du fossile à l’électrique. L’acceptabilité sociale de certains projets risque d’être compliquée à obtenir à maints endroits.
« Lorsque le citoyen moyen a un micro sous le nez, il dit qu’il est d’accord avec le fait qu’on doit aider l’environnement, note Yvan Cliche. Mais si on consulte des sondages qui demandent combien d’argent les gens sont prêts à mettre de leur poche, on obtient des réponses moins enthousiastes. »
On peut également remarquer cette hésitation du côté des entreprises québécoises. Seules 30 % d’entre elles ont déjà pris des mesures pour optimiser la gestion de l’énergie et du transport, selon le Baromètre de la transition des entreprises 2023.
« Il y a un écart entre les acteurs qui interviennent dans le domaine de l’énergie et la population en général. Les gens ne comprennent pas bien ce que la transition va changer dans leur vie de tous les jours. »
Yvan Cliche, spécialiste en énergie et Fellow du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM)
Pourquoi changer ?
Actuellement, le Québec représente un petit « paradis énergétique » où l’on peut consommer de grandes quantités de kilowatts à faible coût. « On vit dans le confort ; et l’être humain, s’il ne se fait pas bousculer, ne va pas se lever pour effectuer des changements », déclare Stephan Brettschneider, ing., professeur de génie électrique au Département des sciences appliquées à l’Université du Québec à Chicoutimi.
Démarrer un programme énergétique et environnemental strict requiert beaucoup de patience et de persévérance. Les échéances électorales revenant tous les quatre ans, c’est toujours un pari risqué pour un gouvernement de se lancer dans cette aventure, surtout quand cela bouscule nos habitudes, soutient Yvan Cliche.
Au Québec, 70 % des émissions de gaz à effet de serre proviennent toujours de la combustion de carburants fossiles, rappelle pour sa part Johanne Whitmore, chercheuse principale à la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal. Le défi est désormais de consommer autrement, tout en dépolitisant le sujet.
« La transition, ce n’est pas une question d’écologie, mais du modèle de production et de consommation. Or, ce modèle n’est pas durable, car il atteint les limites physiques de la biosphère, poursuit Johanne Whitmore. Il faut opter pour une approche circulaire des biens et services dans notre économie. » Ce genre de système existe déjà : il suffit de penser aux bibliothèques, ou aux entreprises comme Bixi et Communauto. Chaque personne n’utilise un bien ou un service que lorsque c’est nécessaire.
Dans cet esprit, certaines entreprises québécoises utilisent déjà des procédés de récupération de chaleur, par exemple pour faire pousser des légumes en serre durant l’hiver. Mais ce n’est pas encore une pratique courante.
« On vit dans le confort ; et l’être humain, s’il ne se fait pas bousculer, ne va pas se lever pour effectuer des changements. »
Stephan Brettschneider, professeur de génie électrique au département des sciences appliquées à l’Université du Québec à Chicoutimi
C’est une crise
« Notre cerveau a appris à vivre avec la crise climatique, donc on ne s’en rend plus compte… mais ce n’est pas normal, estime Johanne Whitmore. En Europe, la qualité de vie se compare à la nôtre, même si les gens ont des voitures et des appareils ménagers qui sont à la fois plus petits et plus efficaces. Ils ont franchi la limite avant nous. La différence, c’est que nous avons toujours le “luxe” de gaspiller l’énergie au Québec parce que le prix est faible. Mais un jour on ne l’aura plus, donc aussi bien commencer à s’adapter maintenant. »
« En France, quand le gaz de la Russie n’était plus disponible après six mois de guerre avec l’Ukraine, les autorités ont décidé de couper le chauffage ou de contrôler la consommation d’énergie dans les résidences étudiantes – même si c’était l’hiver, rapporte Stephan Brettschneider. Quand des mesures sont imposées, les gens se plaignent, mais finissent par s’y conformer. Idéalement, je ne souhaite pas en arriver là. Si on éduque les jeunes générations et qu’elles intègrent cette notion, ça va être beaucoup plus durable que des actions obligatoires auxquelles la population participe à reculons. »
Ce qu’il manque, c’est une approche systémique pour créer de la richesse par une plus grande optimisation de la consommation des ressources, fait valoir Johanne Whitmore. « L’économie de demain devra être circulaire afin de créer de la richesse avec une empreinte matérielle et énergétique considérablement réduite. Les ingénieures et les ingénieurs, par exemple, devraient être formés selon cette approche dès la première année de leurs études. Actuellement, ces sujets sont présentés plus tard dans leur formation et dans des cours à option. »
Une bonne nouvelle dans tout cela : technologiquement, le Québec n’est pas à plaindre. « L’électricité propre est un secteur d’excellence chez nous, nous pouvons compter sur une expertise de calibre mondial », selon Yvan Cliche. Le défi, c’est que malgré ces habiletés technologiques, le Québec s’engage dans une avenue où les besoins en électricité seront grandissants. « Jusqu’à 2050, il faudrait doubler la production d’Hydro-Québec, indique Stephan Brettschneider. Pour le faire, ça prendrait l’équivalent de 10 fois la puissance du projet de la Baie-James. » « Alors, la transition énergétique va nécessairement entraîner une hausse des tarifs d’électricité », précise Yvan Cliche.
« La transition, ce n’est pas une question d’écologie, mais du modèle de production et de consommation. Or ce modèle n’est pas durable car il atteint les limites physiques de la biosphère. »
Johanne Whitmore, chercheuse principale à la chaire de gestion du secteur de l’énergie, HEC Montréal
Quelques modèles
Le Québec pourrait s’inspirer de quelques modèles à l’international pour réussir sa transition. En Norvège, par exemple, 80 % du parc automobile est électrique. Des politiques publiques axées sur la comparaison entre le coût des modèles électriques et à essence sont en grande partie responsables d’une telle adhésion des citoyennes et des citoyens.
Aux États-Unis, l’Inflation Reduction Act, une loi votée par le Congrès en 2022, a mené à l’investissement de centaines de milliards de dollars pour que la transition ne soit pas une contrainte, mais qu’elle devienne une occasion de favoriser l’économie verte.
En Allemagne, une maison sur trois est munie d’un dispositif sur le toit pour capter l’énergie solaire. Au Japon, en Israël et en Espagne, ça se fait aussi.
Or, pour y arriver ici aussi, les décideuses et décideurs auront besoin de l’appui de toutes et de tous. Et pour ce faire, il n’y a qu’une solution : changer les mentalités.
En savoir plus :