Transition énergétique : des réseaux à taille humaine

Imaginez des réseaux locaux où l’électricité reste stable même en cas de panne, comme à Lac-Mégantic, grâce à un microréseau novateur.

Cet article s’inscrit dans la collection « ACCOMPLIR ».
Par Gabrielle Anctil, journaliste.


Plus d’une décennie après l’effroyable catastrophe qui a dévasté son centre-ville, la municipalité de Lac-Mégantic voit grand vers l’avenir grâce à un microréseau électrique. Regard sur cette lutte contre la dépendance au pétrole, un électron à la fois.

 

« La province pourrait être en panne au grand complet, le centre-ville de Lac-Mégantic serait encore illuminé », déclare fièrement l’ingénieur Mathieu Pépin, chargé de projets en transition énergétique. C’est que sa municipalité est munie depuis 2021 du tout premier microréseau du Québec. « On vise à devenir des leaders de la transition énergétique », lance-t-il, plein d’ambition. Lac-Mégantic est en bonne voie pour y arriver au moyen de ce laboratoire à ciel ouvert sur l’avenir énergétique.

 

 

« La province pourrait être en panne au grand complet, le centre-ville de Lac-Mégantic serait encore illuminé. »

Mathieu Pépin, ing., chargé de projets en transition énergétique à Lac-Mégantic

 

Réseau électrique local

D’abord, qu’est-ce qu’un microréseau ? En simple, il s’agit d’une version réduite d’un réseau électrique traditionnel. « Tout ce qu’un réseau peut faire, un microréseau le fait aussi », résume l’ingénieur Miloud Rezkallah, professeur au Département d’informatique et d’ingénierie à l’Université du Québec en Outaouais. « Plusieurs sources d’énergie sont gérées de manière centralisée, ajoute-il. Ce peut être de l’éolien, du solaire, de l’hydroélectricité. Ce réseau dispose d’un système de traitement de données en temps réel et peut alimenter des charges en continu avec une grande stabilité. »

Ces réseaux nouveau genre visent divers objectifs selon l’endroit où ils sont déployés. Dans le cas de Lac-Mégantic, en plus de servir de système d’appoint en cas de panne, le microréseau peut aussi offrir des électrons supplémentaires en période de demande accrue. Au Québec, ces périodes, appelées « pointes », surviennent quand le mercure plonge et que nos systèmes de chauffage fonctionnent à plein régime.

Car, explique Miloud Rezkallah, « le réseau électrique du Québec est conçu actuellement pour répondre aux périodes de pic de consommation », qui s’élèvent annuellement à une poignée d’heures seulement. En répartissant des microréseaux capables de compenser ces moments de pointe aux quatre coins de la province, l’imposante infrastructure servant actuellement à ces rares occurrences pourrait être mise à contribution pour décarboner d’autres secteurs de notre économie. Mieux : en période de grande productivité, les microréseaux pourraient carrément venir nourrir le réseau principal.

Dans le Nord du Québec, les microréseaux sont essentiels pour achever la décarbonation du réseau électrique de la province. Car si la quasi-totalité de l’électricité produite par Hydro-Québec est en effet de couleur verte, 43 % de ses émissions de GES proviennent de centrales thermiques autonomes qui desservent des communautés trop éloignées pour être reliées au réseau principal. D’ici 2030, la société d’État a pour objectif « d’approvisionner globalement les réseaux autonomes en énergie propre à 80 % », peut-on lire dans le Plan d’approvisionnement 2023-2032.

 

 

« Tout ce qu’un réseau peut faire, un microréseau le fait aussi. »

Miloud Rezkallah, ing., professeur au Département d’informatique et d’ingénierie à l’Université du Québec en Outaouais

 

Bientôt près de chez vous ?

À quand un Québec recouvert de microréseaux ? Miloud Rezkallah estime que nous avons déjà toutes les cartes en main pour y parvenir : « L’équipement existe : les panneaux solaires, l’éolien, les logiciels de gestion. Suffit de tout intégrer ensemble. »

Chef d’équipe du système énergétique de l’avenir à Hydro-Québec, l’ingénieur Patrick Martineau se montre plus circonspect : « On rencontre encore de multiples défis techniques. C’est quand même une technologie qui touche le réseau à moyenne tension. Pour gérer un microréseau, ça demande un corps de métier spécialisé, une expertise spécifique. » C’est justement pour apprendre comment déployer ces réseaux de l’avenir que la société d’État continue à tirer des leçons de l’expérience menée à Lac-Mégantic.

Ironiquement, un frein au déploiement de cette technologie au Québec est notre production d’énergie « presque à 100 % propre », constate Miloud Rezkallah. Pourquoi concentrer nos efforts à installer un microréseau alors que le réseau principal n’a pas besoin d’être remplacé ? Sans compter que « les surcoûts de la technologie demeurent assez élevés », précise Patrick Martineau. Il voit tout de même un potentiel à ces infrastructures, notamment « partout où il y a des enjeux de qualité de service ». Bref, ce n’est pas demain la veille que vous verrez apparaître un microréseau dans votre cour arrière.

 

Jamais sans les humains

Au-delà des spécificités techniques de ce type d’installation, il faut aussi que les gens qui en bénéficient se l’approprient. « Si on continue à consommer autant pendant une panne, le réseau ne durerait pas plus qu’une demi-heure », souligne Mathieu Pépin. Le Québec se classe d’ailleurs parmi les plus gros consommateurs d’énergie à l’échelle mondiale. Pour que les microréseaux fonctionnent, il faudra aussi développer des compétences en efficacité énergétique.

Ces réflexions s’inscrivent notamment dans ce que Miloud Rezkallah appelle « énergie 5.0 », un paradigme qui tire avantage de technologies comme l’internet des objets et l’intelligence artificielle. Malgré le haut niveau d’automatisation, il demeure que les usagères et usagers doivent comprendre le système pour l’utiliser correctement. « On parle de plusieurs équipements, comme une thermopompe, un accumulateur thermique, illustre Patrick Martineau. Les gens se retrouvent avec deux thermostats dans leur logement et ils doivent savoir comment un système se comporte par rapport à l’autre. » L’ingénieur insiste sur la nécessité de développer la « littératie technologique » de toute la population pour garantir une intégration en douceur.

Pour Mathieu Pépin, une chose est claire : l’implantation du microréseau de Lac-Mégantic a permis à la population de mieux prendre conscience de sa consommation d’électricité. « Les gens constatent que l’électricité est une ressource précieuse, se réjouit l’ingénieur. La mise en place de microréseaux électriques permet de créer des capacités locales, de faire en sorte que les gens, ici, deviennent des grands spécialistes de l’énergie. »

 

 

« On parle de plusieurs équipements, comme une thermopompe, un accumulateur thermique. Les gens se retrouvent avec deux thermostats dans leur logement et ils doivent savoir comment un système se comporte par rapport à l’autre. »

Patrick Martineau, ing., chef d’équipe du système énergétique de l’avenir à Hydro-Québec

 

 

UN PREMIER MICRORÉSEAU ÉLECTRIQUE AU QUÉBEC
Le microréseau est branché au réseau principal d’Hydro-Québec, mais la zone îlotable peut être isolée du réseau principal. Lorsqu’elle est débranchée, cette zone est alimentée par les panneaux solaires et par l’énergie accumulée dans les batteries lithium-ion. Ces dernières sont utilisées pour prolonger la période d’ilotage ou pour gérer la pointe de consommation en période hivernale. Le système de commande centralisé gère les flux d’électricité en se basant sur des données historiques et sur les prévisions météo pour anticiper la demande.

 

LE POTENTIEL DU PHOTOVOLTAÏQUE

  • En 2023, la production totale d’électricité provenant des panneaux solaires était de 600,55 MWh.
  • Le microréseau alimente :
    • 57 logements
    • 3 maisons
    • Le système d’éclairage du centre-ville
    • 20 autres bâtiments destinés à des activités commerciales et de services
  • En été, la production d’énergie solaire est en mesure de subvenir à environ 30 ou 40 % de la consommation totale d’énergie.

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