Sortir des sentiers battus
Cet article s’inscrit dans la collection « ACCOMPLIR ».
Par Pascale Guéricolas, journaliste.
Pendant des années, ces personnes de la communauté de l’Ordre ont exercé leur profession dans les mines, en santé et sécurité dans une usine ou dans la production en serre. Puis un jour, l’occasion s’est présentée de prendre un chemin différent en se lançant dans une nouvelle carrière. Une façon pour ces professionnelles et professionnels de conjuguer leurs différentes expériences.
Le génie n’est jamais bien loin en effet, de leur carrière actuelle. Les connaissances scientifiques, les compétences techniques, les méthodes de gestion du travail acquises au fil des ans font partie du quotidien de celles et ceux qui donnent de la formation, écrivent un scénario, protègent l’environnement ou guident des clients dans l’administration fiscale. Riches de ce double bagage, ces personnes passionnées par leur travail restent fièrement membres de l’Ordre.
De l’ingénierie à la formation
Chantal Guédéhoussou, ing.
Ne jamais cesser d’apprendre.
Après presque deux décennies à travailler en génie, cette ingénieure a reçu un beau cadeau à l’aube de ses 40 ans, celui de prendre son envol comme consultante et formatrice.
Fille d’ingénieur, Chantal Guédéhoussou a volontiers embrassé cette profession après sa formation en génie chimique à l’Université McGill. Rapidement, les postes dans les entreprises de procédés de revalorisation des déchets s’enchaînent sur son CV. Puis, un premier virage professionnel s’amorce quand elle devient, en 2011, responsable de la santé, sécurité et de l’environnement en usine. S’ajoutent bientôt à ses responsabilités les volets travaux et maintenance dans un centre de distribution. Elle donne de la formation aux employées et employés ainsi qu’aux entrepreneuses et entrepreneurs externes, rédige des demandes de permis, des audits, des rapports d’accidents. Arrive alors son second congé de maternité en 2022. Et lui vient la proposition de devenir formatrice pour le Centre d’excellence en matières dangereuses d’Hydro-Québec. « J’ai saisi cette occasion, plus conforme à mes nouveaux besoins. Je pouvais toujours transmettre mes connaissances, en utilisant mon expertise dans un contexte différent. »
Chantal Guédéhoussou forme maintenant le personnel d’Hydro-Québec qui utilise des matières dangereuses au travail ; ses formations portent sur les propriétés des matières dangereuses et surtout sur les risques auxquels on s’expose en les manipulant. Sa capacité d’apprendre et ses connaissances en chimie lui ont bien servi au moment de se préparer à ses nouvelles fonctions. Sans compter que son expérience de cadre-gestionnaire l’a conscientisée aux défis et aux contraintes vécues par les travailleuses et les travailleurs sur le terrain. Passionnée par son métier, la formatrice se considère aujourd’hui comme une ingénieure de plein droit qui a pris un autre chemin. Tout simplement.
J’ai saisi cette occasion, plus conforme à mes nouveaux besoins. Je pouvais toujours transmettre mes connaissances, en utilisant mon expertise dans un contexte différent.
Chantal Guédéhoussou, ing.
Un génie créatif
Jean-François Laliberté, ing.
Bandes dessinées et génie, un mariage surprenant.
Combats de gladiateurs, mythologie viking, défense de multiples planètes, Jean-François Laliberté, ing., met son imagination au service de scénarios de bandes dessinées.
Depuis 2018, l’ingénieur-écrivain enchaîne les albums pour jeunes, qu’il s’agisse de la série de science-fiction U-Merlin, de Sire Dodoom en fantastique, ou des Élus Eljun, un manga québécois. « Pour moi, mettre les morceaux à la bonne place pour bien faire avancer une histoire n’est pas si éloigné de l’amélioration des processus en génie, remarque l’auteur. J’utilise aussi au quotidien la gestion de projets pour assurer le suivi des différentes étapes de mes BD. »
Difficile de séparer l’écriture du génie chez cet auteur hors norme, titulaire à la fois d’un baccalauréat en études littéraires de l’Université du Québec à Montréal et d’un autre en génie des opérations et de la logistique de l’École de technologie supérieure. Épris d’optimisation et d’amélioration des processus, l’ingénieur en génie industriel a travaillé en efficacité énergétique pour la production en serre, puis en santé et sécurité pour l’Institut de technologie de Montréal. Des emplois satisfaisants, mais qui ne comblent pas sa soif d’écriture, à laquelle il consacre une journée par semaine.
Le déclic a lieu au cours de son deuxième congé parental. Au fond, pourquoi ne pas se consacrer à 100 % à son amour des histoires racontées en bandes dessinées ? Depuis, les projets se succèdent, y compris celui d’une BD annuelle de vulgarisation scientifique pour les finissantes et les finissants de l’Université de Montréal de maîtrise et de doctorat, une réalisation qui conjugue ses deux passions, pour les histoires et pour les sciences.
Pour moi, mettre les morceaux à la bonne place pour bien faire avancer une histoire n’est pas si éloigné de l’amélioration des processus en génie.
Jean-François Laliberté, ing.
Droit au génie
Me Yves Baribeault, ing., MBA, un pied dans chaque monde.
À la fois ingénieur et avocat, Yves Baribeault navigue avec aisance entre les deux univers pour mieux protéger l’environnement.
Les personnes intervenant dans certains dossiers avec le chef des affaires juridiques et secrétaire d’Innergex se posent parfois des questions. Comment un avocat peut-il comprendre aussi bien l’aspect technique de certains litiges? Normal, les procédés et processus de fabrication ont peu de secrets pour celui qui a obtenu un baccalauréat en génie chimique à l’Université de Sherbrooke en1986.
Goût pour le travail manuel, pour les jeux de logique, pour la science, tout poussait le jeune Yves vers l’ingénierie depuis la tendre enfance. Jusqu’à ce que l’un de ses professeurs en troisième année de génie mentionne l’absence d’ingénieures et d’ingénieurs ayant des connaissances juridiques dans le domaine de l’environnement.
Ce message va droit au cœur du jeune homme. Au point qu’il enchaîne un deuxième baccalauréat, cette fois en droit, pour finalement terminer son barreau en 1991.
Après quelques années dans un cabinet en droit du travail et en litige, voici l’avocat enfin dans son élément en intégrant Air Liquide. Là, il travaille sur des projets de l’entreprise qui contribuent à la sauvegarde de l’environnement.
Une quinzaine d’années plus tard, il entre chez Innergex, une entreprise axée exclusivement sur l’énergie renouvelable, qui touche aussi bien l’éolien que le solaire, ou l’hydro-électricité au fil de l’eau. « Lorsque je négocie un contrat ou gère un litige, mon bagage en génie m’aide à mieux comprendre l’aspect technique du dossier, confie Yves Baribeault. Cela facilite certaines négociations. » À 60 ans, l’avocat-ingénieur espère bien continuer à passer avec bonheur d’un monde à l’autre.
Lorsque je négocie un contrat ou gère un litige, mon bagage en génie m’aide à mieux comprendre l’aspect technique du dossier. Cela facilite certaines négociations.
Me Yves Baribeault, ing., MBA
Une fiscaliste de génie
Johanne Voyer, ing. La fiscalité au service du secteur minier.
Fille d’un producteur de granit, Johanne Voyer fut l’une des premières ingénieures des mines ; elle guide maintenant des entreprises du secteur en quête d’informations fiscales.
Pendant 20 ans, cette ingénieure des mines diplômée en 1987 de l’Université Laval a travaillé avec bonheur dans des mines souterraines et à ciel ouvert. Souvent seule femme dans un monde d’hommes, elle a évolué dans sa profession au gré des technologies, utilisant par exemple, au début, des plans dessinés à la main, puis en se servant des premières versions du logiciel Excel et enfin les outils 3D d’aujourd’hui.
Il y a presque deux décennies, elle a été embauchée par l’équipe fiscalité du cabinet Deloitte pour accompagner des entreprises minières, des sous-traitants et des fournisseurs. Directrice principale dans l’équipe d’incitatifs fiscaux et non fiscaux, elle constitue une interlocutrice de choix pour les compagnies de ce domaine.
« Comme ingénieure des mines, je possède déjà les informations techniques sur divers aspects miniers, comme le forage, le dynamitage, le traitement du minerai, indique la sexagénaire. Cela facilite les discussions avec le client, et je peux donc directement plonger dans le vif du sujet lié à la fiscalité. » Une fois la réalité du terrain bien maîtrisée, elle veille ensuite à dénicher les meilleures aides fiscales possible. Très au fait de l’évolution technologique du secteur, Johanne Voyer fait bénéficier sa clientèle de ses connaissances. Heureuse comme un poisson dans l’eau dans ce milieu, elle adore pouvoir exercer l’ingénierie de façon différente au gré des contrats.
Comme ingénieure des mines, je possède déjà les informations techniques sur divers aspects miniers, […] je peux donc directement plonger dans le vif du sujet lié à la fiscalité.
Johanne Voyer, ing.
Du bloc opératoire à l’innovation maritime
Sébastien Duquette, CPI, MD
De la médecine au génie : un rêve d’enfance réalisé.
Il suffit parfois de disposer d’un excellent dossier scolaire pour emprunter une direction
d’études différente de sa passion d’origine. C’est ce qui est arrivé à Sébastien Duquee. Ses très bonnes notes au cégep l’ont orienté vers une profession médicale attrayante pour quelqu’un désireux d’aider ses semblables. Néanmoins, son intérêt pour le génie ne s’est jamais éteint. Certains rêves d’enfance mettent du temps à s’épanouir. Très engagé auprès de ses patientes et patients à la salle d’opération et aux soins intensifs de l’hôpital de Sainte-Anne-des-Monts, ce médecin anesthésiste a choisi le génie à l’aube de la cinquantaine. Sébastien Duquette n’a jamais oublié son intérêt pour la profession d’ingénieur, lui qui avait choisi la médecine pour prendre soin des gens. Une fois ses enfants élevés, il a donc plongé dans sa passion de jeunesse.
À 45 ans, le jeune médecin reprend le chemin des études à l’Université du Québec à Rimouski.
Direction : le génie électrique, un choix qui s’impose tout naturellement pour celui qui mise sur l’électrification pour atteindre la décarbonation.
« Le génie me permet d’utiliser ma créativité et mon imagination, ce que je ne pouvais pas faire comme anesthésiste parce qu’il faut absolument avoir recours à des protocoles connus », raconte le candidat à la profession d’ingénieur (CPI).
Après une spécialisation à l’Institut en génie de l’énergie électrique à Polytechnique Montréal, le nouveau diplômé devient en mai 2023 professionnel en recherche et développement chez Innovation maritime, à Rimouski, un centre de recherche qui élabore des solutions pour les entreprises du secteur maritime.
Là, Sébastien Duquette dispose de tous les outils pour réduire la pollution maritime. Il travaille par exemple sur l’utilisation de panneaux solaires sur les cargos, ou sur le recours à des systèmes d’alimentation et de recharge à quai. Et il nourrit d’autres projets : « J’espère poursuivre ma carrière en génie le plus longtemps possible, en intégrant peut-être un jour la dimension biomédicale. »
Le génie me permet d’utiliser ma créativité et mon imagination, ce que je ne pouvais pas faire comme anesthésiste parce qu’il faut absolument avoir recours à des protocoles connus.
Sébastien Duquette, CPI, MD