Sauver la forêt, un arbre à la fois

Des robots aux caméras ultraprécises cartographient les forêts boréales, offrant des solutions inédites aux défis climatiques. Ces avancées pourraient bien un jour transformer la vision des futurs taxis autonomes.

Cet article s’inscrit dans la collection « VOIR GRAND ».
Pascale Guéricolas, journaliste.


Bien décidé à jouer un rôle dans la recherche de solutions pour sauvegarder l’environnement, Philippe Giguère, ing., professeur au Département d’informatique et de génie logiciel de l’Université Laval, a fait un constat il y a quelques années.
Si les véhicules autonomes disposent d’informations pour s’orienter dans les villes et sur les routes, la situation diffère du tout au tout dans les milieux non structurés, c’est-à-dire non aménagés, comme les forêts. « Il s’agit de problèmes orphelins auxquels les chercheurs universitaires ont le devoir de s’intéresser, car personne ne le fera sinon », affirme avec force le codirecteur du Laboratoire de robotique boréale (Norlab).

Or, ces données jouent un rôle primordial pour combattre les changements climatiques actuels et futurs. Il suffit de penser à la promesse du gouvernement canadien de planter 2 milliards d’arbres sur 10 ans. Les outils robotiques mis au point par le chercheur permettent justement de vérifier l’état des plantations sur le terrain.

Un des projets de recherche menés au Norlab concerne ainsi l’utilisation des images d’ensemble de drones survolant les zones de régénération, autrement dit des espaces où des épinettes, des pins et autres espèces ont été plantés après des coupes forestières. L’intelligence artificielle et les algorithmes conçus par Philippe Giguère facilitent le traitement des informations visuelles captées par des caméras. Il devient alors possible d’obtenir des renseignements fiables sur l’état de la repousse et sur les obstacles qui l’entravent.

Des images de très haute résolution

Ce travail bénéficie du savoir-faire de Philippe Giguère, un véritable expert de la perception visuelle des robots, qui se passionne pour les types de caméras à utiliser pour affiner l’information à traiter. Plutôt que d’avoir recours à des équipements de quelques mégapixels, comme dans les voitures autonomes qui voient en rouge, vert ou bleu, il teste sur ses robots des caméras à très haute résolution de 102 mégapixels.

« Il s’agit de problèmes orphelins auxquels les chercheurs universitaires ont le devoir de s’intéresser, car personne ne le fera sinon. »

Philippe Giguère, ing., professeur au département d’informatique et de génie logiciel de l’Université Laval et codirecteur du Laboratoire de robotique boréale (NORLAB)

 

 

Parmi cet arsenal, une caméra hyperspectral de 250 bandes de couleur donnant plus d’informations sur la composition matérielle des surfaces, et une caméra multipolaire qui procure des données sur la polarisation de la lumière. Les informations sur les surfaces réfléchissantes ou non fournissent de précieux renseignements pour départager les objets artificiels, comme une voiture, d’un élément naturel, comme un arbre ou un buisson, par exemple.

Ainsi équipés, les capteurs du robot du laboratoire Norlab qui parcourt la forêt produisent des images d’une très haute précision. On y distingue nettement la forme des feuilles d’un arbre ou l’écorce caractéristique d’une essence. Encore faut-il pouvoir tirer parti de ces dizaines de milliers de prises de vues effectuées. En effet, annoter ces données dans des milieux inhabités comme la forêt boréale revient trop cher, contrairement à ce qui se passe pour les véhicules autonomes sur les routes où les entreprises disposent de main-d’œuvre pour accomplir ce travail.

Identifier des lieux

Voilà pourquoi le chercheur met à profit des techniques d’autoapprentissage pour les réseaux de neurones afin d’entraîner son robot à reconnaître facilement diverses espèces végétales, dont les essences d’arbres, à partir du simple cliché d’un bout d’écorce. Des travaux récents portent aussi sur la reconnaissance visuelle de lieux afin de retrouver la position d’un endroit sur son cellulaire à partir d’une simple photo de ce lieu dans une ville.

Selon le professeur, cette démarche robotique de l’intelligence artificielle donne un avantage à ses étudiantes et étudiants qui ne se contentent pas de simplement télécharger des jeux de données sur Internet. « On a habitué nos étudiantes et étudiants à résoudre des problèmes sur les capteurs et les robots, ce qui leur permet d’exercer leur esprit analytique rigoureux au travail », souligne Philippe Giguère. Le chercheur espère donc former les innovatrices et les innovateurs de demain. Qui sait, des applications améliorant les perceptions visuelles de futurs taxis autonomes viendront peut-être des recherches menées en forêt boréale!

 

Norlab, le laboratoire de robotique boréale

Codirigé par François Pomerleau et Philippe Giguère, tous deux ingénieurs et professeurs au Département d’informatique et de génie logiciel de l’Université Laval, Norlab joue un peu le rôle d’un phare dans la nuit.

Il se spécialise en effet et dans la recherche dans les milieux non structurés, surtout en forêt nordique, pour lesquels les systèmes mobiles et autonomes manquent de données.

L’équipe, notamment composée d’une quinzaine d’étudiantes et étudiants venant de divers secteurs (génie logiciel, physique, informatique, génie électrique), travaille sur la cartographie de cet environnement en 3D. Rappelons que les méthodes mises au point plus au sud ne fonctionnent pas dans cet espace qui n’a rien de plane. En outre, l’effet des chutes de neige dans cet environnement dépourvu de routes est mal connu ; une variable importante pour prévoir le déplacement dans la forêt boréale du robot, équipé de capteurs 3D, de radars et de caméras.

 

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