L’ingénieur en robotique humaniste

Cet article s’inscrit dans la collection « VOIR GRAND ».
Par Pascale Guéricolas, journaliste.
Très orienté vers l’ergonomie cognitive, cet adepte des arts cherche inlassablement à mieux adapter les robots aux besoins des gens.
L’ingénieur en robotique humaniste
Dans une salle du laboratoire INIT Robots, un laboratoire d’interaction naturelle et intuitive pour la téléopération des robots, à l’École de technologie supérieure (ÉTS), plusieurs petits drones volent autour des gens qui les utilisent, sous le regard attentif d’une équipe de recherche. Rythme cardiaque, dilatation de la pupille, oculométrie pour surveiller la trajectoire des regards, rien n’échappe à leur vigilance pour comprendre les réactions à la manipulation de ces engins. Voilà le genre de projets auxquels se consacre depuis des années le professeur de génie mécanique David St-Onge, ing.
Croiser toutes ces données permet au chercheur de mesurer la charge cognitive quantitative liée à l’accomplissement de la tâche, y compris les pressions externes pour performer. C’est que la conduite de plusieurs drones en essaim requiert une grande concentration et génère un niveau de stress parfois difficile à assumer. Les informations recueillies le guident donc pour concevoir des systèmes destinés à rendre l’utilisation des robots, au sol comme dans les airs, plus intuitive et moins complexe. L’ensemble de la carrière du professeur au Département de génie mécanique de l’ÉTS reflète ce désir de rapprocher les robots des besoins réels des gens, lui qui depuis plusieurs années collabore avec des artistes intégrés dans les équipes de son laboratoire. « On ne parle pas beaucoup de l’humain dans la formation en génie. Nous avons besoin de l’expertise des artistes pour concevoir des technologies plus sensibles et poétiques », souligne cet ingénieur hors norme.
Depuis quatre ans, des chorégraphes, des marionnettistes, des acrobates s’associent régulièrement au Laboratoire INIT Robots pour insuffler un peu d’humanité aux systèmes robotiques conçus par les équipes de recherche. Selon les projets, les créatrices et créateurs imaginent des façons de faire bouger des essaims de drones ou des bras robotiques, ou encore plongent le public dans l’atmosphère d’une caverne inaccessible. Ainsi, au cours de l’été 2024, l’installation Cavernautes invitait le public à découvrir — par l’entremise d’un dirigeable déployable — une caverne située dans l’arrondissement de Saint-Léonard, à Montréal. Ce projet de recherche-création, piloté par David St-Onge et l’artiste et professeur à l’Université du Québec à Montréal Nicolas Reeves, a notamment permis à l’équipe de recherche et aux artistes de mettre au point un agencement de polymères deux fois plus léger que les membranes commerciales existantes. Il a aussi facilité le développement d’une structure se rétractant dans les petits tunnels d’accès, pour mieux se déplier ensuite.
On ne parle pas beaucoup de l’humain dans la formation en génie. Nous avons besoin de l’expertise des artistes pour concevoir des technologies plus sensibles et poétiques.
David St-Onge, ing., professeur de génie mécanique à L’ÉTS
Multidisciplinaire avant tout
La facilité de David St-Onge à combiner la créativité des mondes artistique et scientifique remonte à son passage au cégep. À l’époque, le jeune étudiant s’intéresse aussi bien au théâtre qu’à la physique. Le visionnement d’une vidéo sur les gréements acrobatiques du Cirque du Soleil le convainc qu’une formation en génie mécanique lui permettra de conjuguer ses deux passions, d’autant que sa spécialisation en mécatronique lui ouvre les portes de l’interdisciplinarité.
Tout naturellement, à la fin de son baccalauréat, il travaille pendant quatre ans pour un atelier de fabrication très tourné vers le secteur culturel. C’est là qu’il conçoit, par exemple, un système interactif extérieur pour l’Insectarium de Montréal. Devenu ensuite consultant à son compte, il reçoit une commande, celle de l’artiste Nicolas Reeves, qui réoriente complètement sa carrière.
« Je n’avais pas les connaissances à l’époque pour réaliser son œuvre, un dirigeable cubique flottant immobile dans une salle. J’ai donc décidé d’aller faire une maîtrise en robotique à l’Université Laval », raconte le chercheur. Cette recherche lui donne notamment les outils pour combiner l’information obtenue par des capteurs de distance avec des accéléromètres et des gyroscopes, alors que de petites turbines savamment disposées sur la structure du cube volant créent les délicats flux d’air qui le maintiennent en équilibre.
Accumuler les connaissances
Peu de temps après, ce curieux de nature décide d’entreprendre un doctorat en robotique spatiale. L’objectif : concevoir un filet rigide pour récupérer les déchets en orbite dans l’espace. Cela représentait un défi d’importance, puisqu’il s’agissait d’imaginer une structure capable de se rétracter de 30 à 40 fois pour entrer dans la soute d’une navette spatiale. Ces connaissances se sont avérées bien utiles quelques années plus tard pour permettre le passage d’un dirigeable dans les couloirs étroits de la caverne de Saint-Léonard ou pour concevoir la scène déployable d’une troupe de cirque itinérante.
L’expertise de David St-Onge l’a aussi amené à contribuer à une petite révolution sur les chantiers de construction. L’un de ses projets de recherche consistait en effet à intégrer les données provenant du jumeau numérique d’un bâtiment en cours de construction dans une carte interactive. Cette carte servait ensuite à guider un robot de mesure dans les pièces déjà construites, avec des relevés sur le terrain en temps réel, y compris dans les zones à haut risque, avec un degré maximal de sécurité.
Il s’agit là d’un autre exemple parmi de nombreux autres de la façon dont David St-Onge augmente la convivialité des systèmes, par une compréhension accrue et approfondie des besoins des êtres humains qui les manipulent.
DAVID ST-ONGE EN TROIS PROJETS DE RECHERCHE
- Cavernautes : cavernautes.nxigestatio.org
- Dirigeable flottant dans les airs : sciencedirect.com/science/article/pii/S0921889016306674?via%3Dihub
- Robot et chantier de construction : https://itcon.org/paper/2021/29
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