L’IA dans les patates

Figurez-vous des pommes de terre triées par IA... Chez patates Dolbec, 40 000 tonnes sont triées chaque années grâce à cette technologie.

Cet article s’inscrit dans la collection « ACCOMPLIR ».
Par Valérie Levée, journaliste.


Avant 2016, le tri se faisait manuellement : il faut imaginer les milliers de pommes de terre circulant sur des convoyeurs et des petites mains qui s’activent pour les trier selon leur grosseur et soustraire celles qui présentent des défauts. « Les pommes de terre sont triées selon 12 grades de qualité et de grosseur », précise Hugo D’Astous, directeur général de Patates Dolbec. En 2016, autant pour réduire le coût de la main-d’œuvre que pour améliorer la qualité du tri, Patates Dolbec se dote d’un équipement de tri optique. Après photographie et analyse des pommes de terre, le système commande des actionneurs pour diriger les différentes catégories de grosseurs et de variétés vers les postes d’emballage. Avec cet équipement, selon le manufacturier, Patates Dolbec misait sur une performance de tri de 80 à 90 %. « Mais une fois qu’on a conservé des patates pendant 12 mois au Québec après la récolte en novembre, le taux de performance est d’environ 70 %. Il y avait toujours quelques patates mal triées et il fallait une inspection finale par des humains », commente Hugo D’Astous.

C’est pour cette raison que Patates Dolbec a fait appel à Vooban, une entreprise de développement d’applications logicielles québécoise, pour améliorer la performance du tri à l’aide de l’intelligence artificielle (IA). « On a greffé en parallèle un nouveau système de contrôle, explique Cédrick D’Astous, ing., gestionnaire maintenance et projets. Un simple bouton sert à passer d’un système à l’autre ;en mode IA, c’est l’IA qui prend le contrôle sur les actionneurs. Ainsi, on se sert de toute la mécanique du système de convoyage pour amener des patates vers des caméras et à ce moment-là, l’IA prend le contrôle des décisions. »

On se sert de toute la mécanique du système de convoyage pour amener des patates vers des caméras et à ce moment-là, l’IA prend le contrôle des décisions.

Cédrick D’Astous, ing., gestionnaire maintenance et projets de Patates Dolbec

 

 

Mais cela ne s’est pas fait tout seul, car il a bien fallu entrainer l’algorithme à reconnaître les pommes de terre non conformes. Une technicienne s’est attelée à cette tâche fastidieuse d’étiqueter des milliers de photos de pommes de terre. « Elle avait un clavier spécial comportant une vingtaine de touches pour chaque défaut, poursuit Cédrick D’Astous. Les photos passaient devant elle, et elle étiquetait chacune des pommes de terre en fonction des défauts qu’elle voyait. » « C’était un travail très exhaustif et très long, mais c’était du temps bien investi parce que maintenant le système d’IA est capable de le répliquer », mentionne Hugo D’Astous.

Un tri optimal

L’IA a amélioré la qualité du triage pour atteindre un taux de réussite de 95 % autant pour le critère de la grosseur que pour celui des défauts. Ce tri plus précis permet d’optimiser la valeur de chaque tubercule en fonction de sa grosseur. « Une petite patate a une circonférence de 1 pouce et 7/8 et n’a pas la même valeur qu’une patate de 2 pouces ¼ », signale Cédrick D’Astous. La qualité du tri est aussi plus uniforme car, comme le fait remarquer Hugo D’Astous, « chaque trieur humain a sa propre évaluation d’une pomme de terre alors que grâce à l’algorithme d’IA, il n’y a pas de variation, il reproduit la façon dont on l’a entraîné ». Une meilleure qualité signifie aussi moins de retours de la part des clients.

Quant aux pommes de terre déclassées pour cause de défauts, si elles ne prennent pas la direction de l’épicerie, elles ne sont pas perdues pour autant. Elles sont envoyées à la distillerie Ubald, une entreprise sœur de Patates Dolbec, qui les transforme en vodka. D’autres sont reprises dans l’alimentation animale ; Patates Dolbec examine même la possibilité d’une revalorisation en biométhane.

On a déterminé en planification stratégique qu’un de nos secteurs d’excellence pour continuer à croître devait être la valorisation des données et le développement des compétences pour valoriser les données.

Hugo D’Astous, directeur général de Patates Dolbec

 

 

L’IA, un bateau à ne pas manquer

Depuis que l’entreprise s’est engagée sur la voie de l’IA, un engrenage s’est mis en marche, et Patates Dolbec envisage d’autres applications en partenariat avec Vooban. « On a déterminé en planification stratégique qu’un de nos secteurs d’excellence pour continuer à croître devait être la valorisation des données et le développement des compétences pour valoriser les données », rapporte Hugo D’Astous. Et des données à valoriser, Patates Dolbec n’en manque pas ! En plus des données sur le triage de chaque pomme de terre, Patates Dolbec dispose aussi des données concernant la production au champ, en matière de qualité de sols, de traitements agricoles et d’irrigation. Valoriser toutes ces données permettrait d’optimiser le potentiel agricole des terres en fonction de la demande en pommes de terre. L’entreprise dispose aussi de données relatives au fonctionnement des équipements qui pourraient être valorisées en vue d’améliorer la maintenance préventive.

Cette première expérience d’adaptation pour profiter des ressources qu’offre l’IA a ouvert la porte à d’autres possibilités d’améliorations.  Hugo D’Astous encourage d’ailleurs les entreprises à faire le saut dans l’IA : « Ça fait peur aux entrepreneurs, mais pendant que des entreprises restent dans le statu quo, nous, nous développons des compétences. À partir du jour où on décide de profiter des avantages que permet l’IA, ça prend des années pour structurer les données et faire des projets d’automatisation ou autres. Ma recommandation, c’est de commencer tout de suite avec des petits projets pour se faire la main, puis de développer des compétences. » Sans quoi, craint Cédrick D’Astous, « les entreprises qui se tiennent loin de l’IA risquent de manquer le bateau ».

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Patates Dolbec en quelques chiffres 

125 employées et employés

15 variétés de pommes de terre cultivées sur 10 000 acres de terre.

40000 tonnes de pommes de terre produites

8,8 millions de sacs de 4,54 kg.

Rentabilité accrue et transformation du travail

Avant 2016, le tri des pommes de terre était entièrement manuel et effectué par des travailleuses et des travailleurs internationaux temporaires. L’arrivée du tri optique a permis de réduire la main-d’œuvre de moitié. La performance du tri n’étant que de 70 %, un tri manuel restait nécessaire pour repasser sur les 30% de pommes de terre écartées parfois par erreur. L’implantation de l’IA a permis d’éliminer le tri manuel, ce qui réduit le coût des activités et augmente la rentabilité de l’entreprise. D’un autre côté, Patates Dolbec n’exclut pas de devoir un jour recruter des compétences en IA pour être plus autonome.

Patates Dolbec, à l’avant-garde de la technologie

Patates Dolbec a commencé ses activités en 1967 ; l’entreprise possédait alors25 acres de terre. Actuellement, elle fait partie des plus gros producteurs de pommes de terre de l’est du Canada. Elle est constituée de deux unités : le groupe des fermes qui produit les pommes de terre et l’usine de triage et emballage. À l’avant-garde de la technologie, l’entreprise équipe ses tracteurs de GPS en 1996 et acquiert en 2002 un tracteur muni d’un système de guidage qui se conduit tout seul. En 2017, elle investit 12 millions de dollars pour moderniser son usine d’emballage et poursuit maintenant son virage numérique assisté par l’IA.

 

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