Les villes prennent le virage numérique

Grâce à l'IA, les drones, les portails citoyens, etc., les villes du Québec transforment leurs services en accélérant leur virage numérique.

 


Cet article s’inscrit dans la collection « ACCOMPLIR ».
Par Pascale Guéricolas, journaliste.


Les organisations municipales multiplient les recours aux technologies intelligentes pour améliorer leur efficacité et pour se rapprocher des citoyennes et des citoyens.

 

À Plessisville, des drones se déploient en soutien aux services municipaux pour tester l’imagerie numérique et garantir la modélisation de certains actifs. L’intelligence artificielle facilite aussi l’efficacité énergétique, de même que la cartographie de la canopée.

 

Benoit Balmana, Directeur d’IVÉO

«  Il faut indiquer dans le cahier des charges ou l’appel d’offres quel format de données doit être fourni, et ne pas oublier de tenir compte du projet de loi 25 en ce qui concerne la cybersécurité. »

 

 

Ailleurs, comme à Longueuil, des outils d’aide à la prise de décisions réduisent l’utilisation d’abrasifs selon les données statistiques et les prévisions météorologiques, tandis que Saint-Lin–Laurentides utilise un agent conversationnel.

Ces exemples illustrent la variété des technologies intelligentes dans les organisations municipales de tailles diverses. Mobiliser des systèmes propres à chaque organisation pose cependant certains défis d’interopérabilité, comme le remarque Benoit Balmana, qui dirige Ivéo, un organisme accompagnant un réseau de 80 municipalités dans le déploiement de technologies intelligentes, grâce au soutien d’entreprises québécoises. « Il faut indiquer dans le cahier des charges ou l’appel d’offres quel format de données doit être fourni, et ne pas oublier de tenir compte du projet de loi 25 en ce qui concerne la cybersécurité », dit-il. Cette loi renforce en effet la protection des informations personnelles, une dimension non négligeable quand il est question de ce nouveau système de traitement de données massives.

 

Mireille Camillien, Directrice du Bureau de la performance organisationnelle, Ville de Laval.

« On doit, selon nous, diversifier les expériences aussi bien en faisant affaire avec des universités et des développeurs privés qu’en ayant recours à notre expertise interne. Et miser également sur les projets simples autour des procédés administratifs. »

 

Autre difficulté de taille, selon l’expert: s’assurer de l’adhésion des professionnelles et des professionnels à un virage numérique qui modifie considérablement leur façon de travailler. Selon lui, mieux vaut démarrer par des projets pilotes auprès de groupes restreints pour recevoir l’adhésion de l’ensemble du personnel.

La prudence caractérise justement la manière dont la Ville de Laval s’approprie ces nouveaux outils, pour contrer le fort taux d’échec dans l’implantation de l’intelligence artificielle observé ailleurs. « On doit, selon nous, diversifier les expériences aussi bien en faisant affaire avec des universités et des développeurs privés qu’en ayant recours à notre expertise interne, affirme Mireille Camillien, directrice du Bureau de la performance organisationnelle. Et miser également sur les projets simples autour des procédés administratifs. »

 

L’IA au service de l’efficience

L’utilisation d’outils de technologie intelligente, vers les- quels l’oriente une équipe de veille, permet à Laval de mieux tirer parti de son budget en réduisant les tâches administratives répétitives. L’un de ces chantiers concerne le paiement de 80 % des 120 000 factures que la Ville doit payer à ses 10 000 fournisseurs chaque année dans les 30 jours, contre 57 % actuellement. Entraînée à aller chercher l’information pertinente dans la facture centralisée au Service des finances, l’IA achemine le document au service qui pourra le traiter le plus rapidement.

En plus de l’utilisation de drones pour les inspections, de robots dans les systèmes d’égout ou d’aqueduc, ou encore du déploiement de lampadaires dotés de nœuds intelligents pour mieux détecter les pannes, la Ville innove aussi par l’acquisition d’un outil de gestion unique destiné au Service de l’ingénierie.

Mis au point par la société de développement de logiciels Isios, cet outil constitue une façon efficace de travailler ensemble sur un dossier commun pour les différentes équipes de la municipalité, avec des documents homogènes, depuis l’idéation jusqu’à la réalisation des projets. « À tout moment, les gestionnaires peuvent interroger le système et disposer des mises à jour en temps réel de l’avancement des travaux, indique l’ingénieure Marie-Josée Girard, directrice du Service de l’ingénierie de Laval. Tout s’y retrouve : les liens vers les plans, les échéanciers, les comptes à traiter avec les fournisseurs qui se font de façon automatique, etc. » Ce souci de cohérence de la Ville de Laval s’illustre aussi par le mode d’implantation des technologies intelligentes. Un comité de gouvernance veille en effet à prioriser et à planifier les initiatives numériques, en adéquation avec les besoins de l’organisation. D’autre part, le Service de l’innovation et de la technologie, doté d’un budget imposant de 8,1 millions de dollars en 2024, dispose de la capacité nécessaire afin d’assurer la sécurité des actifs de la Ville.

 

La proximité citoyenne à Sherbrooke

Du même souffle, Guylaine Boutin, ingénieure civile et directrice générale adjointe à la Ville de Sherbrooke, signale qu’il n’est pas toujours facile pour une municipalité de prioriser les projets à mettre en œuvre, surtout lorsqu’elle navigue entre des centaines de systèmes technologiques différents.

 

Guylaine Boutin, ing., Directrice générale adjointe, Ville de Sherbrooke.

« La rapidité de développement des outils en IA est impressionnante. »

 

 

Voilà pourquoi la Ville, où un tiers des employées et des employés se servent déjà d’outils d’intelligence artificielle, vient d’adopter une politique sur l’utilisation éthique et responsable de l’IA. Son but : encadrer l’utilisation de cette technologie et encourager son adoption par le personnel en harmonie avec le plan stratégique de la Ville, tout en respectant la vie privée des citoyennes et des citoyens.

« La rapidité de développement des outils en IA est impressionnante », souligne Guylaine Boutin, ing. L’IA facilite déjà une meilleure connexion avec les services muni- cipaux depuis la mise en place en 2023 du portail citoyen Monsherbrooke.ca. Ainsi, les citoyennes et les citoyens peuvent obtenir des permis en ligne et recevoir des notifications personnalisées (activités de participation publique, équipements ou infrastructures à proximité de leur résidence, par exemple). De plus, un module destiné aux chantiers de construction offre à chacune et à chacun la possibilité de suivre l’évolution des travaux près de son domicile, de poser des questions et de consulter l’échéancier de réalisation.

 

 

Michel Angers, Maire de Shawinigan, Président de la Commission de l’innovation et de la transformation numérique à l’Union des municipalités du Québec.

« Nous avons des discussions sur l’identité numérique avec le ministre Éric Caire. Au sein de notre groupe, nous partageons aussi beaucoup d’informations, notamment pour aider les plus petites municipalités à bénéficier des avancées technologiques des plus grandes villes, car l’IA s’implante à une vitesse fulgurante. »

 

Guylaine Boutin imagine que, dans un proche avenir, un portail unique servira, entre autres, à emprunter des livres, acheter des billets pour un spectacle, payer les stationnements avec un seul compte. Cela pourrait se concrétiser par l’adoption d’une plateforme commune avec le gouvernement du Québec que prône la Commission de l’innovation et de la transformation numérique à l’Union des municipalités du Québec. « Nous avons des discussions sur l’identité numérique avec le ministre Éric Caire, indique Michel Angers, président de la Commission et maire de Shawinigan. Au sein de notre groupe, nous partageons aussi beaucoup d’informations, notamment pour aider les plus petites municipalités à bénéficier des avancées technologiques des plus grandes villes, car l’IA s’implante à une vitesse fulgurante. »

 

Ursula Eicker, professeure à l’Université Concordia, directrice de la chaire d’excellence en recherche du Canada sur les collectivités et les villes intelligentes, durables et résilientes.

« Pour l’instant, on a surtout accès aux données brutes pas très parlantes. Il reste du travail à faire pour générer des cartes à partir des informations disponibles, comme la carte interactive de Montréal sur la vulnérabilité aux aléas climatiques. »

 

Faire parler les données

Pour sa part, Ursula Eicker, professeure à l’Université Concordia et directrice de la Chaire d’excellence en recherche du Canada sur les collectivités et les villes intelligentes, durables et résilientes, se réjouit des avancées du virage numérique qui permettent la circulation des don- nées entre les municipalités et leurs citoyennes et citoyens, même si elle aimerait qu’une ville comme Montréal en fasse davantage.

« Pour l’instant, on a surtout accès aux données brutes pas très parlantes, constate-t-elle. Il reste du travail à faire pour générer des cartes à partir des informations disponibles, comme la carte interactive de Montréal sur la vulnérabilité aux aléas climatiques. » La professeure en génie du bâtiment, génie civil et environnemental imagine aussi le potentiel d’implication citoyenne que recèle la réalité virtuelle. Les habitantes et les habitants d’un quartier en devenir pourront s’y promener dans un décor de jeu et décider de ses aménagements.

La chercheuse fait remarquer que si les données numériques relatives à la construction des édifices récents abondent maintenant, la réalité diffère pour les constructions plus anciennes. Il va donc falloir effectuer un certain rattrapage pour élaborer des scénarios pertinents. À ses yeux, le développement de jumeaux numériques va accélérer la transformation énergétique et aider à prendre des décisions pour un avenir sans émissions de GES. Et les villes disposent de tout le potentiel pour participer à cette révolution numérique.

 

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Manque d’engagement numérique

Nawel Lafioune, doctorante à l’École de technologie supérieure, a étudié 44 municipalités du Québec aux fins de sa thèse de doctorat en génie civil. Celle-ci révèle que :

40 % des grandes villes n’ont aucune structure en place pour prendre en charge la transformation numérique;

90 % des villes n’ont pas la volonté de se transformer numériquement;

57 % des municipalités manquent d’expertise pour réaliser le virage numérique.

Ces chiffres étonnants mettent en lumière plusieurs raisons qui expliquent ce manque d’engagement numérique.

Selon la chercheuse, la gestion des données pose des problèmes de qualité, de fiabilité, d’accès, de sécurité et de mise à jour. D’autre part, les technologies et outils en place sont souvent obsolètes, non interopérables et inadéquats pour répondre aux besoins modernes. Cela accentue les silos entre les différents services municipaux, freinant l’adoption efficace des solutions numériques à grande échelle.

Enfin, les pratiques actuelles sont souvent dépassées et focalisées sur des interventions limitées à répondre aux urgences. Leur transformation nécessite un profond changement culturel et organisationnel, afin d’adopter des processus modernes, anticipatifs et durables.

https://espace.etsmtl.ca/id/eprint/3228/1/ LAFIOUNE_Nawel.pdf

 

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Les petites municipalités dans la course numérique

Avec des moyens technologiques et financiers plus limités que les grandes municipalités, certaines petites villes ont la volonté d’offrir les outils technologiques les plus récents pour faciliter le dialogue avec les citoyennes et citoyens. Portage Cybertech, une entreprise québécoise, mène ainsi un projet pilote avec une localité de 3000 habitants de la région de Québec.

« Nous leur proposons une plateforme adaptée à leur réalité et à leur écosystème, qui donne accès aux différents services municipaux, avec une seule identification numérique hautement sécuritaire », indique Marc Baaklini, vice-président aux affaires et aux relations gouvernementales.

Déjà implanté dans l’Ouest canadien, cet outil numérique permettrait aux petites municipalités, qui ne disposent pas d’un logiciel client comme les villes de grande taille, d’intégrer cette composante en se regroupant au sein de l’Union des municipalités du Québec. Des discussions ont lieu actuellement avec l’Union des municipalités du Québec pour une adhésion collective à ce service, conçu pour préserver le plus possible les données sensibles des utilisatrices et des utilisateurs.

Malgré sa petite taille, la ville de Bécancour où vivent 15 000 personnes, se lance aussi dans l’aventure numérique en mettant à disposition du personnel municipal un assistant virtuel urbaniste, avec l’aide d’Ivéo. En puisant dans les documents sources, comme les plans d’urbanisme, les règlements de construction et de zonage, le module d’IA fournit des réponses rapides à l’équipe de l’urbanisme pour vérifier la conformité d’une demande de permis et gagner en efficacité.

Un autre assistant virtuel se spécialise, lui, dans l’accès aux subventions disponibles pour les municipalités dans l’appareil gouvernemental. Le but est de profiter de l’IA pour découvrir l’information accessible dans les documents de la politique de la ville et du gouvernement afin de préremplir les formulaires. L’employé responsable dispose ainsi davantage de temps pour bien rédiger sa demande.

 

Marc Baaklini, vice-président aux affaires et aux relations gouvernementales chez Portage Cybertech.

« Nous leur proposons une plateforme adaptée à leur réalité et à leur écosystème, qui donne accès aux différents services municipaux, avec une seule identification numérique hautement sécuritaire. »

 

 

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