Jumeau numérique, une représentation virtuelle devenue réalité
Cet article s’inscrit dans la collection « ACCOMPLIR ».
Par Valérie Levée, journaliste.
Des jumeaux numériques existent pour des bâtiments, des avions, des villes, des forêts, des usines… comme autant d’outils de conception, d’opération, d’aide à la décision, d’apprentissage…
En 1970, lorsque les astronautes de la mission Apollo 13 ont appelé Houston à l’aide, la NASA les a dépannés grâce à un module jumeau resté au sol. Initialement, les jumeaux étaient physiques, mais la NASA a progressivement intégré la technologie numérique et introduit le terme de jumeau numérique en 2010. Surtout utilisés en aéronautique, les jumeaux numériques se répandent dans un nombre croissant de domaines, comme le bâtiment, l’urbanisme, les opérations manufacturières, la formation, et c’est l’une des spécialités du Centre en imagerie numérique et médias interactifs (CIMMI). Eric R. Harvey, ing., directeur – Technologies immersives et jumeaux numériques au CIMMI, en donne la définition : « Un jumeau numérique, c’est une réplique virtuelle d’un objet ou d’un système réel qui va imiter fidèlement le comportement et les caractéristiques de son équivalent physique. »
La version la plus simple, sur l’échelle de niveaux de maturité du jumeau, est un modèle numérique 3D avec des fonctions de simulation pour visualiser l’arrangement des objets dans diverses situations. L’étape suivante consiste à relier les deux jumeaux pour que le double numérique travaille avec les données de l’objet réel. « Dans un premier temps, c’est une communication manuelle, explique Eric Harvey. Le jumeau physique est équipé de capteurs, et les données des capteurs sont transmises manuellement au jumeau numérique. » Enfin, une version plus évoluée permet aux jumeaux numérique et physique de s’échanger automatiquement les données.
Eric Harvey en décrit l’utilisation dans le domaine de l’aviation. En phase de développement, le jumeau numérique simule la performance de l’avion, par exemple en simulant l’écoulement des fluides comme dans une soufflerie. « On peut faire varier les paramètres numériquement, en amont, avant la construction, indique-t-il. Ça diminue les coûts de développement. » En phase d’opération, le jumeau numérique reste utile pour surveiller la performance, détecter les anomalies de comportement et, ultimement, être en mesure de faire de la maintenance prédictive.

« Un jumeau numérique, c’est une réplique virtuelle d’un objet ou d’un système réel qui va imiter fidèlement le comportement et les caractéristiques de son équivalent physique. »
Eric R. Harvey, directeur – Technologies immersives et jumeaux numériques au Centre en imagerie numérique et médias interactifs (CIMMI)
Les jumeaux se multiplient
Depuis les premières applications en aérospatiale, les jumeaux numériques se sont largement déployés. On les trouve dans le secteur du bâtiment pour simuler les besoins énergétiques et optimiser les systèmes mécaniques. Au-delà du bâtiment, on s’en sert à l’échelle d’une ville ou d’un territoire pour simuler l’intégration des bâtiments et des infrastructures ou la fluidité de la circulation. Dans une usine, c’est la chaine de production qui peut être modélisée avec sa succession de machines, les intrants et les produits sortants afin d’optimiser le temps d’utilisation des machines et la production.
Les projets élaborés au CIMMI donnent une bonne idée de la diversité des applications. Eric Harvey donne l’exemple du Studio d’analyse maritime 3D mis au point en collaboration avec Innovation maritime, un modèle numérique du fleuve Saint-Laurent qui intègre des données géospatiales et bathymétriques. En fonction des caractéristiques des navires et de la configuration du fleuve, le simulateur montre l’interaction du navire avec le fleuve et permet de visualiser la trajectoire. Un autre projet est celui de la modélisation du bruit du port de Québec. Dans ce cas, le jumeau numérique représente une modélisation du port avec tous les équipements susceptibles de générer du bruit, ainsi que les horaires d’activités du port. Le jumeau est aussi alimenté par des données sonores prises sur place par des capteurs installés dans les installations portuaires. Ultimement, l’objectif est de prédire les émissions de bruit pour pouvoir en atténuer les inconvénients pour les riverains. D’autres réalisations du CIMMI touchent la foresterie, la géomatique, la robotique, l’éducation et même l’art et la culture.
Ces exemples d’applications requièrent des compétences en modélisation 3D, en simulation, en réalité virtuelle et augmentée, et ont recours à l’internet des objets pour l’échange des données ainsi qu’au traitement et stockage des données, éventuellement en infonuagique. Certaines applications en maintenance prédictive font aussi appel à l’intelligence artificielle. Les compétences en génies informatique, logiciel et géomatique sont évidemment mobilisées, mais, parce que les applications sont transversales, des ingénieures et ingénieurs de tous les domaines peuvent être amenés à côtoyer les jumeaux numériques.
Le CIMMI
Le Centre en imagerie numérique et médias interactifs (CIMMI) est un centre collégial de transfert de technologies (CCTT) rattaché au Cégep de Sainte-Foy, à Québec. Comme les autres CCTT, sa mission est d’accompagner le développement technologique de ses clients. « On ne réinvente pas la roue. On va chercher les connaissances existantes et on les applique à nos clients », décrit Eric Harvey, directeur – Technologies immersives et jumeaux numériques au CIMMI. Chaque CCTT a sa spécialité, et celle du CIMMI se déploie autour des technologies numériques comme la modélisation 3D, la vision numérique, la réalité virtuelle et augmentée, les objets connectés, les jumeaux numériques, l’intelligence artificielle et le développement d’applications Web et mobiles. Une vingtaine d’employés et employées y apportent leurs compétences en mathématique, analyse d’images, géomatique, informatique, etc., avec des applications en santé, sport, culture, éducation, transport, aérospatiale, défense, environnement, industries 4.0 et 5.0. Depuis sa création en 2008, le CIMMI a réalisé plus de 600 projets, dont 70 % avec des petites et moyennes entreprises, mais aussi avec de grandes organisations comme Bombardier, CAE et Hydro-Québec.
Apprendre avec un jumeau numérique
Festo Didactic se spécialise dans le développement de solutions d’apprentissage d’équipements industriels. L’entreprise a fait appel au CIMMI pour concevoir le jumeau numérique d’un équipement de laboratoire servant à un processus en usine. Ce jumeau permet de visualiser sur une tablette l’équipement en réalité augmentée et d’apprendre à le manipuler en faisant varier les niveaux de liquides, les pressions, etc. « C’est un vrai jumeau numérique dans le sens où les deux jumeaux, le numérique et le banc d’essais réel, communiquent en temps réel », précise Eric Harvey. Les étudiants et étudiantes peuvent ainsi expérimenter à distance le comportement du système de formation industrielle à partir d’une tablette.
Avec le Centre de formation professionnelle de Val-d’Or, le CIMMI conçoit un « jeu sérieux » représentant un environnement minier avec ses galeries et ses équipements pour apprendre les séquences des opérations minières.
