Traitement des eaux usées : capturer les contaminants
Cet article s’inscrit dans la collection « Transition écologique ».
Par Clémence Cireau
Mathieu Lapointe, tout nouveau professeur à l’École de technologie supérieure, est, comme il le résume avec humour, « un pur produit de Polytechnique Montréal ». En 2012, il y obtient un baccalauréat en génie de l’environnement, puis y réalise une maîtrise en traitement des eaux, suivie d’un doctorat dans le même domaine. Il passera finalement de l’autre côté du mont Royal pour mener des études postdoctorales à l’Université McGill. C’est au cours de ses recherches doctorales en laboratoire qu’il eut l’idée novatrice honorée par le prix Honoris Genius – Relève. « J’observais des échantillons d’eaux usées au microscope quand j’ai vu des fibres de cellulose, se souvient-il. C’était du papier hygiénique avec un grand nombre de contaminants agrégés. C’est là que je me suis dit qu’il fallait trouver un moyen de modifier la surface d’une fibre de cellulose pour adsorber encore plus de contaminants. »
Ainsi, l’ingénieur a modifié chimiquement une fibre de cellulose pour attraper plus de contaminants qu’avec une fibre de cellulose vierge non modifiée. « Des métaux – du fer et de l’aluminium principalement – sont greffés sur la fibre afin de la charger positivement, explique Mathieu Lapointe. Par effet d’affinité électrostatique +/-, les contaminants, pour la plupart chargés négativement, viennent se coller à la fibre. »
Ces filaments, d’un millimètre de longueur sur 15 micro mètres de largeur, sont ensuite injectés dans les bassins d’épuration des eaux en petite quantité : 100 mg par litre suffisent. « Les contaminants vont se coller sur ces fibres et ainsi créer un “floc”, comme on dit dans le jargon, c’est-à-dire un agrégat de fibres contenant les polluants, indique Mathieu Lapointe. Si vous avez déjà vu des bassins de traitement des eaux, ce sont les sortes de flocons de neige qui flottent parfois à la surface des eaux. » Ensuite, on se sert d’un système de passoire pour retirer ces flocs, et donc les contaminants qu’ils contiennent. Les travaux de Mathieu Lapointe ont été publiés dans les prestigieuses revues scientifiques Nature Sustainability et Npj Clean Water.
Un ancien système modernisé
Le système de flocs est utilisé pour traiter les eaux usées depuis le début du XXe siècle, et ce, partout dans le monde. Jusqu’alors, des coagulants ajoutés à l’eau servaient à agréger les contaminants. « Mais les flocs formés par ce système sont très petits et décantent lentement, précise le chercheur. Grâce à la structure allongée de la fibre que nous employons, notre technologie permet de capturer plus de contaminants ; les flocs sont 10 fois plus gros, et donc beaucoup plus faciles à filtrer par la suite. C’est un gain de temps et d’efficacité considérable, et ça aidera les usines de traitement à répondre à la demande grandissante sans qu’on ait à les agrandir. Ce seront des millions de dollars économisés. »
Nos fibres chimiquement modifiées atteignent un taux supérieur à 97 % d’enlèvement des microplastiques, difficile de faire mieux !
— Mathieu Lapointe, ing. — École de technologie supérieure
Répondre aux nouveaux enjeux environnementaux
Afin de concevoir une fibre le plus écologique possible, Mathieu Lapointe utilise une fibre qui provient du papier recyclé du bac de tri, rincée avant le greffage des métaux. Le fer et l’aluminium ont été retenus, car ils sont un bon compromis entre le coût, la toxicité et la performance d’adsorption.
Le dernier enjeu auquel doivent faire face les usines de traitement des eaux est celui de l’arrivée des contaminants dits « d’intérêts émergents ». « Ce sont les nanoplastiques et microplastiques, des contaminants nouveaux, moins connus et non normés par l’industrie de l’eau », une industrie qui doit s’adapter rapidement pour éliminer ces nouveaux polluants. « Nos fibres chimiquement modifiées atteignent un taux supérieur à 97 % d’enlèvement des microplastiques, difficile de faire mieux ! », dit Mathieu Lapointe avec fierté. Actuellement en phase de test à l’échelle pilote, la technologie mise au point par Mathieu Lapointe pourrait être commercialisée d’ici 6 à 8 ans.
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