Concevoir un monde plus vert

Deux membres vous aident à réussir la transition de vos projets en adoptant des pratiques plus respectueuses de l'environnement.

Cet article s’inscrit dans la collection « ACCOMPLIR ».
Par Gabrielle Anctil, journaliste.


Un récent sondage de l’Ordre révèle que le développement durable préoccupe de plus en plus les membres. Conseils d’une experte et d’un expert pour une transition réussie.

Alors que les conséquences dévastatrices de la crise climatique font les manchettes, les ingénieures et les ingénieurs se mobilisent plus que jamais pour intervenir dans la mitigation des effets et l’adaptation à cette nouvelle réalité. C’est le constat que tire l’ingénieure en génie chimique Julie-Anne Chayer, vice-présidente du service de responsabilité d’entreprise du Groupe Agéco, qui a consacré sa carrière à sensibiliser ses collègues et le public à l’importance de l’approche axée sur le cycle de vie, en décortiquant les résultats d’un sondage mené à la fin de 2023 par l’Ordre. « On voit que la notion de consommation énergétique et de réduction des gaz à effet de serre (GES) est particulièrement présente, suivie de près par le cycle de vie. Si on avait posé la même question en 2015, je parie que les gens auraient surtout parlé d’utilisation de matière première. » Elle souligne avec enthousiasme que 67 % de ses consœurs et confrères affirment appliquer au moins un des principes de développement durable.

 

« Nous avons le devoir d’assurer la sécurité du public, d’une part, mais aussi de veiller à ce que les générations futures puissent avoir une vie aussi positive que la nôtre. »

Julie-Anne Chayer, ing., vice-présidente – responsabilité d’entreprise du groupe AGÉCO

 

S’il ne lui est plus nécessaire d’expliquer ce que sont les changements climatiques – les inondations à répétition et les feux de forêt dévastateurs le font à sa place –, elle constate qu’il faut encore s’activer pour convaincre les parties prenantes d’intégrer une approche qui tient compte de l’impact environnemental de toutes les étapes d’un projet, depuis l’extraction jusqu’à sa fin de vie.

Même son de cloche du côté de Maxime Boisclair, ing., directeur du développement durable pour la firme gbi. « Trop de gens achètent une brosse à dents en bambou et croient ainsi fournir leur part d’effort pour favoriser le développement durable, note-t-il avec déception. Il reste encore beaucoup de travail à faire pour atteindre un niveau plus élevé. »

Au regard des résultats du sondage, il se désole de voir que les principes de protection de l’environnement, pourtant inscrits dans le code de déontologie de sa profession, ne sont pas encore au cœur de toutes les pratiques de ses consœurs et confrères. « Nous avons le devoir d’assurer la sécurité du public, d’une part, mais aussi de veiller à ce que les générations futures puissent avoir une vie aussi positive que la nôtre », rappelle pour sa part Julie-Anne Chayer.

 

Expliquer pour convaincre

Parmi les gens du public interrogés au cours du sondage, 90 % estiment que les ingénieures et ingénieurs ont un rôle à jouer dans le développement durable. Pourquoi alors ces approches ne sont-elles pas au centre de tous les projets auxquels elles et ils contribuent ? « La perception selon laquelle les pratiques écologiques ont un coût plus élevé est encore présente, relève Julie-Anne Chayer. Mais si on fait un calcul qui tient compte du cycle de vie complet, on obtient souvent des chiffres plus convaincants. » Elle cite en exemple une analyse qui internalise certaines externalités, comme la gestion environnementale : « Si on n’en tient pas compte, ça pourrait coûter plus cher ! »

Face à ce problème, Maxime Boisclair croit qu’il est essentiel de prendre le temps d’expliquer les différents aspects d’un projet en adoptant le point de vue de la personne à qui l’on s’adresse : « Avec un comptable, il faut se dire que la conductivité thermique du sol ne risque pas de l’intéresser ; il faut donc choisir des éléments qui lui parleront plus. » Il signale que son métier est justement de modéliser des éléments parfois intangibles, calculs qui permettront de produire des données plus éloquentes.

 

« Le développement durable est comme un gâteau, précise l’ingénieur. On ne le mange pas tout d’un coup, on y va à petites bouchées. »

Maxime Boisclair, ing., directeur du développement durable pour la firme gbi

 

Si la vulgarisation est un outil indispensable, la patience est aussi de mise. « Le développement durable est comme un gâteau, précise l’ingénieur. On ne le mange pas tout d’un coup, on y va à petites bouchées. » Il tire une grande fierté d’un projet mené pour un client américain, qu’il a convaincu d’intégrer un objectif de décarbonation. « Après huit ans, il m’a dit : “Au début, je ne croyais pas qu’on pouvait y arriver.” Mais nous y sommes parvenus ! » Le résultat parle de lui-même — et le client sera plus ouvert à aller encore plus loin la prochaine fois. Ces succès peuvent aussi servir à alimenter des études de cas, qui convaincront les clients suivants.

 

Rehausser le niveau

Est-ce que les titulaires du titre d’ingénieur ont des lacunes à combler pour mieux intégrer le développement durable à leur pratique ? « Il faut se méfier du confort de l’habitude », mentionne celui qui décrit son travail comme celui d’un consultant à l’intérieur même de sa firme.

Rompu à accompagner autant ses collègues que ses clients, il voit les effets bénéfiques de sa fonction de « chien dans un jeu de quilles ». « J’aide tout le monde à faire table rase pour réfléchir », résume-t-il.

« Il y a parfois un manque d’ouverture, une résistance à adopter un nouvel outil ou à suivre une formation », fait également remarquer Julie-Anne Chayer, qui occupe aussi le poste de présidente du conseil d’administration de Bâtiment durable Québec. « Certaines personnes se disent : “Pourquoi changer quelque chose qui fonctionne ?” Mais justement, avec les changements climatiques, on voit que ça ne fonctionne pas ! »

D’après les résultats du sondage de l’Ordre, ces réfractaires semblent tout de même en minorité, le manque d’ouverture des supérieurs ou des collègues se plaçant tout au bas des réponses concernant les principaux obstacles à l’implantation de solutions.

Une solution ? « En tant qu’ingénieures et ingénieurs, nous avons besoin d’aide. S’il y a des irréductibles, il faut pouvoir sortir le bâton », résume Maxime Boisclair, qui espère une multiplication des lois et des règlements verts dans les prochaines années. « Au début des années 2000, on voyait la réglementation comme une contrainte, se souvient de son côté Julie-Anne Chayer. Aujourd’hui, les gens constatent qu’elle permet d’établir des règles de jeu claires, ce qui a comme conséquence que tout le monde joue sur le même terrain. »

Même si le boulot est loin d’être terminé, l’ingénieure est optimiste quant à l’avenir.

« Les analyses de cycle de vie sont plus que jamais recherchées », observe-t-elle, soulignant tout le travail de vulgarisation qui a été mené pour en arriver à cette situation. « Est-ce que c’est suffisant ? Non. Je vois quand même le verre à moitié plein — sans oublier tout ce qui reste à accomplir.

On avance, mais il faut accélérer la transition, et les ingénieures et ingénieurs sont là pour le faire. »

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