Accélérer la cadence dans le secteur industriel

Cet article s’inscrit dans la collection « VOIR GRAND ».
Par Annie Labrecque, journaliste.
Derrière les murs des usines québécoises, de nombreux efforts sont déployés pour accroître l’efficacité énergétique. Découvrez certaines des stratégies adoptées pour relever ce défi.
Le secteur industriel est un grand consommateur d’énergie, en particulier d’hydroélectricité, une ressource longtemps considérée comme peu coûteuse. Cependant, les hausses des tarifs d’électricité prévues dans les prochaines années incitent les industries à améliorer davantage leur efficacité énergétique pour réduire leurs coûts de production.
Jusqu’à récemment, la faible rentabilité des investissements en efficacité énergétique avait freiné les entreprises, mais ces hausses tarifaires à venir changent la donne. « Les industries devront accélérer l’adoption de mesures d’efficacité énergétique », affirme Stéphan Gagnon, Stéphan Gagnon, ing., coordonnateur de la valorisation des rejets thermiques au ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs.
« Les industries devront accélérer l’adoption de mesures d’efficacité énergétique. »
Stéphan Gagnon, ing., Coordonnateur de la valorisation des rejets.
Des solutions simples
Les avenues pour réduire la consommation d’énergie sont nombreuses et diversifiées, comme le souligne Andrée-Anne De Gagné, ing., directrice générale de Gaama, une firme spécialisée en efficacité énergétique des procédés industriels. « Les façons de faire sont extrêmement variables d’une industrie à l’autre et même d’un secteur d’affaires à un autre », précise-t-elle. Pour déterminer les meilleures solutions pour l’entreprise, elle recommande d’effectuer un bilan énergétique des opérations en définissant les besoins et les rejets en énergie.
Dans le secteur manufacturier, la gestion des cycles de chauffage et de refroidissement représente un défi majeur. « Les processus multiples de chauffage et de refroidissement nécessitent une consommation d’énergie supplémentaire, indique Andrée-Anne De Gagné. Par exemple, chez l’un de nos clients, l’intégration d’un système d’accumulation d’énergie a permis d’éliminer l’utilisation d’une des trois chaudières, ce qui a considérablement diminué la consommation tout en maintenant la même productivité. » D’après Ressources naturelles Canada, l’utilisation d’une méthode systématique d’analyse des procédés permettrait à une entreprise de réduire jusqu’à 30 % de sa consommation d’énergie dans le secteur industriel, tout en diminuant ses émissions de gaz à effet de serre.
Optimiser l’efficacité énergétique ne nécessite pas toujours des technologies complexes. Des actions simples, comme moderniser les équipements — notamment en utilisant un moteur ayant un meilleur rendement —, installer des thermopompes ou encore isoler les infrastructures pour réduire les pertes de chaleur, peuvent donner de bons résultats. « Les solutions existent souvent déjà, dit la directrice générale de Gaama. Par exemple, l’installation d’échangeurs thermiques sur des machines de pâte à papier ou l’optimisation des systèmes de chauffage et de ventilation peuvent apporter des bénéfices immédiats. »
« Sans hésitation, je peux affirmer que nous sommes des leaders et que nous excellons. Le génie québécois rayonne à travers des solutions techniques avant-gardistes et des réalisations qui méritent d’être mises en valeur. »
Andrée-Anne De Gagné, ing., Directrice générale de Gaama
Les rejets des uns font le bonheur des autres
Un procédé industriel génère souvent de la chaleur résiduelle, appelée rejet thermique. Par exemple, lors du raffinage du pétrole, la chaleur produite en surplus peut être récupérée et réutilisée dans une boucle énergétique pour répondre aux besoins d’une autre industrie située à proximité.
Ces boucles énergétiques ont un potentiel considérable. On estime qu’elles peuvent diminuer les émissions de gaz à effet de serre et réduire de 20 % à 30 % la facture des entreprises et des particuliers connectés à la boucle.
Au Québec, la valorisation des rejets thermiques est en pleine croissance, et plusieurs projets ont déjà été réalisés. L’un d’eux associe les Produits forestiers Résolu et les Serres Toundra. « La centrale de cogénération de Résolu produit de l’électricité et de la chaleur à haute température pour ses besoins industriels, explique Stéphan Gagnon. Les rejets résiduels de chaleur, qui seraient autrement dissipés dans des tours de refroidissement, sont récupérés pour chauffer les serres où sont cultivés des concombres. » Pour les Serres Toundra, il s’agit d’une source de chaleur renouvelable qui réduit la consommation d’énergie.
Pour Résolu, l’utilisation des rejets thermiques par les serres diminue le besoin de faire fonctionner les tours de refroidissement, entraînant ainsi des économies d’énergie et de maintenance. « Ce projet illustre le potentiel des rejets thermiques : transformer une source de chaleur sous-utilisée en un atout économique et écologique », ajoute-t-il.
Cette démarche est soutenue par un programme de valorisation des rejets thermiques du gouvernement québécois, qui dispose d’une enveloppe de 400 millions de dollars. Stéphan Gagnon est celui qui coordonne ce projet — il est d’ailleurs un des pionniers de la valorisation des rejets thermiques chez nous. Il travaille à créer des liens entre des entreprises qui rejettent de la chaleur et d’autres qui peuvent utiliser cette chaleur. D’ailleurs, un règlement sur la déclaration obligatoire des rejets thermiques provenant de sites émetteurs devrait entrer en vigueur en 2027, ce qui facilitera ce maillage.
Le leadership québécois en ingénierie
Les ingénieures et ingénieurs jouent un rôle clé dans l’accélération de la transition énergétique du Québec, d’après Andrée-Anne De Gagné.
« Nous sommes au cœur de toutes les décisions techniques, allant de la conception des produits à leur fabrication, en passant par le choix des matériaux et la conception des procédés. » Elle rappelle que les ingénieures et ingénieurs ont la capacité d’intégrer des solutions innovantes et durables à chaque phase du développement. « Sans hésitation, je peux affirmer que nous sommes des leaders et que nous excellons. Le génie québécois rayonne à travers des solutions techniques avant-gardistes et des réalisations qui méritent d’être mises en valeur », conclut-elle.
Chauffer un hôpital en brûlant des déchets
À Québec, un réseau souterrain de 2,2 kilomètres reliera l’incinérateur de la ville à l’hôpital de l’Enfant- Jésus. L’incinérateur fournira ses surplus de chaleur et de vapeur à une centrale trigénération, en ce sens qu’elle répondra aux besoins de l’hôpital en électricité, en chaleur et en refroidissement. Grâce à la valorisation des rejets thermiques, l’hôpital devrait réduire sa consommation annuelle de gaz naturel de 5,7 millions de mètres cubes. Une réduction avantageuse sur le plan économique et qui permettra aussi de réduire les émissions de CO2 de plus de 10 000 tonnes par an, soit l’équivalent d’environ 3520 voitures de moins sur les routes chaque année.
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