, 13 septembre 2022

Patrick Paultre, ing. : l’homme de béton

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Lauréat du Grand Prix d’excellence professionnelle décerné par l’Ordre, l’ingénieur Patrick Paultre a su conjuguer recherche fondamentale et application pratique de ses découvertes tout au long de sa carrière.

Cet article s’inscrit dans la collection « Génie à la une ».
Par Pascale Guéricolas, photos : Luis Medina et Didier Bicep


Lorsque Patrick Paultre commence sa carrière de professeur au Département de génie civil de l’Université de Sherbrooke en 1987, il doit traverser un grand hall vide pour accéder à son bureau. Trente-cinq ans plus tard, il est difficile de se frayer un chemin dans ce qui est devenu un des plus grands laboratoires de structure du Canada, tant il regorge d’équipements. Au point qu’il a fallu agrandir l’espace qui abrite notamment un des grands murs de réaction canadiens et des appareils servant à mesurer in situ les caractéristiques structurales des barrages – comme le barrage Daniel-Johnson – en conditions estivale et hivernale.

Voilà une des multiples réalisations que l’on doit à cet expert du génie parasismique et de l’étude de la dynamique des structures, tout comme le Centre d’études interuniversitaire des structures sous charges extrêmes (CEISCE) qu’il a fondé en 2002. Ce centre de recherche veille à la sécurité d’infrastructures de grande importance comme les ponts, les barrages, les écoles, les hôpitaux. Fait remarquable, il regroupe pour la première fois des membres du corps professoral ainsi que des chercheurs et chercheuses de six universités québécoises, qui jusque-là travaillaient en parallèle. « Désormais, tous collaborent, ce qui constitue une force de recherche considérable au Canada, parmi les plus importantes au pays », souligne avec fierté ce motivateur hors pair.

Ce chercheur novateur a lancé plusieurs projets, auxquels il n’a de cesse de contribuer pour leur permettre de progresser, établissant une collaboration avec des ingénieurs et ingénieures de grande envergure du Québec ou de l’étranger, notamment feu Roger Nicolet, Leslie Roberston, qui a conçu les deux tours du World Trade Center, Michel Virlogeux, qui a donné naissance au fameux viaduc de Millau, en France.

 

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Le béton a mauvaise presse, en partie parce qu’on l’a utilisé très rapidement après la Seconde Guerre mondiale, sans disposer de connaissances pointues sur ce matériau.

Patrick Paultre, ing. — Université de Sherbrooke

Vivre avec le risque des tremblements de terre

La passion que Patrick Paultre nourrit pour le béton, tout comme pour les risques sismiques sur les structures qui ont la capacité de se tordre ou de s’étirer sans se rompre, trouve peut-être son origine dans son enfance haïtienne. En visite dans la maison de ses grands-parents, située à un jet de pierre de la mer, le jeune Patrick écoute attentivement le récit de ses tantes. Elles le mettent en garde contre les conséquences tragiques des tremblements de terre dans ce coin du monde.

D’abord formé en architecture en Haïti, le jeune homme s’envole ensuite pour l’École Polytechnique de Montréal, où il obtient un baccalauréat en génie civil en 1977, puis une maîtrise. Suit un doctorat à l’Université McGill. Ingénieur en structure à Toronto, Philadelphie et Montréal, il devient ensuite professeur et fait sa marque au Québec. Patrick Paultre plonge dans la recherche fondamentale pour mieux comprendre l’utilisation des bétons à haute résistance et des bétons fibrés, et la façon dont ces matériaux se comportent dans des zones à aléa sismique modéré comme Montréal et Québec.

Ses découvertes trouvent rapidement un écho dans la pratique du génie. Alors que certaines normes de construction reliées au calcul sismique n’avaient pas bougé depuis 30 ans, il contribue à en créer de nouvelles, aujourd’hui appliquées dans le Code national du bâtiment du Canada et adoptées par l’Association canadienne de normalisation, qui régulent la construction de tous les bâtiments au pays. Des pays comme la France et les États-Unis ont aussi suivi ses recommandations.

Une des réalisations qui rend le plus fier cet enseignant passionné, c’est aussi d’avoir dirigé plus d’une centaine d’étudiants et étudiantes aux cycles supérieurs, dont 20 au doctorat.

« Le béton a mauvaise presse, en partie parce qu’on l’a utilisé très rapidement après la Seconde Guerre mondiale, sans disposer de connaissances pointues sur ce matériau », mentionne le titulaire de la Chaire de recherche du Canada en dynamique des structures. Le professeur a d’ailleurs consacré un chapitre de son livre Structures en béton armé à l’histoire de ce matériau. Cet ouvrage, très pratique, ainsi que Dynamique des structures constituent une mine de renseignements pour les ingénieurs et ingénieures en quête d’explications sur les règlements liés aux bâtiments.

Toujours de nouveaux projets

À 70 ans, Patrick Paultre, qui a reçu de nombreux prix prestigieux, aurait pu s’assoir sur ses lauriers. Il a plutôt pris le chemin inverse. Avec ses étudiantes et étudiants, il assure le suivi de certains ouvrages d’art au Québec – comme des ponts ou des viaducs – afin de localiser d’éventuelles défaillances et de pouvoir les corriger, allongeant ainsi la durée de vie de ces structures, en collaboration avec le ministère des Transports du Québec.

Après le tremblement de terre de 2010, ce grand humaniste s’est rendu à plusieurs reprises en Haïti et a rapidement constitué une équipe pour développer une expertise locale en matière de génie sismique. Il a en outre fondé l’Association haïtienne du génie parasismique.

Mais Patrick Paultre n’est pas qu’homme de béton et de génie ; il est aussi homme d’art. Ce lecteur féru d’histoire des sciences, qui adore toujours enseigner à l’Université de Sherbrooke, a toutefois un problème de taille : il manque d’heures dans la journée pour accomplir toutes ses activités…

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