L’entomotechnologie – Des insectes comestibles pour lutter contre le gaspillage alimentaire

Bien qu’il soit un modeste acteur dans l’industrie émergente de l’entomoculture au pays, le Québec entend se donner les moyens de s’y tailler une place de choix afin d’apporter sa contribution dans la lutte contre le gaspillage alimentaire. Pour ce faire, l’Université Laval a lancé en juin 2022 la Chaire de leadership en enseignement en production et transformation primaire d’insectes comestibles.

 


Cet article s’inscrit dans la collection « Transition écologique ».

Par Mélanie Larouche


 

Les chercheuses et chercheurs veulent ainsi créer un cycle en lien avec l’économie circulaire, afin de valoriser les déchets organiques en les utilisant pour nourrir des insectes comestibles qui pourront ensuite servir à l’alimentation animale, mais aussi à l’alimentation humaine.

Dirigée par Marie-Hélène Deschamps, la Chaire de leadership en enseignement en production et transformation primaire d’insectes comestibles poursuit le double objectif d’offrir aux futures et futurs agronomes une formation en entomoculture, une première au Canada, et d’optimiser les techniques de production. La nouvelle Chaire a obtenu un financement de 635 000 $ sur 5 ans provenant de 14 partenaires stratégiques, dont Recyc-Québec, Telus, le Centre de développement bioalimentaire du Québec et l’Institut national d’agriculture biologique du Cégep de Victoriaville.

« L’élevage d’insectes comestibles est encore peu connu au Québec », indique Mariève Dallaire-Lamontagne, agronome et chercheuse à la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation de l’Université Laval, récemment lauréate du Prix de la relève en recherche de agtech du Québec, qui a récompensé l’excellence de ses travaux dans le domaine des technologies innovantes en agriculture. Cette dernière vient de commencer des études de 3e cycle ; ses recherches portent sur les procédés de valorisation des résidus d’élevage et des coproduits animaux.

Au Canada, 30 % des aliments sont gaspillés et 58 % des résidus organiques d’origine alimentaire sont perdus dans la chaîne de production et d’approvisionnement ; l’élevage d’insectes comestibles peut contribuer à court-circuiter ce gaspillage. « Les larves de mouches soldats noires peuvent très favorablement remplacer des aliments comme le soya et les farines de poisson dans l’alimentation du bétail, dont les productions sont associées à des problèmes environnementaux comme la perte de biodiversité et la destruction d’écosystèmes », souligne la chercheuse.

«Pour encourager l’intégration des insectes dans l’alimentation humaine, il faudra innover pour rendre ça attrayant, étant donné que ce n’est vraiment pas dans nos habitudes de manger des insectes.»

— Mariève Dallaire-Lamontagne — Université Laval

 

Dans le cadre de son travail, Mariève Dallaire Lamontagne nourrit les larves avec des résidus organiques qui proviennent de sites d’élevage (par exemple des résidus de couvoiriers constitués des poussins et des œufs non commercialisables). « Ce sont des résidus dont la gestion est complexe, entre autres parce qu’ils comportent des risques microbiologiques et qu’ils dégagent des odeurs désagréables, précise-t-elle. À l’heure actuelle, ils sont valorisés sur les sites d’équarrissage par des méthodes qui requièrent des traitements thermiques coûteux sur le plan énergétique. Nous cherchons à remplacer ces modes de valorisation par des procédés plus durables, notamment en utilisant ces résidus pour élever nos insectes, qui vont les bioconvertir efficacement en ingrédients pour le bétail, et ce, avec peu de ressources (eau, nourriture, espace). Les aliments ainsi créés offrent une très haute valeur nutritionnelle et pourront également servir à nourrir les animaux domestiques. »

Un Potentiel Immense

C’est après l’obtention d’un baccalauréat en agronomie spécialisé en productions animales que Mariève Dallaire-Lamontagne a réalisé l’ampleur des enjeux environnementaux qui y sont liés. «Ça m’a motivée à trouver des solutions pour améliorer les méthodes d’élevage, explique-t-elle. En travaillant avec la colonie expérimentale de mouches soldats noires, j’ai rapidement compris tout le potentiel de ces insectes pour l’alimentation. C’est encore nouveau comme production, mais il y a de plus en plus d’entreprises qui s’intéressent à l’entomoculture. Nous sommes en train d’élaborer des procédés pour produire des insectes dans une optique de développement durable et d’économie circulaire. Les larves d’insectes sont faciles à élever et permettent même de traiter des matières contaminées pour en tirer des nutriments très sains. En effet, dans le cadre de mon projet de doctorat, pour contrôler les risques microbiologiques associés aux résidus animaux et éviter d’introduire de la contamination dans notre chaîne de production, on fait d’abord fermenter les résidus au lieu de les traiter thermiquement comme le font habituellement les entreprises d’équarrissage, d’où l’économie d’énergie.»

La chercheuse note qu’actuellement, les innovations sont nombreuses et de tout ordre. « Pour notre part, nous innovons dans les types de substrats employés dans l’élevage des larves, mentionne-t-elle. D’autres cherchent à mettre au point des produits à partir d’insectes. On peut séparer les huiles ou les composés bioactifs afin d’en faire des suppléments santé pour l’alimentation du bétail, pour favoriser la digestion. C’est très diversifié. »

Une Question Culturelle

Si la consommation d’insectes est chose courante dans bien des pays, ce n’est pas encore le cas en Amérique du Nord. «Culturellement, nous faisons face à une importante barrière mentale, dit Mariève Dallaire-Lamontagne. De ce fait, pour encourager l’intégration des insectes dans l’alimentation humaine, il faudra innover pour rendre ça attrayant, étant donné que ce n’est vraiment pas dans nos habitudes de manger des insectes. Les efforts devront d’abord se concentrer sur la transformation pour en faire quelque chose d’intéressant visuellement, c’est-à-dire que l’insecte ne devra pas être reconnaissable. On pourrait les intégrer dans des barres tendres, par exemple, ou dans des additifs pour les smoothies, etc. Le marché de l’alimentation des animaux domestiques représente aussi un très haut potentiel. Les insectes peuvent entre autres offrir une solution intéressante pour les chats et les chiens souffrant d’allergie au poulet.»

Sur le plan de l’ingénierie, il y a beaucoup à faire, estime Mariève Dallaire-Lamontagne, notamment en ce qui concerne l’automatisation, puisque la main-d’œuvre actuellement nécessaire à l’entomoculture coûte cher. «Il faut donc travailler à créer des économies d’échelle et à faciliter la production, note-t-elle. Il existe d’ailleurs des entreprises d’élevage d’insectes qui sont très automatisées et qui produisent à grande échelle, comme l’usine de production de grillons Aspire en Ontario (https://aspirefg.com) ou la compagnie Entosystem établie ici, au Québec, où l’on utilise des mouches soldats noires (https://entosystem.com).»


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