, 23 novembre 2022

Geneviève Dutil, ing. : la force tranquille

Ingénieure en génie mécanique, Geneviève Dutil, qui a créé l’entreprise LX Sim en 2010 avec son conjoint, fait fi des préjugés ou des modèles tout faits pour mener sa vie professionnelle.

Cet article s’inscrit dans la collection « Génie à la une ».
Par Pascale Guéricolas, photos : Denis Bernier


« Je ne suis pas sûre que cela vaut la peine de me mettre en avant. » Cette réaction de Geneviève Dutil à une demande d’entrevue pour Plan n’a rien à voir avec de la fausse modestie. En fait, elle résume bien la personnalité d’une femme cohérente avec ses choix de carrière. Cette entrepreneure ayant fait partie des 100 dirigeantes canadiennes mises en nomination en 2016 au classement W100, un des plus importants programmes de célébration de l’entrepreneuriat du pays, ne croit plus à l’efficacité de la hiérarchie. Oui, c’est vrai, sur papier elle préside LX Sim – une entreprise spécialisée en simulation par ordinateur et optimisation de produits, fondée avec son conjoint, Alessandro Del Mistro. Cependant, tout le personnel de la firme a le même statut et travaille sans directeur, sans vice-président ni gestionnaires.

Ce tournant majeur vers un modèle d’entreprise libérée et autogérée, l’ingénieure en a eu l’idée en 2018, alors qu’un formateur attire son attention sur cette nouvelle tendance en gestion à l’École d’entrepreneurship de Beauce. « J’avais envie que LX Sim se recentre sur son coeur de métier, le génie, et que tous ceux et celles qui travaillent chez LX Sim suivent leurs clients, depuis l’élaboration du projet jusqu’à la facturation, en passant par la réalisation, explique-t-elle. Notre but, c’est d’aider les entreprises et tous les gens qui nous contactent à être plus efficaces. Il semble donc logique qu’on les accompagne tout au long des étapes. »

 

« Ma mère, qui travaillait à son compte, me parlait souvent de sa facilité à faire ses propres horaires, et mon arrière-grand-père a lancé en 1920 S Huot, une entreprise d’usinage qui existe encore à Québec. »

Geneviève Dutil, ing. — LX Sim

Geneviève Dutil a mis en marche cette minirévolution avec le calme et la force tranquille qui la caractérisent, sans oublier sa capacité de dialogue. Peu à peu, les membres de l’organisation se sont répartis certains domaines comme la gestion du parc informatique et la préparation des budgets. La tenue des livres ou la gestion des réseaux sociaux incombent maintenant à des sous-traitants. Cette façon de faire fonctionne bien, si l’on en juge par la qualité des contrats décrochés par LX Sim dans un secteur en pleine expansion. Le transport et l’industrie du divertissement occupent une place de choix dans les mandats réalisés par cette équipe, qui aide les entrepreneurs à valider et à améliorer l’efficacité de systèmes mécaniques. L’utilisation de logiciels spécialisés permet en effet de vérifier l’aérodynamisme de certains équipements, de réduire leur poids, de concevoir des pièces, sans avoir à construire des prototypes coûteux et en gagnant un temps précieux. Certains inventeurs font donc appel aux services de LX Sim pour vérifier si leur projet a réellement un potentiel de production.

L’entreprise installée à Bromont, en Estrie, occupe un créneau bien niché. Si, au début, il fallait expliquer le concept de la simulation à un public potentiel, aujourd’hui les choses sont plus claires. Sauf que Geneviève Dutil ne cherche pas une croissance à tout prix, qui obligerait l’équipe d’ingénierie à soumissionner à des projets qui lui semblent aléatoires. Ensemble, l’équipe a d’ailleurs bâti un tableau pour mesurer le risque des clients qui s’adressent à LX Sim, et elle précise bien à ses interlocuteurs que le respect fait partie des valeurs essentielles de la PME.

La simulation comme arme massive d’efficacité

C’est en travaillant chez Bombardier Produits récréatifs (BRP) que Geneviève Dutil et Alessandro Del Mistro ont découvert ce nouvel outil. Pendant huit ans, cette mordue des moteurs a travaillé chez ce fabricant de motoneiges et de motomarines, des « jouets pour adultes », comme elle les nomme. Elle y concevait des pièces avec le soutien des mécanos et des laboratoires d’essais. « C’était le nec plus ultra du développement de produits, se souvient l’ingénieure, car l’entreprise y mettait beaucoup de moyens. J’ai beaucoup travaillé sur les suspensions, en faisant aussi des essais de motoneiges. »

À la fin des années 2000, la simulation d’ingénierie arrive. « On a commencé à travailler sur des logiciels qui permettaient de régler les défauts d’une pièce bien plus rapidement que lorsqu’on la fabriquait en 3D », relate l’ingénieure. Conscients du potentiel qu’offre ce nouvel univers, Alessandro Del Mistro et Geneviève Dutil quittent Bombardier. Leur maison vendue, ils investissent l’argent dans LX Sim à Bromont, en 2010. Rien ne les arrête, pas plus le scepticisme des entre­prises qui ne connaissent pas ce genre de service que les réticences des banques. Au fond, Geneviève Dutil prend conscience de son intérêt pour l’entrepreneuriat, elle qui avait fait un MBA tout en étant employée chez BRP. « Ma mère, qui travaillait à son compte, me parlait souvent de sa facilité à faire ses propres horaires, et mon arrière-grand-père a lancé en 1920 S Huot, une entreprise d’usinage qui existe encore à Québec », indique-t-elle.

La passion des moteurs

Voler de ses propres ailes la rapproche peut-être aussi de ses années d’adolescence, alors qu’elle passe des heures en compagnie de son père à réparer des moteurs de voitures et à confectionner des modèles réduits. Une passion qui la pousse à s’inscrire au bac­calauréat en génie mécanique à l’Université Laval en 1996, puis à devenir chef de piste de l’année, deux ans plus tard, au Championnat canadien de Formule Ford. Minutieuse, rigoureuse, attentive, elle se taille assez facilement une place dans un univers masculin. Même chose plus tard chez BRP, où ses collègues ingénieurs la sollicitent pour tester et ajuster les suspensions sur les motoneiges, « qui ne sont pas toujours destinées à des gars mesurant 6 pieds ! », leur faisait-elle remarquer gentiment.

Éprouvant toujours autant d’intérêt pour sa profession, cette mère de deux adolescents prône cependant une vie marquée par l’équilibre entre le travail et tout le reste. Si elle a un moment caressé le rêve de dévelop­per davantage les marchés étrangers, l’investissement en temps et en énergie que cela nécessite la pousse pour l’instant vers d’autres choix. « C’est vraiment rare que je travaille plus de 40 ou 45 heures par semaine, affirme cette mordue de sports. J’aime LX Sim, mais pas au point de ne faire que ça. »

Mesurée et tranquille en apparence, Geneviève Dutil adore la sensation liée à la sécrétion d’adrénaline que lui procurent les défis d’une descente en vélo de montagne ou une course avec son kart de compétition en circuit en compagnie de son fils. Sans parler des randonnées en moto. Et l’avenir de LX Sim dans tout ça ? Après avoir tourné le dos au modèle de l’entreprise classique « qui compte deux étages de VP qui ne sont pas toujours essentiels », l’ingénieure songe à un style d’affaires plus approprié à ce système autogéré. « Peut-être une coo­pérative de travail. Au fond, c’est peut-être l’évolution naturelle pour une entreprise comme la nôtre. »

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