À la chasse aux énergies renouvelables

Énergir, Hydro-Québec et même la Coopérative régionale d’électricité de Saint-Jean-Baptiste-de-Rouville mettent les bouchées doubles pour contribuer à baisser l’émission des gaz à effet de serre, tout en fournissant de l’énergie au Québec.

Cet article s’inscrit dans la collection « DOSSIER ÉNERGIE»
Par Pascale Guéricolas


Rarement la question énergétique n’a occupé une place aussi brûlante dans l’actualité québécoise depuis la construction des grands barrages hydroélectriques. D’ores et déjà, Hydro-Québec prévoit la fin de ses surplus dès 2026. Sans compter que le Québec a fixé à 2050 l’atteinte de la carboneutralité, une cible qui va forcément accroître les besoins en énergies renouvelables afin de diminuer de façon radicale le recours aux énergies fossiles. Autre point important, la recherche menée par les investisseurs un peu partout sur la planète afin de trouver où bâtir des structures pour mettre au point des technologies carboneutres, des productions qui nécessitent une énergie à bon marché, tout en n’ajoutant pas de gaz à effet de serre dans l’environnement.

Doté d’une source d’énergie renouvelable à 94 % avec l’hydroélectricité, le Québec dispose d’une longueur d’avance sur les autres provinces canadiennes et bien d’autres régions du monde. À cela s’ajoutent aussi depuis quelques années les parcs éoliens et les installations de biométhanisation qui convertissent les déchets agricoles ou ménagers en source énergétique. Le gouvernement du Québec prévoit d’ailleurs augmenter de 50 % d’ici 2030 la part des bioénergies, ce qui comprend aussi le biocarburant. Autre cible la même année, porter à 10 % la part de gaz naturel renouvelable (GNR) distribuée ici, soit 500 millions de mètres cubes par an.

 

 

HYDRO-QUÉBEC : FAIRE PLUS AVEC LE MÊME NOMBRE DE CENTRALES

 

Consciente des besoins accrus en électricité verte, Hydro-Québec élabore un plan de réhabilitation de son parc de production vieillissant, afin d’accroître sa production de 5 % d’ici 2035.

 

Pour Hydro-Québec l’accroissement de la production d’électricité verte de 5 % d’ici 2035 représente 2 000 MW supplémentaires provenant de 14 de ses 62 centrales hydroélectriques. Cette cible pourrait atteindre 3 300 MW additionnels à son plein potentiel quelques années plus tard. Plusieurs des installations en place vont devenir centenaires sous peu ; la réhabilitation prolongera la durée des barrages et augmentera la production d’électricité.

 

« La modernisation des centrales passe surtout par le remplacement des groupes turbines-alternateurs, dont la conception et l’installation ont considérablement évolué ces dernières années. »

André Lord, ing. – Hydro-Québec

 

« Il existe deux façons d’augmenter la puissance, précise l’ingénieur en génie mécanique André Lord, de la direction Expertise et soutien technique à Hydro-Québec. La première est de remplacer certaines composantes pour un plus grand rendement avec le même débit d’eau, et la seconde consiste à augmenter le débit. Il faut bien comprendre que la géométrie d’origine limite les changements que l’on peut apporter, car plusieurs éléments sont encastrés dans le béton. Voilà pourquoi la modernisation des centrales passe surtout par le remplacement des groupes turbines-alternateurs, dont la conception et l’installation ont considérablement évolué ces dernières années. »

 

À la centrale de Rapide-Blanc par exemple, une installation qui date de 1934 sur la rivière Saint-Maurice au nord de La Tuque, les changements concernent six de ces équipements. À terme, une plus grande quantité d’eau pourra passer à travers les turbines étant donné qu’on installera des composantes plus efficaces. La conception de ces pièces d’envergure se fait maintenant en simulation numérique et prend en compte les caractéristiques de chaque site, ce qui ne se faisait pas auparavant. Par ailleurs, l’utilisation d’acier inoxydable à haute limite élastique pour la roue favorise de meilleurs rendements avec des pales plus minces, ce qui a pour effet d’augmenter la production de chaque installation.

S’adapter en ayant recours au numérique

Autre innovation, les performances des nouvelles turbines dépendent beaucoup moins aujourd’hui de la quantité d’eau qu’elles traitent. « La conception numérique de ces équipements nous donne accès à des plages d’exploitation beaucoup plus grandes, note Marc-André Langlois, ingénieur en génie mécanique dans la division Projets de construction à Hydro-Québec. Par le passé, des débits bas risquaient d’endommager les turbines. Cela offre donc plus de flexibilité pour exploiter la ressource, ce qui pourra sans doute favoriser l’adaptation aux changements climatiques dans l’avenir. »

 

« La conception numérique de ces équipements nous donne accès à des plages d’exploitation beaucoup plus grandes […] Cela offre donc plus de flexibilité pour exploiter la ressource. »

Marc-André Langlois, ing. – Hydro-Québec

 

L’utilisation de maquettes en 3D et 4D de centrales à réhabiliter, comme la centrale construite sur la rivière aux Outardes sur la Côte-Nord où les anciennes et nouvelles composantes ont été numérisées, joue un rôle important pour diminuer de plus de la moitié le temps de remplacement des groupes turbine. Les équipes peuvent en effet mieux planifier les échéances des travaux à effectuer. Depuis la mise en service de la Romaine-2, le prémontage d’équipements en ateliers, ou sur des abris temporaires à proximité de la centrale, accélère aussi le chantier.

 

 

ÉNERGIR : DE NOUVELLES SOURCES ÉNERGÉTIQUES

 

Des entreprises québécoises participent actuellement à ce grand mouvement qu’est la transition énergétique. Énergir, par exemple, mène cette bataille sur plusieurs fronts avec sa Vision 2030-2050.

 

Pour Énergir, il s’agit de réduire le recours aux gaz d’origine fossile en utilisant plutôt du gaz naturel renouvelable (GNR) provenant notamment de la biométhanisation, d’augmenter l’efficacité énergétique, en arrimant mieux les réseaux gazier et électrique, puis de se diversifier en choisissant des secteurs de croissance durable.

Énergir favorise le développement du GNR au Québec en signant des ententes avec des partenaires qui ont pignon sur rue au Québec. Saint-Hyacinthe a été l’une des premières villes à lever la main au Québec. C’est dans cette municipalité qu’une usine de biométhanisation a vu le jour dès 2018. Elle utilise essentiellement les déchets organiques des bacs bruns de ses citoyennes et citoyens, mais aussi les déchets industriels, commerciaux et institutionnels issus notamment de l’agroalimentaire. Chaque année, Énergir lui achète jusqu’à environ 13 millions de mètres cubes de GNR, en vertu d’un contrat prévu pendant 20 ans. D’autres producteurs locaux s’ajoutent comme la Coop Agri-Énergie Warwick et le Centre de traitement de biomasse de la Montérégie, ou ADM Agri- Industries à Candiac.

 

« Les producteurs de GNR viennent des milieux municipal, institutionnel, commercial et industriel. Ces derniers produisent du GNR à partir de matières organiques résiduelles provenant des déchets domestiques ou agricoles. »

Jean-François Jaimes – Énergir

 

« Le Québec possède déjà un savoir-faire intéressant dans ce domaine avec des technologies éprouvées et matures, fait remarquer Jean-François Jaimes, directeur exécutif, développement des énergies renouvelables et du gaz naturel liquéfié chez Énergir. Les producteurs de GNR viennent des milieux municipal, institutionnel, commercial et industriel. Ces derniers produisent du GNR à partir de matières organiques résiduelles provenant des déchets domestiques ou agricoles, mais aussi des sites d’enfouissement où le biogaz est capté et purifié. Pour atteindre notre cible d’au moins 10 % de GNR par an d’ici 2030, il nous faut en trouver beaucoup. Voilà pourquoi nous avons choisi de nous orienter vers des investissements non réglementés par la Régie de l’énergie, en nous associant à certains projets au Québec. »

Nouveau partenariat pour produire du GNR

Le milieu agricole constitue aussi un incontournable dans cette démarche. C’est pourquoi Énergir a annoncé un partenariat avec Nature Energy, une entreprise danoise reconnue comme un leader mondial en matière de GNR.

Elle apporte une expertise différente, car elle exploite des usines de grande ampleur. Au printemps 2022, Nature Energy a annoncé son premier projet au Québec en se lançant dans le développement d’une usine de récupération des fumiers et des lisiers à Farnham, en Estrie. À terme, ce projet de plus de 100 millions de dollars devrait produire 20 millions de mètres cubes de GNR par an, qui seront vendus à Énergir.

Jusqu’à 10 usines devraient également être construites à proximité des ressources agricoles au Québec dans des régions à haute densité agricole comme la Montérégie, Chaudière-Appalaches, le Centre-du-Québec et l’Estrie. Ce partenariat permettra d’ailleurs à des producteurs et productrices agricoles de diversifier leurs sources de revenus. En effet, ils et elles contribueront à certains projets, tout en réduisant leurs émissions de GES. Le choix des sites demandera sans doute beaucoup d’attention, puisqu’il faut trouver le lisier et le fumier dans un rayon relativement restreint de l’usine, soit de 30 à 40 km, pour limiter les déplacements, et aussi pour s’assurer qu’un réseau de distribution gazier passe à proximité.

« C’est une filière en plein développement pour laquelle le gouvernement du Québec a prévu des subventions pour des études de faisabilité, avance Jean-François Jaimes. Cela nous donne bon espoir d’atteindre notre cible de distribution d’au moins 10 % de GNR d’ici 2030. » Le réseau, qui devrait distribuer 2 % de ce type de gaz en 2023, s’approvisionne aussi du côté d’Archaea Energy, une entreprise du Nord-Est américain utilisant essentiellement de la matière venant des sites d’enfouissement.

Autre cheval de bataille d’Énergir, faire passer 100 000 de ses clients résidentiels, commerciaux et institutionnels d’ici 2030 vers la bi-énergie (gaz naturel-électricité), en collaboration avec Hydro-Québec. Amorcée à l’été 2022 pour le secteur résidentiel, cette conversion devrait permettre aux usagers de diminuer de 70 % leur consommation de gaz naturel fossile au profit de l’hydroélectricité. « Notre devise, c’est “la bonne énergie, à la bonne place, au bon moment”, signale Jean- François Jaimes. Autrement dit, utiliser moins de gaz naturel fossile et réduire les GES quand il existe des solutions meilleures pour l’environnement. Dans le même temps, nous incitons nos clients à opter pour le

GNR. Nous sommes conscients que cela engendre un léger surcoût, mais ils peuvent choisir la quantité de GNR qu’ils désirent consommer, en fonction de leur capacité financière. Cela aide aussi à la décarbonation. »

Cap sur l’éolien

Au fil des ans, Énergir a diversifié ses activités, en contribuant à la distribution d’électricité au Vermont et en développant l’énergie solaire aux États-Unis. L’entreprise s’intéresse aussi de plus en plus au secteur éolien, notamment à travers des projets de 340 MW, déjà en fonction sur le territoire de la Seigneurie de Beaupré. Énergir, Boralex et Hydro-Québec ont d’ailleurs conclu un partenariat en 2022 pour l’élaboration de trois projets de 400 MW chacun, adjacents aux parcs existants. Ils devraient fournir, à terme, 1 200 MW aux clientes et clients québécois. Divisé en trois sites dans la région de Charlevoix et de la Côte-de-Beaupré, ce territoire est bien balayé par les vents. Il s’agit des terres du Séminaire de Québec, exploitées pour leurs ressources forestières.

« L’avantage, c’est qu’il existe plusieurs routes d’accès déjà construites et relativement peu d’habitations permanentes, ce qui facilite l’acceptabilité sociale du projet, indique le directeur du développement, des énergies renouvelables et du gaz naturel d’Énergir. Autre point important, la proximité du réseau de Trans-Énergie et un grand bassin de consommateurs pas si loin des éoliennes. » La construction pourrait débuter en 2024 alors que la production pourrait être lancée en 2026 sur la Côte-de-Beaupré. De quoi alimenter plus de 75 000 résidences.

 

 

COOP SJB : DIVERSIFIER SES ACTIVITÉS AVEC DE L’ÉNERGIE PROPRE

 

Le réseau de distribution d’Énergir n’est pas le seul à diversifier ses sources d’approvisionnement énergétique. En Montérégie, la Coopérative régionale d’électricité de Saint-Jean-Baptiste-de-Rouville en est un exemple.

 

En Montérégie, la Coopérative régionale d’électricité de Saint-Jean-Baptiste-de- Rouville, qui regroupe 5 800 membres de 17 municipalités, veut participer à la transition énergétique du Québec et contribuer à sa décarbonation en 2050. Ce réseau, fondé en 1944, constitue le dernier exemple des coopératives d’électricité telles qu’il en existait un peu partout dans le Québec rural au moment de l’électrification des campagnes.

En partenariat à 50 % avec un acteur de l’industrie éolienne, la Coopérative projette de devenir à son tour productrice d’électricité dès 2027, en plus de ses activités de distribution. Un parc éolien comportant 15 éoliennes d’environ 90 MW pourrait être construit pour 220 millions de dollars à Sainte-Angèle-de-Monnoir et à Sainte-Brigided’Iberville, non loin de l’autoroute 10. Une partie de la production serait injectée dans le réseau d’Hydro-Québec.

Des redevances attendues

Cet endroit, bien exposé au vent, se situe près de la ligne de transport d’Hydro-Québec de 120 000 volts. Selon les prévisions, les deux municipalités concernées se partageraient des redevances d’environ 520 000 dollars par an durant trois décennies, soit la durée du contrat d’achat d’électricité par Hydro-Québec. Pour l’instant, il faut cependant attendre que l’entreprise publique lance son appel d’offres et que la Coopérative dépose sa candidature et emporte la mise.

 

« Nous nous efforçons de faciliter l’acceptabilité sociale des installations grâce à notre implication dans la communauté depuis plusieurs années et notre proximité avec nos membres. »

Damien Tholomier – Coopérative régionale de Saint-Jean-Baptiste-de-Rouville

 

« Dans ce projet, notre partenaire apporte son expertise côté éolien et, pour notre part, nous nous efforçons de faciliter l’acceptabilité sociale des installations grâce à notre implication dans la communauté depuis plusieurs années et notre proximité avec nos membres », explique Damien Tholomier, directeur de la Coopérative régionale. Le site valorisera les ressources du territoire dans le respect de la communauté. Actuellement le réseau, qui s’approvisionne entièrement à Hydro-Québec, est tributaire des hausses tarifaires annoncées par l’entreprise d’État. L’ajout de cette nouvelle activité va aider la Coopérative à diversifier ses revenus tout en augmentant l’expertise du personnel.

Créer une synergie

Pas en mal d’idées, la Coopérative mise aussi sur la biométhanisation pour diversifier son offre énergétique. Un futur complexe devrait naître à Saint-Damase, là encore en partenariat à 50 % avec un acteur de cette industrie. Le but : transformer 50 000 tonnes de lisier et de fumier de vaches laitières et de porcs pour lesquels les agricultrices et agriculteurs manquent de terres d’épandage. Si l’on y ajoute 20 000 tonnes de résidus agroalimentaires, les installations devraient fournir 3 millions de mètres cubes de GNR aux consommateurs d’Énergir chaque année.

 

« Le projet de biométhanisation vise à créer une synergie avec le secteur agricole […] En plus de l’énergie produite, le complexe fournira aussi des fertilisants, adaptés aux besoins particuliers des agriculteurs et agricultrices. »

Jean-François Paris, ing. – Coopérative régionale de Saint-Jean-Baptiste-de-Rouville

 

« Le projet de biométhanisation vise à créer une synergie avec le secteur agricole, largement représenté parmi les membres de notre Coopérative, mentionne l’ingénieur Jean-François Paris, directeur de l’ingénierie et des opérations. En plus de l’énergie produite, le complexe fournira aussi des fertilisants, adaptés aux besoins particuliers des agriculteurs et agricultrices. Le projet réduira aussi les gaz à effet de serre et l’empreinte carbone du milieu agricole. » La Commission de protection du territoire agricole devra autoriser le projet, puis une étude de faisabilité suivra.

Énergie éolienne, biométhanisation, amélioration des barrages hydroélectriques existants, les projets se multiplient pour aider le Québec à prendre un virage économique durable. C’est une occasion pour le monde du génie d’innover encore davantage dans des solutions technologiques qui prennent en compte l’empreinte environnementale énergétique.

 

 

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