, 31 janvier 2023

Polytechnique Montréal : berceau du génie francophone au Canada

Polytechnique
À Montréal, au xixe siècle, un nouvel établissement d’enseignement voit le jour en 1873. Cette institution jouera un rôle crucial dans le développement économique du Canada, et plus particulièrement du Québec. Elle formera des cohortes d’ingénieurs et ingénieures francophones qui contribueront à l’essor économique du pays. Aujourd’hui, à l’aube de ses 150 ans, Polytechnique Montréal se trouve à l’avant-garde des grands projets-cadres internationaux de recherche. Voyons le long chemin qu’elle a parcouru.

Cet article s’inscrit dans la collection « Dossier Polytechnique Montréal 150 ans ».
Par Robert Gagnon


La naissance de l’école polytechnique de Montréal

Dans les années 1850, l’avènement des chemins de fer et le début de l’industrialisation suscitent de nouveaux besoins dans un Québec qui bouge. Politiciens, hommes d’affaires, journalistes et éducateurs évoquent alors la nécessité d’adapter son système d’éducation aux nouvelles réalités économiques. Selon eux, il devient urgent de former dans les établissements d’enseignement supérieur non seulement des médecins, des avocats ou des prêtres, mais aussi des géologues, des chimistes et, surtout, des ingénieurs. En 1867, la Confédération, qui octroie la juridiction exclusive de l’éducation aux provinces, va permettre de créer les deux premiers établissements voués à la formation des ingénieurs. En 1871, l’Université McGill inaugure le Department of Practical and Applied Sciences, embryon de ce qui allait devenir sa faculté de génie. Deux ans plus tard, les efforts du premier ministre Gédéon Ouimet et du directeur de l’Académie commerciale catholique de Montréal, Urgel-Eugène Archambault, mènent à la création de l’École des sciences appliquées aux arts et à l’industrie, au sein de l’Académie, pour la dispense d’un cours scientifique et industriel en français. L’École sera rebaptisée École Polytechnique de Montréal en 1876 par le gouvernement du Québec.

Des débuts difficiles et des luttes victorieuses

Les débuts de l’École Polytechnique de Montréal s’avèrent difficiles. L’absence d’une grande bourgeoisie canadienne-française et son isolement dans un système d’enseignement dominé par le clergé entravent son épanouissement. Il faut attendre le début du XXe siècle pour que les premiers signes annonciateurs de jours meilleurs se manifestent. En 1901, l’École obtient 25 000 $ grâce à un legs de l’industriel Joseph-Octave Villeneuve. Elle pourra ainsi lancer la construction d’un immeuble digne de ce nom, inauguré en 1905. Ce sont surtout les dirigeants et diplômés de Polytechnique qui vont mener un combat de tous les instants pour valoriser le statut de l’École et celui des ingénieurs ; ils vont en effet jouer un rôle prépondérant dans la construction de l’identité sociale de l’ingénieur. En 1908, la création de la section de Québec de la Société canadienne des ingénieurs civils et les efforts de l’Association des anciens élèves de l’École Polytechnique vont permettre la reconnaissance sociale de la profession d’ingénieur. En 1918, le Québec devient ainsi la première province canadienne à se doter d’une loi protégeant le titre d’ingénieur et la pratique de la profession.

La conquête des administrations publiques

Bien qu’absents des grandes industries, les ingénieurs formés à Polytechnique ne chôment pas. Ils réussissent à conquérir des postes dans les administrations publiques et à jouer un rôle non négligeable dans la modernisation du Québec. Les ministères de la Voirie, des Travaux publics, des Mines, la Commission des eaux courantes sont des lieux d’exercice importants pour les diplômés de l’École. Il en va de même pour les services municipaux des grands centres urbains, souvent dirigés par des personnes diplômées de l’École Polytechnique. La conquête des postes de commande dans ces lieux avantage certains ingénieurs qui se sont faits entrepreneurs de construction ou qui se sont lancés dans la pratique du génie-conseil. La réalisation de grands travaux municipaux (usines de filtration, systèmes d’aqueduc, tunnels routiers, édifices publics…) ou de travaux publics commandés par le gouvernement provincial (barrages hydroélectriques, grandes routes, écoles, etc.) permet notamment à des bureaux francophones de génie-conseil de s’imposer dans ce secteur de l’économie. Marius Dufresne, Arthur Surveyer, Séraphin Ouimet, Stanislas-Albert Beaulne, tous diplômés de Polytechnique entre 1900 et 1915, ont fondé des entreprises dont la réussite ne passe pas inaperçue.

La révolution tranquille ouvre de nouveaux horizons

Au début des années 1950, de nombreux ingénieurs francophones, pour la plupart formés à l’École Polytechnique, éprouvent toujours des difficultés à franchir les portes de la grande industrie. Rappelons qu’en 1953, 108 des 119 ingénieurs du complexe Alcan à Arvida sont des anglophones. Or, le vent s’apprête à tourner. D’ailleurs, l’année 1959 laisse entrevoir que les temps changent : Gabrielle Bodis devient la première femme diplômée de Polytechnique. Au moment de l’arrivée au pouvoir de libéraux de Jean Lesage en 1960, une nouvelle vague d’investissements dans l’industrie manufacturière, la nationalisation de l’ensemble des compagnies productrices d’hydroélectricité et la création de plusieurs sociétés d’État dans le secteur des richesses naturelles ouvrent de nouvelles perspectives pour les personnes diplômées de Polytechnique. Par ailleurs, les gouvernements québécois et canadien ainsi que la Ville de Montréal injectent des sommes substantielles dans des projets d’envergure (métro de Montréal, Expo 67, modernisation du système routier, entre autres). Plus important encore, la construction des grands barrages à Manicouagan et à la Baie-James permet à des firmes d’ingénierie québécoises, créées par des diplômés de Polytechnique, de participer à ces chantiers et d’acquérir une expertise propice à la conquête de marchés internationaux. C’est le cas, notamment, de SNC et de Lavalin (aujourd’hui SNC-Lavalin). D’autres firmes au rayonnement international comme Cogeco, fondée par un ancien de Polytechnique, ou Bombardier, qui regroupe un large bassin de polytechniciens, témoignent de l’apport de l’institution montréalaise. Dorénavant plus nombreux au Québec que leurs compatriotes anglophones, les ingénieurs francophones accèdent massivement aux postes supérieurs au sein des grandes entreprises privées.

Polytechnique aujourd’hui, ici et dans le monde

À la fin du premier quart du xxie siècle, Polytechnique trône parmi les grandes institutions de génie dans le monde. Elle pilote nombre de projets de recherche qui totalisent annuellement plus de 100 millions de dollars. Elle entretient des collaborations avec pas moins de 300 partenaires du secteur industriel qui viennent aussi bien du Canada que du monde entier. Parmi ces partenaires se trouvent de grandes sociétés actives dans des domaines de pointe, tels l’aérospatial, le biomédical, l’énergie, l’intelligence artificielle et les télécommunications. Enfin, Polytechnique accueille aujourd’hui 10 000 étudiants et étudiantes ; la proportion des femmes qui y étudient est de 30 %. Polytechnique Montréal a fait du chemin depuis la première promotion du printemps 1877, qui comptait cinq diplômés. Son fondateur, Urgel-Eugène Archambault, avait rêvé que son école de génie puisse survivre aux nombreuses difficultés rencontrées au cours de ses premières années. S’il revenait sur terre aujourd’hui, gageons qu’il n’en croirait pas ses yeux!

 

Robert Gagnon est professeur au Département d’histoire de l’Université du Québec à Montréal et membre du Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie (CIRST). Il a écrit plusieurs livres, dont Histoire de l’École Polytechnique de Montréal, La montée des ingénieurs francophones (Boréal, 1991), Urgel-Eugène Archambault, Une vie au service de l’instruction publique (Boréal, 2013) et Augustin Frigon, Sciences, techniques et radiodiffusion (Boréal, 2019).

150 ans à façonner le Québec

Comment Polytechnique Montréal qui forme des cohortes d’ingénieurs depuis 150 ans entend-elle continuer à façonner le Québec d’aujourd’hui et de demain? Dans cette vidéo, Maud Cohen, ing., directrice générale de Polytechnique Montréal, répond à cette question et ouvre la discussion sur les nombreux enjeux auxquels l’ingénierie québécoise devra faire face.

 

En savoir plus : 

Lire la revue Plan Janvier-février 2023

 

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