, 1 mars 2022

Confiance du public et secret professionnel

Dans notre vie de tous les jours, avouons-le, il nous est parfois difficile de garder certains secrets confiés au détour d’une conversation pendant une rencontre familiale ou un repas entre amis. Dans notre vie privée, dévoiler un secret ou le garder est bien souvent le fait d’une maladresse ou une question de conscience personnelle. Il en va tout autrement dans notre vie professionnelle.

Cet article s’inscrit dans la collection « Éthique et déontologie ».
Par Me Martine Gervais, avocate chef d’équipe de la gestion des demandes d’enquête et conseillère juridique au Bureau du syndic et Philippe-André Ménard, ing. syndic adjoint


En cette ère de médias sociaux où la transparence est mise sur un piédestal, la discrétion et la retenue ne sont pas toujours des qualités très valorisées. Pour le grand public, le secret professionnel est souvent associé à la protection des renseignements personnels et au respect de la vie privée (comme c’est le cas pour les  médecins, les psychologues, les avocats, etc.). Or, ce concept est beaucoup plus large. Pour les membres de l’Ordre des ingénieurs du Québec, il concerne bien souvent la non-divulgation et la non-utilisation de secrets industriels et de renseignements commerciaux fournis par le client (y compris évidemment l’employeur).

Dans une récente décision (1), le Conseil de discipline a imposé une radiation temporaire de 6 mois à un ingénieur qui avait «fait usage de renseignements de nature confidentielle au préjudice de son client en vue d’obtenir directement ou indirectement un avantage pour lui-même ou pour autrui».

Dans cette affaire, il a été admis que l’ingénieur s’était approprié des données informatiques et des documents d’ingénierie de son employeur, afin de s’en servir éventuellement au bénéfice d’une entreprise concurrente, qu’il avait fondée avec d’autres partenaires. Ici, comme dans la plupart des affaires similaires  soumises au Conseil de discipline(2), le client de l’ingénieur était son employeur.

Quitter son emploi en emportant des documents contenant des renseignements de nature confidentielle appartenant à son employeur pour en obtenir un avantage personnel, ou encore pour divulguer à des concurrents des informations techniques ou commerciales sensibles, qu’importe les motivations, ce sont des gestes graves, qui minent la confiance du public et la crédibilité de la profession. C’est pourquoi les sanctions disciplinaires comportent généralement des radiations temporaires, plus ou moins longues, assorties parfois d’amendes, selon les circonstances propres à chaque affaire. Et ce sont aussi des gestes potentiellement passibles d’accusations criminelles et de poursuites civiles.

Tous les renseignements sont-ils protégés par le secret professionnel?

Le secret professionnel est l’un des fondements de la relation de confiance nécessaire entre les membres de la profession et leurs clients. Le Code de déontologie des ingénieurs y consacre d’ailleurs plusieurs articles(3).

De plus, tant la Charte des droits et libertés de la personne(4) que le Code civil du Québe(5) prévoient certaines dispositions restrictives quant à la divulgation ou à l’usage d’informations de nature confidentielle. Précisons toutefois que les renseignements obtenus lors de l’exécution d’un mandat ou en cours d’emploi
ne sont pas nécessairement tous de nature confidentielle et ne sont donc pas toujours soumis au secret professionnel. Pour que le secret professionnel s’applique, plusieurs critères doivent être satisfaits. Mentionnons, entre autres, que le renseignement doit provenir du client, qu’il ne doit pas être de commune
renommée, et qu’il ne doit pas résulter des travaux ou des observations de l’ingénieur ou de l’ingénieure.

Cela étant dit, il n’en demeure pas moins que pour maintenir le lien de confiance avec les clients, les ingénieures et les ingénieurs ont à faire preuve de discrétion relativement aux informations qu’ils détiennent. Le Règlement sur la tenue des dossiers et des cabinets de consultation des ingénieurs prévoit aussi certaines dispositions à cet égard(6).

En terminant, il nous apparaît important de souligner que le secret professionnel existe au bénéfice du client et non pour protéger l’ingénieur ou l’ingénieure. C’est pourquoi le client peut relever l’ingénieur ou l’ingénieure de son secret.

De plus, certaines disposions légales relèvent le professionnel du secret professionnel. Par exemple, l’obligation de respecter le secret professionnel ne peut être invoquée par un professionnel pour se soustraire à son devoir de collaborer avec son syndic(7), et il en va de même pour une entente de confidentialité qui  pourrait intervenir entre un ingénieur ou une ingénieure et son client.

 


1. Ingénieurs (Ordre professionnel des) c. Tarnowski, 2021 QCCDING 19.
2. Par exemple, Ingénieurs (Ordre professionnel des) c. Corneau, 2011 CanLII 101157 (QC CDOIQ); Ingénieurs (Ordre professionnel des) c. Pelletier, 2017 CanLII 95101 (QC CDOIQ); Ingénieurs (Ordre professionnel des) c. Semerjian, 2018 CanLII 69936 (QC CDOIQ).
3. Articles 3.06.01 à 3.06.04.
4. «Chacun a droit au respect du secret professionnel. […]» (Article 9.)
5. «Le salarié, outre qu’il est tenu d’exécuter son travail avec prudence et diligence, doit agir avec loyauté et honnêteté et ne pas faire usage de l’information à caractère confidentiel qu’il obtient dans l’exécution ou à l’occasion de son travail. Ces obligations survivent pendant un délai raisonnable après cessation du contrat, et survivent en tout temps lorsque l’information réfère à la réputation et à la vie privée d’autrui.» (Article 2088.)
6. «L’ingénieur doit classer ses dossiers et les plans et devis de façon à les conserver en bonne condition d’utilisation durant l’exécution du projet dans un endroit où le public n’a pas librement accès.» (Article 2.03.)
7. «Le témoin ou le professionnel qui témoigne devant le conseil est tenu de répondre à toutes les questions. […] Il ne peut invoquer son obligation de respecter le secret professionnel pour refuser de répondre.» (Code des professions, article 149.)

 

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