Usurpation de titre : « Mais c’est mon employeur qui m’a donné ce titre ! »

Selon un signalement récemment soumis à l’équipe du Service de la surveillance de la pratique illégale, une personne utilisait le titre d’ingénieur logiciel sur son profil LinkedIn, dans ses signatures courriel et sur le site Web de l’entreprise, alors qu'elle n'était pas membre de l'Ordre.

Cet article s’inscrit dans la collection « Législation et jurisprudence ».
Par Marie-Julie Gravel, ing., M. Sc. A., conseillère à la surveillance de la pratique illégale

En collaboration avec Me Patrick Marcoux, avocat


L’enquêteur de l’Ordre a donc rencontré l’individu pour lui faire comprendre qu’utiliser le titre d’ingénieur est strictement réservé aux membres de l’Ordre des ingénieurs du Québec et que, comme ce n’était pas son cas, il se trouvait en état d’infraction à la Loi sur les ingénieurs. La réponse de l’individu? « Mais c’est mon employeur qui m’a donné ce titre! »

De fait, l’Ordre constate que des entreprises, y compris des entreprises d’envergure et souvent multinationales, attribuent à leurs employés des titres tels que «ingénieur qualité», «ingénieur logiciel», «ingénieur de produit», voire «ingénieur financier». L’Ordre a vu des cas où plus d’une centaine de personnes à l’emploi d’une entreprise – qui n’étaient pas membres de l’Ordre – s’étaient fait donner des titres d’emploi qui constituent une usurpation du titre d’ingénieur. Si l’employeur donne le titre d’ingénieur à une personne qui n’est pas membre de l’Ordre des ingénieurs du Québec, cette personne peut-elle être reconnue coupable d’une infraction?

 

Que dit la Loi ?

La Loi sur les ingénieurs est claire : nul ne peut, s’il n’est ingénieur, prendre le titre d’ingénieur seul ou avec qualificatifs ou utiliser quelque titre, désignation ou abréviation susceptible de laisser croire que l’exercice de la profession d’ingénieur lui est permis ou s’annoncer comme tel. Le profil LinkedIn est un outil de promotion personnel. C’est la personne elle-même qui décide ce qu’elle inscrit sur son profil.

Tout le monde est responsable de s’assurer que ce qui y est publié respecte les lois. La responsabilité individuelle d’une personne qui utilise le titre sans être membre de l’Ordre est facile à établir ; cette personne est donc passible d’amendes pouvant aller de 2 500 $ à 62 500 $ par chef d’accusation.

Mais si c’est l’employeur qui donne le titre d’ingénieur à une employée ou un employé sans se préoccuper de savoir si cette dernière ou ce dernier est bel et bien membre de l’Ordre, pourrait-on dire que l’entreprise l’encourage à commettre une infraction ? L’employeur a-t-il une responsabilité ?

Le respect des lois entourant l’usage du titre ne revient pas seulement aux individus. Les organisations, responsables de l’attribution des titres de fonction, doivent également se conformer aux lois applicables en ce domaine au Québec. C’est le Code des professions qui attache une responsabilité pénale, dans les deux cas suivants, lorsque l’employeur:

 

  • annonce ou désigne une personne qui n’est pas membre d’un ordre professionnel par un titre, par une abréviation de ce titre ou par des initiales réservés aux membres d’un tel ordre, ou par un titre, une abréviation ou des initiales pouvant laisser croire qu’elle l’est;
  • amène, par une autorisation, un conseil, un ordre ou un encouragement, mais autrement que par le fait de solliciter ou de recevoir des services professionnels d’une personne qui n’est pas membre d’un ordre professionnel dont les membres exercent une profession d’exercice exclusif ou une activité professionnelle réservée en vertu de l’article 37.1 du Code des professions, une personne qui n’est pas membre d’un tel ordre:
  1. a) à exercer une activité professionnelle réservée aux membres d’un tel ordre;
  2. b) à utiliser un titre ou une abréviation de ce titre réservés aux membres d’un tel ordre, ou un titre ou une abréviation pouvant laisser croire qu’elle en est membre;
  3. c) à s’attribuer des initiales réservées aux membres d’un tel ordre ou des initiales pouvant laisser croire qu’elle en est membre.

 

Une infraction qui peut s’avérer coûteuse !

En plus d’exposer ses employés à faire l’objet d’une enquête et éventuellement de poursuites pénales, le fait d’annoncer ou de désigner une personne par un titre ou une abréviation de titre qui laisse croire que la personne est membre de l’Ordre des ingénieurs du Québec constitue une infraction. Pour une entreprise, cette infraction la rend passible d’une amende allant de 5 000 $ à 125 000 $ pour chaque cas d’utilisation. La note devient rapidement très salée pour l’entreprise qui annonce ou désigne illégalement des dizaines d’employés!

Plutôt que de judiciariser systématiquement ces infractions, l’Ordre choisit généralement de sensibiliser les entreprises en discutant avec les responsables des ressources humaines et les avocates et avocats de l’entreprise. En expliquant aux gestionnaires, avocates et avocats les risques auxquels s’expose l’entreprise, l’Ordre arrive à les convaincre de remplacer les titres employés illégalement. Parmi les mesures d’accompagnement offertes, l’Ordre propose également des séances d’information adaptées pour expliquer aux employés le bon usage du titre réservé à l’ingénieur. L’Ordre considère que cette manière de fonctionner permet d’éduquer et de sensibiliser pour régler le problème à long terme au sein de l’entreprise en entier, et de prévenir la récurrence tout en évitant d’engorger les tribunaux avec des dizaines d’auditions. Dans le cas où l’employeur ne démontre pas d’intention de collaboration, des poursuites pénales sont alors envisagées, tant contre les employés récalcitrants que contre l’employeur.

 

Bonnes pratiques

Au Québec, le titre d’ingénieur ne devrait pas désigner la fonction ou le poste qu’occupe une personne dans l’organisation, sauf dans le cas où la fonction comprend des responsabilités et des tâches qui exigent que la personne titulaire du poste soit membre de l’Ordre des ingénieurs. L’objectif de cette règle est de ne pas induire le public en erreur en laissant croire faussement qu’une personne possède une qualification professionnelle aux termes des lois du Québec.

L’utilisation d’un titre de fonction qui ne comporte pas d’ambiguïté permet d’éviter des sanctions pénales liées à l’usage du titre d’ingénieur ou à l’infraction de donner lieu de croire qu’une personne est autorisée à exercer la profession d’ingénieur.

Dans un marché où les entreprises rivalisent de créativité pour convaincre des candidates et des candidats de rejoindre leurs rangs, la possibilité d’encourir une poursuite pénale ne sera jamais considérée comme un avantage concurrentiel. Les employeurs ont tout intérêt à prendre leurs responsabilités en cette matière et à donner les titres de fonction qui reflètent le rôle occupé et qui respectent les lois applicables.


Pour de plus amples renseignements sur les bonnes pratiques relatives à l’usage du titre, nous vous recommandons de consulter la section Usage du titre dans le Guide de pratique professionnelle.

Vous pouvez également nous écrire à [email protected].


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