Plans préparés hors Québec : sceller ou ne pas sceller ?

L’analyse des risques est au coeur de la pratique professionnelle de l’ingénierie. La question suivante nous est souvent posée : est-ce que la réalisation d’une analyse de risques est une activité réservée aux membres de l’Ordre des ingénieurs ? Voici des éléments de réponse.

Cet article s’inscrit dans la collection « Législation et jurisprudence ».
Par Marie-Julie Gravel, ing., M. Sc. A., conseillère à la surveillance de la pratique illégale

En collaboration avec Me Patrick Marcoux, avocat


Que dit la Loi sur les ingénieurs ?

L’article 24 de la Loi indique que nul ne peut utiliser ou permettre que soit utilisé, pour la réalisation d’un ouvrage d’ingénierie, un plan ou un devis non signé et scellé par un ingénieur ou une ingénieure. Cet article comporte une exclusion spécifique dans le cas de plans qui sont préparés à l’extérieur du Québec.

Pour déterminer si cette exclusion s’applique, vous devez vous poser les quatre questions suivantes :

  1. Le plan ou le devis a-t-il été préparé à l’extérieur du Québec ?
  2. Le plan concerne-t-il un élément intégré dans un ouvrage ?
  3. L’élément fait-il l’objet d’une spécification préparée par un ingénieur ou une ingénieure membre de l’Ordre des ingénieurs du Québec ?
  4. Le plan d’intégration de l’élément dans l’ouvrage a-t-il été préparé par un ingénieur ou une ingénieure membre de l’Ordre des ingénieurs du Québec ?

L’exclusion s’appliquera si, et seulement si, vous avez répondu oui à chacune des quatre questions. Regardons quelques exemples pour illustrer l’application de cette exclusion.

 

Améliorer les performances d’un procédé industriel

Une usine de traitement des eaux usées située en Mauricie souhaite améliorer l’efficacité du traitement en ajoutant une étape de filtration au procédé. Le nouveau filtre est conçu et fabriqué par un fournisseur norvégien. Paul, l’ingénieur d’usine, se demande s’il peut procéder à l’installation du filtre avec les seuls plans d’ingénierie que lui a soumis le fournisseur. C’est lui-même qui a préparé la spécification pour le filtre et c’est son collègue Peter, ingénieur de procédé, qui a préparé les plans d’intégration.

Si le filtre avait été conçu au Québec, la Loi sur les ingénieurs aurait exigé que les plans soient préparés et authentifiés par un ingénieur ou une ingénieure, mais les plans ont été préparés en Norvège. Peut-on modifier le procédé de traitement et installer le filtre avec des plans qui ne sont pas signés et scellés par une ingénieure ou un ingénieur membre de l’Ordre des ingénieurs du Québec ? Il faut d’abord voir si l’exclusion définie dans l’article 24 s’applique en répondant aux quatre questions :

  1. Le plan du filtre a été préparé à l’extérieur du Québec.
  2. Le filtre est un élément intégré dans un ouvrage (le procédé de traitement des eaux usées).
  3. Le filtre a fait l’objet d’une spécification préparée par Paul, ingénieur membre de l’Ordre des ingénieurs du Québec.
  4. Le plan d’intégration de l’élément dans l’ouvrage est préparé par Peter, ingénieur membre de l’Ordre des ingénieurs du Québec.

Comme la réponse aux quatre questions est oui, les critères de l’exclusion sont respectés et les plans du fournisseur norvégien peuvent être utilisés tels quels pour installer le filtre. Notons toutefois que si une modification à la conception du filtre s’avérait nécessaire au cours des travaux de construction, cette modification devra obligatoirement être faite par un ingénieur ou une ingénieure membre de l’Ordre.

 

Un nouveau vérin Hydraulique pour un Garage municipal

Une municipalité souhaite moderniser son garage municipal pour pouvoir procéder à l’interne à l’entretien des camions. Il faut donc remplacer complètement le puits d’entretien actuel et acheter un nouveau vérin hydraulique. Rosa, l’ingénieure embauchée pour réaliser ce projet, recommande un vérin fabriqué par un fournisseur du Manitoba. Elle a préparé un devis de performance et préparera également les plans d’intégration. Est-ce que les plans du vérin, soumis par le fournisseur, peuvent être utilisés pour installer l’équipement?

La réponse est oui, puisque les plans du vérin répondent aux quatre critères de l’exclusion. Mais poursuivons notre histoire…

L’installation du vérin nécessite des travaux sur le bâtiment existant puisque que le nouveau puits d’entretien n’a pas les mêmes dimensions que l’ancien. Il faudra démolir une partie de la dalle de béton, déplacer une colonne de soutien et mettre à niveau le panneau électrique. Rosa indique au directeur qu’elle fera les analyses et calculs requis pour préparer le plan d’intégration. Mais le directeur remarque que dans le manuel fourni avec le vérin, le manufacturier indique les instructions et même certaines dimensions pour le puits. Il questionne donc Rosa sur la nécessité de préparer un plan alors qu’on pourrait tout simplement faire les modifications au bâtiment en suivant les indications fournies dans le manuel. Est-ce que le directeur a raison ?

La réponse est non. Les travaux sur le bâtiment doivent faire l’objet de plans signés et scellés par un ingénieur ou une ingénieure membre de l’Ordre. En effet, les instructions du manufacturier ne respectent pas les critères de l’article 24 de la Loi. L’exclusion peut s’appliquer au vérin, mais pas au bâtiment qui l’abrite. De plus, pour que l’exclusion s’applique aux plans du vérin, la Loi mentionne clairement que les plans d’intégration doivent être signés et scellés par un ingénieur ou une ingénieur membre de l’Ordre. Ce plan d’intégration va, bien entendu, tenir compte des instructions du fournisseur pour l’installation du vérin, mais c’est à Rosa d’adapter ces instructions au bâtiment spécifique dans lequel le vérin sera installé.

 

Installation d’un silo

Clara, ingénieure, est responsable d’un projet d’installation d’un nouveau silo à grains au Québec. Elle commande un silo conçu et fabriqué aux États-Unis. Le manufacturier fabrique le silo et l’expédie en pièces détachées avec des plans et des instructions pour procéder à son assemblage sur le site. Ces documents ne sont toutefois pas signés ni scellés par un ingénieur ou une ingénieure. L’ingénieure peut-elle les utiliser ?

L’article 24 exige que tous les plans et devis utilisés pour la réalisation d’un ouvrage visé par l’article 3 soient signés et scellés par un ingénieur ou une ingénieure. Or, l’assemblage selon les instructions du manufacturier ne consiste pas en la réalisation d’un ouvrage aux yeux de la Loi ; l’article 24 ne s’applique donc pas, et les plans et instructions fournis par le manufacturier sont suffisants pour procéder à l’assemblage. Cependant, l’intégration du silo sur le site requiert des plans et devis authentifiés par un ingénieur ou une ingénieure membre de l’Ordre. Les plans de la dalle de béton et des ancrages ainsi que l’intégration des systèmes électriques et mécaniques requis pour l’opération du silo devront être préparés par Clara.

 

Le rôle des membres de l’Ordre

Mentionnons finalement que, dans les situations exposées ici, les ingénieures et les ingénieurs ne peuvent en aucun cas signer et sceller les plans ou instructions préparés par les fournisseurs, puisqu’ils ne les ont pas préparés. Est-ce donc dire que les ingénieures et ingénieurs n’ont pas de responsabilité à l’égard de ces ouvrages ?

Ne sautons pas trop vite aux conclusions ! Les ingénieurs et les ingénieures ont la responsabilité de veiller à ce que les machines, appareils et équipements d’un projet répondent aux règles de l’art applicables et qu’ils s’intègrent correctement aux autres équipements et installations, afin d’assurer que l’ouvrage, dans son ensemble, respecte les lois, règlements, codes, normes et règles de l’art et préserve la sécurité du public.


Si vous avez des questions concernant une situation spécifique, écrivez-nous à [email protected], nous nous ferons un plaisir d’en discuter avec vous.


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