12 décembre 2022

Les réseaux d’aqueduc temporaires

Depuis deux ans, l’Ordre a reçu un grand nombre de signalements concernant des travaux d’installation de réseaux d’aqueduc temporaires. Des plans et des devis sont-ils requis pour ce type de travaux ? Même si la Municipalité ne fournit pas toutes les informations requises pour effectuer les calculs ? L’équipe de la surveillance de la pratique illégale a étudié la question et a analysé les enquêtes effectuées à ce sujet ainsi que le contexte législatif. Voici le résultat de notre analyse.

Cet article s’inscrit dans la collection « Législation et jurisprudence ».
Par Marie-Julie Gravel, ing. conseillère à la surveillance de la pratique illégale

En collaboration avec Me Patrick Marcoux, avocat

Remerciements à Muriel Jestin, ing.


Contexte législatif

Un aqueduc temporaire est une conduite installée dans une municipalité pour continuer à fournir de l’eau potable et parfois des services de protection-incendie pendant l’exécution de travaux sur les conduites permanentes d’aqueduc.

La norme du Bureau de normalisation du Québec BNQ 1809-300/2018 régit ce domaine. Cette norme édicte les spécifications des composantes requises dans un réseau d’alimentation temporaire en eau potable (aussi appelé réseau d’aqueduc temporaire [RAT]) de même que des règles concernant son installation, sa mise en opération et sa désinfection.

Un RAT mal conçu peut entraîner des conséquences graves pour la sécurité du public : pression d’eau trop faible (notamment pour la protection-incendie), eau potable en quantité insuffisante ou de qualité inacceptable, voire une interruption de l’alimentation en eau potable.

Ce que les enquêtes ont révélé

Les enquêtes effectuées ont révélé que, dans la grande majorité des projets :

  1. L’appel d’offres ne mentionne pas que le plan du RAT doit être préparé par un ingénieur ou une ingénieure, alors que la norme BNQ 1809-300/2018 exige qu’il le soit (art. 5.9.3).
  2. Les fiches d’inspection mentionnant les pressions d’eau sont rarement fournies aux entrepreneurs ; l’ingénieur ou l’ingénieure de l’entrepreneur ne dispose donc pas des renseignements nécessaires pour faire les calculs hydrauliques.
  3. Des délais courts de 2 ou 3 jours ou même moins sont imposés à l’ingénieur ou l’ingénieure responsable du RAT.
  4. On fait appel à un ingénieur ou une ingénieure seulement s’il faut mettre en place des mesures de protection-incendie supplémentaires (ce qui est rarement le cas).
  5. L’entrepreneur ignore souvent que la préparation de ces plans est une activité réservée aux membres de l’Ordre et fournit les plans signés et scellés seulement lorsque le donneur d’ouvrage le demande.
  6. Normalement, c’est l’ingénieur ou l’ingénieure de la Municipalité ou encore l’ingénieur surveillant ou l’ingénieure surveillante qui donne l’approbation (vérification de conformité) pour les travaux ; l’entrepreneur en déduit que c’est l’ingénieur ou l’ingénieure de la Municipalité qui en prend la responsabilité.
  7. Des techniciens et techniciennes de l’entrepreneur ou du sous-contractant préparent les plans sans être supervisés par un ingénieur ou une ingénieure.

Applicabilité de la loi sur les ingénieurs

Les RAT ont les mêmes fins, répondent aux mêmes normes et passent par les mêmes processus d’ac­ceptation que les réseaux qu’ils remplacent tempo­rairement. Ils ont deux fonctions : l’alimentation en eau potable et la protection-incendie. Le fait que le réseau d’alimentation en eau potable soit temporaire n’en fait pas moins un ouvrage de génie visé par la Loi sur les ingénieurs, au même titre que le réseau permanent.

L’article 5.9.3 de la norme BNQ 1809-300/2018 exige d’inclure dans le programme de travail les plans et les calculs attestant l’équilibrage du RAT en fonction du respect des pressions de service exigées dans le réseau existant. Ces plans et ces calculs doivent être préparés et authentifiés par un ingénieur ou une ingénieure.

Croyances ou vérités?

Les arguments suivants sont souvent présentés aux enquêteurs et enquêtrices par les entrepreneurs pour justifier l’absence de plans signés et scellés par un membre de l’Ordre. Sont-ils basés sur des faits vérifiés ?

  1. « Le client n’a pas exigé de plans signés et scellés. »

C’est la Loi sur les ingénieurs qui détermine quels plans doivent être signés et scellés, pas le client. Comme on l’a vu plus haut, la Loi indique que la préparation des plans pour les RAT est une activité réservée aux ingénieurs. Une personne non membre de l’Ordre qui prépare les plans d’un RAT commet une infraction à la Loi. De plus, la Loi interdit de réa­liser des ouvrages d’ingénierie sans plans signés et scellés par un membre de l’Ordre. Ainsi, un entrepre­neur qui exécute des travaux d’installation d’un RAT sans plan signé et scellé enfreint la Loi.

  1. « La Municipalité ne m’a pas fourni les données pour faire les calculs, donc les plans n’ont pas besoin d’être préparés par un ingénieur ou une ingénieure. »

Dans les faits, les données nécessaires pour procéder à une conception détaillée sont rarement disponibles ou fournies. Les calculs d’équilibrage ne peuvent donc pas être effectués. Mais même s’il n’y a pas de calculs à faire, la conception du plan est tout de même une activité réservée. Un ingénieur ou une ingénieure doit préparer le plan, le signer et le sceller. Pour préparer le plan, l’ingénieur ou l’ingénieure devra procéder à une analyse de risques en fonction des données disponibles et des conditions sur le terrain, et s’assurer que tous les éléments requis sont présents si nécessaire, et bien positionnés sur le réseau (points de purge, d’échantillonnage et de chloration, dispositifs antirefoulement, régulateurs de pression, etc.). Le fait de faire ou non des calculs n’est pas un critère pour déterminer si un ingénieur ou une ingénieure doit intervenir. Si un plan pour un RAT doit être produit, un ou une membre de l’Ordre doit le préparer.

  1. « Le mandat ne demande pas de protection-incendie, donc l’intervention d’un ingénieur ou d’une ingénieure n’est pas requise. »

La norme BNQ 1809-300/2018 ne distingue pas les travaux selon leur nature : on peut lire dans l’avant-propos de la norme que tous les travaux effectués sur les réseaux d’eau potable constituent le champ de pratique des ingénieurs et ingénieures.

  1. « L’ingénieur surveillant ou l’ingénieur de la Municipalité a approuvé le plan et en prend donc la responsabilité. »

C’est une croyance courante. En indiquant « OK » ou en apposant son tampon sur les plans envoyés par l’entrepreneur, le ou la membre de l’Ordre vérifie la conformité des plans en regard de la réglementation municipale ou de ses requis techniques, mais n’endosse pas la responsabilité de la conception. L’ingénieur ou l’ingénieure de de la Municipalité connaît son réseau et doit s’assurer que les exigences techniques de la norme ainsi que les aspects spécifiques au mandat ont bien été pris en compte. Par exemple, si le réseau comprend plusieurs paliers de pression, l’ingénieur ou l’ingénieure de la Municipalité voudra s’assurer que le RAT est conçu en conséquence. Cela étant dit, l’ingénieur ou l’ingénieure de la Municipalité ou encore l’ingénieur surveillant ou l’ingénieure surveillante, en procédant à la vérification, doit s’assurer que les plans du RAT qu’il ou elle reçoit ont bien été préparés par un ingénieur ou une ingénieure.

  1. « On fait faire les plans par nos techniciens parce que les délais sont trop courts, l’ingénieur n’a pas le temps de préparer les plans complets. »

Des techniciens ou techniciennes de l’entrepreneur ou du sous-contractant peuvent contribuer à la préparation des plans du RAT, sous la supervision d’un ingénieur ou d’une ingénieure, qui s’assurera de la conformité à la norme et à la sécurité, et qui signera et scellera le plan. Il doit y avoir une collaboration entre les entrepreneurs et les ingénieurs et ingénieures de la Municipalité. Leurs expertises sont complémentaires.

 

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