Michel Chornet, ing. : le visionnaire

Vice-président principal de l’ingénierie, de l’innovation et des opérations d’Enerkem, Michel Chornet, ing., voit loin pour faciliter l’accès à une énergie basée sur le recyclage du carbone provenant des matières résiduelles.

Cet article s’inscrit dans la collection « Génie à la une ».
Par Pascale Guéricolas, photos : Israel Valencia et Didier Bicep


Test éclair : à quand remontent les premières tentatives pour transformer les résidus du bois en carburant ? Toutes celles et tous ceux qui ont spontanément pointé le début des années 2000 ne connaissent pas le grand-père paternel de Michel Chornet. Propriétaire de plusieurs scieries sur l’île de Majorque dans les Baléares, en Espagne, ce dernier se heurte dans les années 1950 à un problème de taille pour faire tourner ses machines. Le blocus sur les approvisionnements en diesel dans un pays alors dirigé par le dictateur Franco le prive d’énergie. Cet écologiste avant l’heure met alors au point un procédé transformant les rejets de sa scierie en gaz. En prime, il approvisionne aussi en électricité 75 familles des environs. À l’époque, son fils Esteban Chornet n’a qu’une dizaine d’années. Il n’oubliera jamais la leçon de valoriser les résidus.

Héritier de cette lignée d’entrepreneurs-inventeurs, Michel, le troisième fils d’Esteban, a aussi été nourri aux valeurs environnementales d’une famille attentive à la lutte contre la pollution. « Lorsque nous revenions à Majorque l’été, mes frères et moi devions chaque semaine ramasser les déchets que la mer ramenait, se souvient l’ingénieur en génie chimique. Et pas question d’échapper à l’émission The Hour with David Suzuki, diffusée chaque semaine à CBC. Ce scientifique y mettait en valeur l’importance de la nature et le rôle qu’y jouent les humains. Mes parents se faisaient un devoir que l’on écoute cette émission. »

Tout naturellement, le jeune homme s’oriente vers le génie chimique, une discipline que son père enseigne à l’Université de Sherbrooke, lui qui a choisi le Québec dans les années 1970 avec son épouse, Mercedes, aussi enseignante. Après avoir terminé un baccalauréat en 1997 à l’Université McGill, le voilà chez Shell. À cette époque, l’industrie pétrolière semble un choix tout naturel pour un ingénieur chimiste, d’autant plus que la multinationale met l’accent sur la formation et l’encadrement des professionnels et professionnelles à son emploi.

Un peu plus de deux ans plus tard, le jeune diplômé rêve de défis et d’innovation. En parallèle, son père et son frère Vincent fondent Enerkem, et ils lui proposent de les rejoindre. Après plusieurs années de recherche en laboratoire sur la valorisation de la biomasse, une ressource très abondante au Québec, Esteban et Vincent Chornet testent aussi l’utilisation potentielle des déchets urbains non recyclables. Esteban Chornet, professeur émérite de l’Université de Sherbrooke, qui s’intéresse à la gestion des matières résiduelles et incarne les valeurs du développement durable depuis les années 1980, cherche un moyen de réduire notre dépendance aux énergies fossiles. Il développe des technologies comme la pyrolyse sous vide et la gazéification. Presque 200 publications de recherche plus tard, l’inventeur est prêt à tester son modèle à grande échelle.

« Notre succès, nous le devons en grande partie à la collaboration des collègues qui ont manifesté une audacieuse curiosité et ont fait preuve d’une créativité incroyable. »

— Michel Chornet, ing. — Enerkem

Pas encore Enerkem

Sauf que Michel ne se sent pas assez outillé pour rejoindre son père et son frère chez Enerkem. C’est son premier refus. Très attiré quand même par la transition énergétique et l’économie circulaire, il se joint à une équipe de jeunes ingénieurs qui travaillent sur des piles à combustible pour la filiale québécoise de l’entreprise américaine H-Power. L’objectif de cette industrie en développement est de convertir le gaz naturel en hydrogène afin d’alimenter en électricité les régions éloignées. « C’est là que j’ai peaufiné mes connaissances techniques et amélioré mes aptitudes de gestion, indique le quadragénaire. J’ai aussi compris comment les entreprises technologiques sont financées, car H-Power a fermé lors d’une période de consolidation. » C’est alors que son frère Vincent lui suggère pour la deuxième fois de travailler chez Enerkem. De nouveau, le diplômé en génie chimique considère qu’il manque de connaissances. Il retourne donc à l’Université McGill pour acquérir un MBA, tout en travaillant. L’ingénieur s’investit aussi dans la construction, le démarrage et la mise en production d’une usine de plastique chez Shell, à Montréal-Est. C’est là qu’il se familiarise avec la construction et aussi la mise en opération, une expérience qui complétait très bien ses connaissances antérieures. Finalement, la troisième proposition à se joindre à l’équipe familiale en 2006 sera la bonne. Le fils d’Esteban se sent prêt.

Attiré par la résolution de problèmes complexes et les concepts théoriques, l’ingénieur chimiste ne limite pas ses ambitions. En 2007, il cofonde Fractal Systems et CRB Innovations. Chez Fractal, avec d’autres ingénieures et ingénieurs, il parvient à mettre au point un procédé novateur pour réduire la viscosité des sables bitumineux pour faciliter leur transport. Cette technologie contribue à réduire l’utilisation de diluant destiné à fluidifier le mélange dans les pipelines afin d’abaisser l’empreinte environnementale de ce type de carburant. CRB fractionne et valorise la biomasse par des techniques améliorant l’empreinte carbone, une technologie de 3e génération.

L’engagement de Michel Chornet dans Enerkem modifie le regard qu’il porte sur la matière première à traiter, soit les déchets destinés aux centres d’enfouissement ou à l’incinération. « C’est un matériau plus hétérogène, mais au fond, il s’agit de la même molécule, précise-t-il. On doit donc réapprendre à conditionner, à traiter et à valoriser cette molécule. C’est l’économie circulaire. »

 

L’impulsion venue de l’ouest

À son arrivée, l’ajout de partenaires financiers américains propulse véritablement l’entreprise québécoise, qui emploie alors sept personnes, dans sa phase de croissance. Après l’usine-pilote à Sherbrooke, le centre d’innovation de Westbury démarre en 2008 pour disposer de données afin de réaliser une mise à l’échelle commerciale à Edmonton, en Alberta. Pourquoi cette ville ? Tout simplement parce qu’au début des années 2000, ses dirigeants ont une vision avant-gardiste du traitement des matières résiduelles. Après un premier contact en 2003, l’équipe Chornet travaille avec la municipalité albertaine pour mettre au point une technologie capable de convertir les déchets en biocarburants.

Inaugurée en 2014, l’usine construite à Edmonton a permis de prouver l’efficacité du procédé de transformation des matières résiduelles en méthanol à l’échelle commerciale. En parallèle, la législation a évolué un peu partout sur la planète pour faciliter ce type de transformation. « Nous visons les marchés difficiles à décarboner, comme l’aviation, le transport maritime, les transports lourds, l’industrie chimique, des secteurs prêts à payer davantage pour ce type d’énergie », explique le vice-président principal d’Enerkem.

Passionné par son métier et surtout porté par le sentiment de contribuer à la lutte contre les changements climatiques, Michel Chornet souligne les gains collectifs d’Enerkem, qui a réussi à attirer d’importants capitaux étrangers. « Notre succès, nous le devons en grande partie à la collaboration des collègues qui ont manifesté une audacieuse curiosité et ont fait preuve d’une créativité incroyable, reconnaît l’ingénieur. Je pense que leur force s’explique en partie par le fait que les valeurs de l’entreprise correspondent à leurs valeurs personnelles. Cela devient une mission, pas seulement un travail. »

Épaulée financièrement par des partenaires internationaux de grande envergure comme Shell, Suncor, Repsolet Proman, Enerkem a également bénéficié du soutien des gouvernements du Québec et du Canada ainsi que du capital de risque local, dont Cycle Capital. L’entreprise emploie aujourd’hui 285 personnes. Elle participe activement à la construction de l’usine Recyclage Carbone Varennes, qui devrait entrer en service en 2025. Équipée d’un électrolyseur de 90 mégawatts, cette bioraffinerie utilisera des déchets non recyclables et de la biomasse forestière résiduelle pour produire des biocarburants et des produits chimiques circulaires. En 2026, une autre installation, ayant deux fois la taille de l’usine québécoise, devrait ouvrir à Tarragone, une ville d’Espagne située non loin de Barcelone. Financé en partie par le Fonds pour l’innovation de la Commission européenne, ce projet d’économie circulaire permet de recycler des déchets domestiques et de construction.

Avec le recul, Michel Chornet dit être reconnaissant de la confiance que les investisseurs ont accordée à Enerkem. « Concevoir et réaliser une technologie de rupture prend du temps, confie-t-il. Je me souviens qu’en 2006, tout ce qui touchait l’éthanol avait beaucoup de valeur, et nous aurions pu vendre à ce moment-là. Nous avons préféré prendre une autre voie et travailler sur le long terme afin de bien développer la technologie, réduire davantage les GES et contribuer à la construction de plusieurs usines dans le monde. » Michel Chornet est très fier de commercialiser la technologie d’Enerkem avec une équipe hors pair et de continuer à innover en mettant au point des technologies de 3e génération avec son père qui, à 80 ans, mène toujours des recherches sur les technologies du futur.

Les solutions technologiques sont elles la réponse à la crise énergétique?

Michel Chornet, ing., répond à la question :

 

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