L’IA : une révolution pour l’agriculture moderne ?

Pour relever les défis de l’agriculture moderne, les ingénieures et ingénieurs qui travaillent dans les industries agricoles se tournent de plus en plus vers l’intelligence artificielle (IA) pour concevoir des solutions innovantes visant à optimiser la production tout en préservant l’environnement.

Cet article s’inscrit dans la collection « DOSSIER GÉNIE AGRICOLE»
Par Sandra Etchenda, réd. a.


Directeur de la technologie et des produits chez Ro-Main, Jacquelin Labrecque, ingénieur en génie mécanique et informaticien, développe et utilise au quotidien des systèmes d’intelligence artificielle destinés à l’élevage porcin. Pour lui, l’agriculture comporte une grande variabilité causée par la nature vivante des sujets, plantes ou animaux. Grâce à la vision numérique et à différents types de capteurs, l’IA offre une série d’outils pour percevoir l’environnement et les sujets plus précisément. « Chez Ro-Main, nous travaillons beaucoup avec la vision numérique pour capturer l’information cachée dans les images, indique l’ingénieur. Les caméras sont comme de super capteurs qui ont le potentiel de fournir énormément d’informations. L’intelligence artificielle permet d’interpréter ces informations pour créer un modèle représentatif de la complexité et de la variabilité des systèmes agricoles. »

«Un système de vision capable de surveiller les porcs en continu, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, peut fournir une analyse plus précise des changements de comportement des bêtes.»

— Jacquelin Labrecque, ing. — Ro-Main

Vision artificielle et main-d’œuvre agricole

L’utilisation de systèmes d’intelligence artificielle dans le domaine agricole sert entre autres à surveiller en continu les animaux et à obtenir ainsi des données plus précises. « Pour assurer un suivi du bien-être des porcs dans un élevage, la méthode traditionnelle implique qu’un agriculteur ou une agricultrice visite la ferme une fois par jour pour y passer une heure avec quelque 1000 bêtes, mentionne Jacquelin Labrecque. Cela signifie que cette personne ne peut observer chaque animal que pendant quelques secondes, ce qui rend son analyse potentiellement imprécise et subjective. Par conséquent, un système de vision capable de surveiller les porcs en continu, 24 heures par jour et 7 jours par semaine, peut fournir une analyse plus précise des changements de comportement des bêtes. »

En plus d’avoir recours à un système de vision artificielle, l’entreprise pour laquelle travaille Jacquelin Labrecque automatise le comptage des porcs qui traversent un corridor. Ro-Main a en outre mis en place un système de caméras permettant de prédire l’ovulation des femelles de reproduction ; en surveillant leur comportement, les éleveuses et éleveurs arrivent à déterminer le bon moment pour une insémination et maximisent ainsi leur fertilité.

En automatisant les tâches répétitives à faible valeur ajoutée, l’IA peut aider à résoudre le problème de pénurie de main-d’œuvre dans le secteur agricole, notamment en concentrant les travailleurs et travailleuses là où ils apportent le plus de valeur, croit le directeur de la technologie et des produits chez Ro-Main. « Nous sommes toujours très dépendants d’une main-d’œuvre physique, qui est de plus en plus difficile à trouver. Par conséquent, l’automatisation sera une tendance centrale dans les années à venir. Cette automatisation pourrait rendre le secteur agricole plus attrayant pour les jeunes ayant les qualifications requises qui pourront effectuer un travail qualifié dans le développement, la maintenance et l’implantation de systèmes d’intelligence artificielle, et cela, sans pour autant avoir à suivre une formation universitaire avancée. »

Agriculture de précision et IA

L’agriculture de précision consiste à répondre aux besoins individuels ou de groupes d’individus en utilisant les ressources nécessaires à l’échelle de l’industrie pour optimiser la production agricole tout en réduisant les intrants, tels que les aliments, les fertilisants, les pesticides, les médicaments et l’énergie. L’objectif est de maximiser la production de chaque animal ou plante tout en réduisant les pertes et les rejets, qui ont des incidences financières et environnementales importantes.

 

À titre d’exemple, dans l’industrie porcine, l’alimentation de précision consiste à fournir à chaque animal une alimentation qui répond à ses besoins propres, plutôt que de se fier à une formule alimentaire moyenne qui peut sous-alimenter certains animaux et en suralimenter d’autres, ce qui génère des rejets de nutriments souvent coûteux. De même, l’utilisation d’antibiotiques peut être réduite au moyen d’outils qui détectent les signes avant-coureurs des maladies ; on peut ainsi traiter uniquement les animaux affectés.

«J’aime à dire que mon grand-père pratiquait l’agriculture de précision bien avant que ce concept ne soit connu, plaisante l’ingénieur Jacquelin Labrecque. Il avait seulement quelques animaux, et il passait la majeure partie de sa journée à s’en occuper ; il connaissait parfaitement leurs besoins. Il appliquait cette même précision à la gestion de ses terres, en évitant d’utiliser des pesticides quand les plantes n’en avaient pas besoin.» Cependant, les adeptes de l’agriculture industrielle d’aujourd’hui ont remplacé de telles pratiques par le besoin de produire en volume pour tirer leur épingle du jeu dans une industrie où les marges sont souvent très minces. L’intelligence artificielle offre une solution pour retrouver la précision perdue, même à grande échelle. « L’agriculture de précision nécessite une approche holistique qui intègre les connaissances de l’agriculteur ou de l’agricultrice, poursuit l’ingénieur. Lorsqu’on associe cette approche à l’intelligence artificielle, on peut collecter et analyser des données de manière plus rapide et précise pour une production durable et efficiente. »

Éthique, IA et domaine agricole

Les enjeux éthiques de l’intelligence artificielle dans le domaine agricole sont différents de ceux liés à la manipulation de données humaines. Néanmoins, la question de la responsabilité demeure en matière d’utilisation de l’IA dans l’agriculture. Jacquelin Labrecque s’interroge : « Dans le cas où une entreprise agricole utilise une solution technologique intégrant l’IA proposée par un prestataire de services, qui est responsable si les résultats de production sont mauvais ? Le producteur agricole est-il le seul responsable, ou le fournisseur de la solution technologique a-t-il également une responsabilité morale ou éthique ? » Selon l’ingénieur, cette question pourrait être examinée par des organismes de réglementation tels que l’Ordre des ingénieurs du Québec. En effet, l’encadrement des systèmes informatiques est crucial, car les solutions informatiques les plus avancées peuvent avoir des répercussions sur l’agriculture et entraîner des conséquences, par exemple sur l’environnement, la productivité et le prix des aliments. « Les méthodes les plus avancées faisant appel à l’intelligence artificielle sont très performantes, mais il est parfois difficile de connaître leurs limites et de comprendre pourquoi elles fonctionnent si bien, admet l’ingénieur. »

Des défis pour l’avenir

L’intelligence artificielle utilisée en agriculture est un outil qui peut être intégré de manière transparente dans des solutions destinées à répondre à des problèmes agricoles précis. L’IA n’est pas présentée comme une fin en soi, mais plutôt comme un moyen de résoudre des problèmes concrets et de faciliter le travail des professionnelles et des professionnels du monde agricole. «Par exemple, si un agriculteur ou une agricultrice éprouve des difficultés à trouver des travailleuses et des travailleurs capables d’effectuer une tâche particulière, une solution qui réalise 80 % de cette tâche sans intervention humaine pourrait l’intéresser, que cela fasse appel à l’IA ou non, explique l’ingénieur. L’agricultrice ou l’agriculteur cherche avant tout à résoudre son problème de main-d’œuvre, et l’utilisation de l’IA n’est qu’un moyen pour y parvenir.»

Jacquelin Labrecque constate que depuis quelques années, de nombreuses entreprises agricoles adoptent des technologies issues de l’IA, notamment en ce qui a trait à la génétique en améliorant la performance des animaux et des plantes tout en réduisant les intrants pour optimiser la production. «C’est encourageant de voir cette évolution, car l’intelligence artificielle utilisée à bon escient peut vraiment rendre notre agriculture plus durable et résiliente», conclut-il.

Jacquelin Labrecque, ing.

Jacquelin Labrecque est ingénieur en génie mécanique, diplômé de l’Université McGill en 2013. Il obtient en 2020 une maîtrise en informatique de l’Université Laval. Le jeune homme grandit sur la ferme porcine familiale et y développe un intérêt pour l’agriculture. Après son baccalauréat en génie mécanique, Jacquelin Labrecque rejoint en 2014 l’entreprise Ro-Main dans laquelle il fonde une nouvelle branche technologique qui développe des solutions intégrant la vision numérique, l’apprentissage automatique ainsi que des logiciels appliqués à l’élevage de précision et à l’automatisation des fermes.

Grâce notamment à ces innovations, Ro-Main a pu se hisser au sommet de la liste des entreprises dans le monde qui proposent des solutions commerciales matures, ayant recours à la vision numérique pour répondre aux besoins réels des éleveurs de porcs.

 

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