Le génie à la ferme

Entre le système de ventilation de l’étable, l’évacuation du lisier, la pose d’un drain agricole, l’enrochement d’un fossé, la station de pompage pour l’irrigation, il y a un point commun : le génie agroenvironnemental.

Cet article s’inscrit dans la collection « DOSSIER GÉNIE AGRICOLE»
Par Valérie Levée


Dans les années 1960, le génie rural englobait toutes les activités relevant du génie réalisées en milieu rural, c’est-à-dire aussi bien la constitution des rangs et leur électrification que les installations agricoles. « Au cours des années, le génie rural est devenu le génie agricole en se concentrant sur les pratiques agricoles comme le drainage, l’irrigation, la conception de la machinerie agricole et des silos, les structures d’entreposage, le séchage des foins et des grains… », retrace Stéphane Godbout, ing., chercheur en génie agroenvironnemental à l’Institut de recherche et de développement en agroenvironnement. Le génie agroalimentaire a ensuite émergé du génie agricole pour s’occuper de la transformation des aliments, de leur conditionnement et de l’emballage, tandis que le génie agricole prenait un virage environnemental et devenait le génie agroenvironnemental.

« Le génie agroenvironnemental consiste à améliorer les pratiques agricoles pour réduire leur impact sur l’environnement tout en produisant des denrées de haute qualité et en favorisant la pérennité économique », explique Stéphane Godbout. Il s’agit d’une vaste discipline qui s’intéresse notamment aux bâtiments de ferme et à la machinerie agricole pour limiter les effets néfastes de l’élevage et des cultures sur l’environnement. L’application des pesticides et leurs répercussions sur l’environnement restent cependant du domaine de l’agronomie.

 

Des bâtiments d’élevage sains et sécuritaires

La conception des bâtiments d’élevage incombe en grande partie aux ingénieures et ingénieurs agroenvironnementaux. Le génie en structure et le génie civil traitent des fondations et de la structure du bâtiment, mais la ventilation et la gestion des déjections sont du ressort du génie agroenvironnemental.

Dans les élevages, les déjections animales sont une source d’agents pathogènes et de gaz comme l’ammoniac qui contaminent le sol et l’air. Dans un souci de bien-être animal, la tendance est de donner plus de liberté aux animaux. « Dans les volières, les cages vont disparaître ; les poules se promènent davantage et elles battent des ailes. Parfois, on met de la litière pour que les animaux puissent jouer. Ça fait beaucoup de poussière », décrit Stéphane Godbout. Des particules virales sont susceptibles de se lier aux poussières fines générées par la moulée, les mouvements des animaux et le lisier pour devenir des bioaérosols. Il y a danger pour les travailleuses et les travailleurs agricoles à l’œuvre dans le bâti- ment, et il faut aussi éviter que des bioaérosols ne soient transportés à l’extérieur !

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 Le génie agroenvironnemental consiste à améliorer les pratiques agricoles pour réduire leur impact sur l’environnement tout en produisant des denrées et en favorisant la pérennité économique. 

Stéphane Godbout, ing. – Institut de recherche et de développement en agroenvironnement

 

« Mon rôle comme ingénieur est de réduire le danger à la source », indique Stéphane Godbout, et cela veut dire, par exemple, de « rabattre au maximum la poussière au sol dans la bâtisse parce qu’avec les besoins de ventilation, les quantités de l’air qui circulent sont énormes et le traitement d’air peut coûter très cher ». La poussière peut être rabattue au sol en aspergeant la litière avec une émulsion d’huile végétale mélangée à de l’eau. Mais il y a un équilibre à trouver, car l’humidité favorise les émissions d’ammoniac. « Il y a des planchers chauffants pour assécher la litière, mais si c’est trop sec, il y a plus de poussière dans l’air », poursuit Stéphane Godbout. Une solution qui fait coup double pour réduire les émissions de poussières et d’ammoniac consiste à racler les déjections plus souvent. Elles sont envoyées par des conduits dans un système d’entreposage avant d’être utilisées pour la fertilisation, et c’est aux ingénieures et ingénieurs de concevoir le réservoir et les conditions d’entreposage. « On étudie comment gérer la fosse pour qu’elle émette moins de particules, on évalue s’il faut une toiture ou non, s’il faut aérer, mentionne-t-il. On voit par exemple que si on lave la fosse en juillet après l’épandage, si on retire bien l’inoculum bactérien, ça redémarre moins vite ensuite quand on remet des déjections dans la fosse ; donc il y a moins d’émission d’ammoniac. »

Toujours pour réduire les risques sanitaires, l’intérieur des bâtiments doit être lavé du plancher jusqu’au plafond. Les matériaux doivent être lavables et être faiblement poreux, car les pores font le nid des microorganismes. Pour les revêtements plastiques des murs et des plafonds, il faut privilégier le polyéthylène haute densité. De même, l’acier inoxydable et la tôle émaillée se lavent mieux que la fonte. « Un béton qui a une haute résistance à la compression est moins poreux et se lave mieux, ajoute Stéphane Godbout. Il y a un travail à faire avec l’ingénieure ou l’ingénieur en génie civil pour trouver un béton qui se lave bien et qui évite la dérive sanitaire à long terme. » Les revêtements de plancher en époxy sont aussi facilement lavables, mais ils peuvent être glissants pour les animaux.

 

 

Limiter la compaction des sols dans les champs

Dans les champs, la circulation de la machinerie tend à compacter les sols, ce qui empêche l’infiltration d’eau. « L’eau reste en surface et ruisselle, et qui dit ruissellement en surface dit transport des sédiments dans les cours d’eau », explique l’ingénieur Robert Beaulieu chez PleineTerre, une entreprise de services-conseils spécialisée en agronomie et en environnement. Le ruissellement entraîne vers les ruisseaux des particules de sols, mais aussi des pesticides et des fertilisants. Il y a donc un risque de perturbation de l’écoulement du ruisseau par l’afflux de sédiments doublé d’un risque de pollution de l’eau. Du point de vue agronomique, la compaction du sol se traduit aussi par une perte de rendement. En effet, un sol compacté se draine mal, et les racines ne peuvent pas s’ancrer profondément. En restant en surface, les racines n’ont pas un bon accès aux nutriments ; si une sècheresse survient, elles ne pourront pas aller chercher de l’eau en profondeur.

Autant pour des raisons agronomiques qu’environnementales, il faut donc limiter la compaction des sols agricoles et contrôler le ruissellement. « Les ingénieures et ingénieurs participent à l’amélioration des équipements pour éviter la compaction du sol », assure Stéphane Godbout. « Les fabricants d’équipements agricoles travaillent pour diminuer la pression des machines sur le sol, signale Robert Beaulieu. On voit, par exemple, beaucoup de moissonneuses-batteuses avec des chenilles plutôt que des pneumatiques. Et quand il pleut, il faut gérer l’eau qui coule en surface, ce qui relève du génie agroenvironnemental. »

Ce sont des ingénieures et ingénieurs agroenvironnementaux qui conçoivent les systèmes de drainage agricole pour évacuer le surplus d’eau tout en contrôlant le ruisselle- ment et en conservant un taux d’humidité adéquat pour les cultures. Le système de drainage est constitué d’un réseau de drains souterrains en polyéthylène, placés de 5 à 15 m les uns des autres, qui débouchent sur un tuyau de plus grand diamètre et qui lui-même se déverse générale- ment dans un cours d’eau ou plus rarement dans un fossé. Les drains, d’un diamètre de 100 mm, sont perforés pour recueillir l’eau gravitaire contenue dans la nappe (environ 3 % du volume) tout en retenant les particules de sol en dehors des drains au moyen de filtres appropriés.

 

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Les fabricants d’équipements agricoles travaillent pour diminuer la pression au sol des machines. […] Quand il pleut, il faut gérer l’eau qui coule en surface, ce qui relève du génie agroenvironnemental. 

Robert Beaulieu, ing. – PleineTerre

 

Savoir drainer les champs

L’abaissement de la nappe permet aux racines de descendre plus profondément puisqu’en milieu saturé, les racines seraient privées d’oxygène. La configuration du réseau, le diamètre des tuyaux et le type de filtre dépendent du terrain et du type de sol ; c’est pourquoi l’ingénieure ou l’ingénieur prend des mesures sur place. « On envoie des échantillons de sols au laboratoire et on fait des observations sur place pour connaître la granulométrie et savoir quel type de filtre mettre autour du tuyau, explique Robert Beaulieu. On fait un relevé de terrain avec un GPS, on relève la microtopographie et on fait le plan de nivellement et le plan de drainage. On s’occupe de l’ensemble du chemin de l’eau jusqu’au cours d’eau.» En fonction des propriétés du sol, l’ingénieure ou l’ingénieur doit aussi évaluer à quelle profondeur installer le drain pour conserver la bonne quantité d’eau à la portée des racines des plantes. C’est encore au génie agroenvironnemental que revient l’aménagement des fossés et des ruisseaux qui collectent l’eau évacuée par les drains. Dans un souci de pérennité de l’ouvrage et pour stabiliser les berges, on utilise parfois des techniques telles que des empierrements ou plus généralement l’implantation de végétation stabilisant les talus et les rives. « En vertu de la nouvelle Loi sur les ingénieurs, une ingénieure ou un ingénieur doit être sur place pour tout le travail de protection par enrochement d’un cours d’eau, et tous les ponceaux de plus de 1200 mm de diamètre doivent être réalisés par une ingénieure ou un ingénieur», précise Robert Beaulieu.

Issu du génie rural, le génie agroenvironnemental est une forme de génie environnemental appliqué à l’agriculture. Mais il a un caractère interdisciplinaire, car il collabore avec le génie civil et le génie des structures pour la conception des bâtiments agricoles. Il côtoie la biologie pour la conservation des cours d’eau et l’agronomie pour la gestion optimale des sols en fonction des besoins des cultures. Il fait même appel au génie logiciel pour ajuster les systèmes d’épandage ou d’irrigation et déployer l’agriculture de précision.

« Le génie agroenvironnemental, note Stéphane Godbout, c’est l’intégration des systèmes, et c’est là toute sa complexité ! »

 

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