, 3 mai 2022

Gestion des contrats : l’art de la planification

Gestion
La réalisation d’un projet de construction est rarement un long fleuve tranquille, mais plutôt une rivière ponctuée de remous, voire d’embâcles. C’est pour aider chaque entreprise à trouver sa solution que l’Ordre a composé l’ouvrage Favoriser les meilleures conditions d’exécution des projets de construction : Guide de bonnes pratiques.

Cet article s’inscrit dans le dossier « Gestion des contrats ».
Par Valérie Levée


Pour faire face aux multiples écueils qui se présentent (pertes financières, tensions entre les partenaires du projet, etc.), il existe diverses solutions en fonction de la nature du projet et des entreprises participantes. En complément au guide de bonnes pratiques Favoriser les meilleures conditions d’exécution des projets de construction, nous vous présentons une entrevue avec les ingénieurs Pierre St-Onge, Jonathan Duguay et Jean-François Arbour, qui s’y connaissent en matière de projets de construction. Lorsqu’on leur demande comment assurer le bon déroulement d’un projet, les trois ingénieurs interrogés sont unanimes : la clé est la planification.

«Peu importe le mode de réalisation du projet et quelle que soit son envergure, la définition des besoins et la planification sont des étapes cruciales», confirme Jonathan Duguay. «La planification est l’étape la plus importante, poursuit Jean-François Arbour. Quand on arrive dans un chantier, notre objectif premier est d’en sortir ; si tout est bien planifié, on arrive au chantier, on travaille et on sort».

Pierre St-Onge, ing Aéroport de Montréal

Le succès d’un projet passe beaucoup par la planification. L’exécution devrait représenter seulement 15% du projet.

— Pierre St-Onge, ing, – Aéroport de Montréal

Savoir planifier

Que veut dire une bonne planification pour chacun de vous?

Pierre St-Onge, ing. : Notre responsabilité comme donneur d’ouvrage est de veiller à préparer le programme fonctionnel et technique (PFT) qui correspond aux besoins. Les ingénieurs et ingénieures et les architectes que nous sollicitons pour monter le PFT doivent poser les bonnes questions à l’exploitant pour comprendre ses besoins. Ensuite, il faut une rétroaction des professionnels vers l’exploitant pour s’assurer qu’ils ont bien compris. C’est un exercice difficile, mais fondamental.

Jonathan Duguay, ing. : Le propriétaire doit fournir les informations disponibles et les professionnels doivent repérer les études d’avant-projet requises. Une bonne définition des besoins est cruciale. Il faut surtout éviter le piège de sous-estimer les coûts de réalisation et de mal évaluer les échéanciers de réalisation, notamment lors des phases préliminaires ou d’avant-projet.

Jean-François Arbour, ing. : Lors de l’élaboration des documents, il ne faut pas se gêner d’aller chercher l’expertise des entrepreneurs. Ils ont une expertise importante que les architectes, ingénieurs et ingénieures n’ont pas nécessairement quant aux problèmes d’exécution, en termes de faisabilité de construction, d’échéancier et d’évaluation des coûts. Nous sommes les mieux placés pour savoir combien de temps va prendre une construction, en fonction de la complexité du secteur géographique, de la saison, de la disponibilité de la main-d’œuvre, etc.

Qu’est-ce qui empêche de bien préparer ces documents?

PSO : Pour avoir des documents bien montés, le donneur d’ouvrage doit donner aux professionnels le temps et les ressources pour faire de bons relevés physiques des lieux, pour aller sur place afin de comprendre l’environnement. Nous, les donneurs d’ouvrage, sommes souvent atteints du «syndrome de la pelle mécanique». Les projets prennent des années à mûrir, et le jour où le conseil d’administration ou les autorités compétentes donnent l’autorisation de mettre le projet en route, il faudrait que la pelle mécanique soit dans la cour dès le lendemain pour commencer à construire.

JD : On conçoit des ouvrages qui auront une durée de vie de 50 ou 60 ans. Prendre une ou deux semaines de plus pour bien penser le projet, ce n’est rien dans la durée de vie d’un projet. Il vaut mieux faire quelques allers-retours durant la planification du projet plutôt que de les faire durant les travaux quand l’entrepreneur est mobilisé sur le chantier avec sa machinerie.

Quelles sont les embûches quand la planification est déficiente?

JFA : Quand les documents sont flous, par exemple quand ils comportent des termes généraux comme «une équivalence pourra être étudiée ou regardée», l’information n’est pas assez précise pour bien évaluer ce qui est demandé. On a peu de temps pour faire l’estimation, donc on interprète les informations qui nous sont données. Si les interprétations ne sont pas les bonnes, la qualité du devis est moins bonne.

JD : Les plans et devis doivent être le plus complet possible pour que les entreprises qui soumissionnent puissent donner un prix juste. En négligeant les phases préliminaires, on réunit les ingrédients susceptibles de créer des conflits sur les chantiers et on ouvre la porte à des litiges éventuels.

JFA : La précision des documents vient aussi avec la coordination. Par exemple, si le plafond suspendu est situé à 3 pieds sous la dalle et que l’équipement mécanique à l’intérieur fait 3 pieds et 6 pouces, c’est qu’il n’y a pas eu de coordination entre les plans mécaniques et l’architecture.

Jean-François Arbour, ing. — Association de la construction du Québec

Il ne faut pas se gêner d’aller chercher l’expertise des entrepreneurs. Ils ont une expertise importante […] quant aux problèmes d’exécution, en termes de faisabilité de construction, d’échéancier et d’évaluation des coûts

— Jean-François Arbour, ing. — Association de la construction du Québec

Gérer les risques

Même avec une bonne planification, il reste une dose d’incertitude et donc des risques. Comment gérez-vous ces risques?

PSO : Il faut constituer un tableau des risques détaillant les risques liés à la conception, à l’approvisionnement, à l’exécution et à la mise en service, et on se laisse une dernière ligne pour l’imprévu de l’imprévu. Pour chaque risque, il faut prévoir une mesure de mitigation, une somme d’argent qu’on pourra utiliser et une personne responsable du suivi du risque. Notre philosophie est de laisser la personne responsable d’un risque le gérer, parce que c’est la mieux placée pour le faire. Ça peut être du côté de l’entrepreneur, des professionnels ou du donneur d’ouvrage. Penser qu’un donneur d’ouvrage peut transférer 100% des risques à un entrepreneur est à mon avis utopique.

JD : Avant de soumissionner, on évalue les risques financiers, les délais de réalisation, les risques techniques et, aujourd’hui, notre capacité de réalisation. Si un client demande un montant forfaitaire pour la surveillance alors que le concept n’est pas encore défini et que nous n’avons aucune idée de la durée des travaux, il y a de fortes chances que nous laissions passer l’opportunité. Il faut éviter de mettre les firmes dans une position où c’est celle qui offrira le moins de service qui obtiendra le mandat. C’est contre-productif. En bonne collaboration avec les clients, on peut demander de fixer un taux horaire pour la surveillance afin de partager le risque sans le transférer entièrement à la firme d’ingénierie.

JFA : Notre décision de soumissionner est fonction du risque. On évalue chacune des étapes et on établit notre table des risques. Il y a les risques financiers et les risques de santé et sécurité. Si le projet est bien coordonné, tout est bien planifié, les professionnels ont eu le temps de faire des plans et devis complets, l’échéancier est réalisable pour les entrepreneurs, le risque est très réduit. Si les documents ne sont pas de qualité, on augmente le niveau de risque. On peut alors voir la situation dégénérer en conflit. Quand cela arrive, tout le monde est perdant, sauf peut-être les services juridiques.

Vu la complexité des projets de construction, il est difficile de tout prévoir à l’avance et d’éviter les embûches sur le chantier. Comment les résoudre au mieux?

JFA : Il faut accélérer le transfert de l’information. En tant qu’entrepreneur, si je vois une situation problématique, je lève le drapeau, et le professionnel ou le maître d’ouvrage ou le client doit voir que j’ai levé le drapeau et engager la discussion pour régler ce problème rapidement. Souvent, on soulève un problème et il n’y a pas de réponse. Il y a aussi des entrepreneurs qui ne lèvent pas le drapeau et qui se disent qu’ils verront ça plus tard. Il faut être capables de se parler, et ne pas oublier que la plupart des problèmes peuvent se régler par un coup de téléphone, une visioconférence par cellulaire ou une visite des professionnels au chantier pour qu’on leur explique la situation.

PSO : Il faut parler ouvertement des problèmes et trouver des solutions. Il faut garder les communications ouvertes pour avoir une discussion dans le respect des individus. Lorsque les relations et la communication entre les différentes parties sont bonnes, il est possible de se parler et de trouver des solutions. C’est le plan de communication qui dit qui parle à qui et quand, qui doit être informé de quoi et qui est responsable de prendre les décisions en cours de route.

Jonathan Duguay, ing. Pluritec

Il faut éviter de mettre les firmes dans une position où c’est celle qui offrira le moins de service qui obtiendra le mandat. C’est contre-productif.

— Jonathan Duguay, ing. — Pluritec

En fin de projet, quelles sont les sources de frictions?

JD : La fin du projet est souvent mal définie. Est-ce que le mandat de la firme finit quand la surveillance des travaux est finie ou est-ce que le client a besoin de la firme jusqu’à la mise en service du bâtiment? Il faut définir la limite des besoins du client envers la firme de professionnels.

PSO : Tout ce qui est mise en service et transfert doit être planifié au début du projet avec les équipes qui vont hériter du projet.

Comment utiliser le Guide de bonnes pratiques?

JFA : C’est un document pour trouver des solutions et les adapter à notre situation, parce qu’il n’y a jamais deux chantiers identiques. Ce n’est pas un guide à regarder une fois et à mettre dans le fond d’un tiroir. Il doit rester sur le coin du bureau, pour qu’on puisse le consulter afin de trouver une solution si un problème se présente.


Pierre St-Onge, ing., est directeur, Projets spéciaux et intégration développement durable, à Aéroports de Montréal.
Jonathan Duguay, ing., est directeur général de la firme d’ingénieurs-conseils Pluritec et président du conseil d’administration de l’Association des firmes de génie-conseil – Québec.
Jean-François Arbour, ing., est vice-président directeur du Groupe Humaco et président du conseil d’administration de l’Association de la construction du Québec.


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