SOS infrastructures : comment s’en sortir

Montréal, le 18 mai 2007 - La lettre « SOS infrastructures ! », parue dans La Presse du vendredi 18 mai 2007 et signée par une liste impressionnante de personnalités, dépeint une situation on ne peut plus vraie. Impossible de l'ignorer : nos infrastructures se dégradent à un rythme inquiétant.

Il s’agit pourtant d’équipements publics essentiels à la santé et à la vie en société. Si les installations publiques – qui valent, au bas mot, des dizaines de milliards de dollars à l’échelle du Québec – continuent à se dégrader sans que nous intervenions, nous devrons les reconstruire à un coût beaucoup plus élevé. « La situation actuelle impose que soit sonnée l’alerte rouge. » Ce sont les termes du collectif de SOS infrastructures et nous y souscrivons. Comment s’en sortir ?

D’abord, il faut comprendre que rien n’est indestructible ni à l’épreuve du temps. Une route, un égout ou un aqueduc – tout comme une maison – doivent être réparés, entretenus ou rénovés pour maintenir leur qualité, prolonger leur vie utile et utiliser au mieux l’argent des contribuables. Cependant, prendre la décision d’investir dans l’entretien d’une route ou la réparation d’un tuyau enterré depuis des décennies n’est pas facile : des travaux de ce genre suscitent peu d’enthousiasme et ne sont pas très populaires. Pour le propriétaire d’une maison, c’est un peu comme refaire la toiture plutôt qu’acheter une télé haute définition. Nécessaire, mais peu intéressant.

En fait, c’est une nouvelle culture qu’il faut instaurer dans les administrations publiques. L’Ordre des ingénieurs du Québec propose des solutions en ce sens. Mais la véritable révolution, c’est d’abord chez nous, citoyens et électeurs, qu’il faut la faire. Il faut accepter, collectivement, d’investir pour maintenir nos infrastructures en bon état, pour continuer à utiliser ce que nous considérons, à tort, comme un acquis payé une fois pour toutes.
Des dettes bien réelles

Avant de passer aux solutions, comprenons bien que le temps et le laisser-aller ont fait leur oeuvre. En 2003, le Conference Board du Canada estimait que 18 milliards de dollars devaient être alloués, en quinze années, pour stopper la dégradation des infrastructures routières et souterraines du Québec. Plus on attend, plus ce coût augmente. Il faudra investir de toute façon, à moins de vouloir se passer de ces équipements.

L’argent n’est pas tout
Quand on examine la situation dans son ensemble, on s’aperçoit que l’argent est dépensé pour pallier les urgences, sans vision d’ensemble, sans plan à long terme. C’est tout un système qui doit être repensé.

En premier lieu, on doit connaître l’état exact des infrastructures ; celui des routes et des équipements de surface, qui sont visibles, mais surtout celui des réseaux souterrains. Quelques villes ont entrepris de s’y attaquer avec sérieux et méthode. Il faut que cela devienne systématique. En fait, tous les grands propriétaires d’infrastructures publiques, y compris les municipalités et le ministère des Transports, devraient avoir l’obligation d’établir un bilan complet de leurs infrastructures.

C’est beaucoup d’information à rassembler et cela exige des ressources. Mais un relevé complet permet de dresser un tableau exact, de connaître les besoins, d’établir les priorités et de dresser un plan d’intervention à long terme. Des indicateurs pourraient même être publiés, pour offrir aux citoyens la possibilité de connaître la situation et pour les aider à évaluer les moyens mis en oeuvre par les élus et l’administration.

Le bilan financier d’une entreprise privée ou publique est préparé par des spécialistes, en vertu de règles et de connaissances bien établies. Il doit en être de même pour le bilan de l’état des infrastructures qui serait préparé sous la direction d’un ingénieur en génie civil.

Les infrastructures ont des durées de vie de l’ordre de plusieurs décennies si elles sont convenablement entretenues. La simple logique commande que les programmes d’entretien et de réfection soient planifiés sur plusieurs années, afin d’effectuer les travaux nécessaires au bon moment. De cette façon, on évite la dégradation et les réparations inutiles, on utilise au mieux l’argent des contribuables et on s’appuie sur les personnes-ressources de la province, ingénieurs, entrepreneurs et autres spécialistes. Idéalement, les budgets devraient refléter une vision à long terme et être établis sur une dizaine d’années. Pour assurer leur pérennité, ils seraient déposés auprès d’une autorité, par exemple le ministère des Affaires municipales et des Régions ou le Conseil du trésor. Ce n’est pas la norme ; en pratique, beaucoup d’administrations ne vont guère au-delà d’un plan triennal.

Favoriser la qualité et l’innovation
Le domaine des infrastructures est réputé pour son conservatisme. Les administrations publiques tendent à s’en remettre à des solutions éprouvées et faciles à mettre en oeuvre. Par exemple, en vertu de la loi, les municipalités sont tenues, lorsqu’elles attribuent des mandats d’ingénierie, d’appliquer des règles qui favorisent les économies lors de la conception, souvent au détriment du coût de réalisation, de la qualité et de la durabilité.

L’Ordre des ingénieurs du Québec propose une série de mesures visant à favoriser l’innovation et une qualité optimale dans les travaux d’infrastructures. Parmi ces mesures, l’Ordre préconise des devis de performance orientés vers les résultats, des engagements à plus long terme de la part des concepteurs, fournisseurs et entrepreneurs responsables des travaux, notamment au moyen de garanties, de contrats d’entretien et de paiements étalés dans le temps, ainsi qu’une révision des modes d’attribution des mandats d’ingénierie et de construction par les municipalités. L’Ordre propose également des programmes de démonstration de technologies, afin de permettre aux fabricants de tester leurs nouveaux produits dans des conditions réelles, sans que les citoyens risquent d’en faire les frais.

De la vision d’ensemble
Les gouvernements ont mis sur pied des programmes et font maintenant d’importants efforts financiers pour remédier à des décennies de laisser-aller. Il faut poursuivre dans cette voie, et consacrer encore davantage de ressources à nos infrastructures. Ce n’est pas une mince affaire quand on connaît les autres priorités, notamment en santé et en éducation, mais nous n’avons guère le choix. Nous nous devons cependant d’investir au mieux cet argent, avec une vision claire, fondée sur un bilan des infrastructures, et à long terme. Il faut également miser résolument sur la qualité, et se donner les moyens d’innover.
Le Québec doit faire en sorte que ses infrastructures urbaines, qui desservent environ 80 % de sa population, soient à la hauteur de celles d’un pays industrialisé. Il y va de l’intérêt public, de l’avenir de notre société et du bien-être des générations qui nous suivent.
Zaki Ghavitian, ing.

À propos de l’Ordre des ingénieurs du Québec
Fondé en 1920, l’Ordre des ingénieurs du Québec regroupe plus de 60 000 professionnels du génie de toutes les disciplines, à l’exception du génie forestier.
Mission
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