26 juillet 2023

Un pont entre deux solitudes

Témoin dans sa carrière du fossé existant entre l’industrie et le monde universitaire, Thierry Lafrance a décidé de créer Mëkanic, une entreprise au service de la communauté scientifique dont l’approche décuple le potentiel d’innovation du milieu universitaire.

 


Cet article s’inscrit dans la collection « Parcours entreprise ».

Par Clémence Cireau  / Photos : Israel Valencia et Didier Bicep


Au cours de sa première année au secondaire, Thierry Lafrance concevait et fabriquait déjà « des bancs d’essai et des prototypes de toutes sortes ». Son rêve : rejoindre la NASA afin de propulser des fusées dans l’espace. Bien qu’il ait mûri depuis lors, son amour pour la conception est resté intact. Après avoir obtenu un baccalauréat en génie mécanique, il a accumulé une précieuse expérience dans une variété d’entreprises industrielles, allant du génie-conseil aux chantiers hydroélectriques, manifestant constamment un intérêt marqué pour les travaux sur le terrain.

Il a finalement rejoint les équipes de Polytechnique Montréal en tant qu’ingénieur de recherche au service de 22 unités de recherche pendant une période de 12 ans. C’est depuis son poste interne d’observation à l’université que Thierry Lafrance a eu l’idée d’un service externalisé qui permettrait d’accélérer considérablement le rythme de la recherche scientifique.

CONTRIBUER À LA MISSION DES UNIVERSITÉS…

Afin de soutenir les chercheuses et les chercheurs dans leurs travaux, Thierry Lafrance a fondé l’entreprise Mëkanic. « Les scientifiques sont des penseurs. Ce sont des individus qui imaginent des concepts, calculent, simulent, analysent, développent des protocoles et font des expériences en laboratoire. Leurs projets sont intrinsèquement risqués, sans garantie de résultats. »

C’est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit de matérialiser leurs concepts, car les scientifiques ont souvent très peu d’expérience de terrain. C’est généralement à cette étape que ça se complique. De plus, les différences de langage, de mentalité et de rythme entre les personnes du milieu de la recherche et celles du secteur industriel ajoutent une autre dimension de complexité à leur collaboration. Pourtant, l’étape de conception est indispensable en recherche expérimentale. En outre, pour obtenir du financement, les chercheuses et les chercheurs doivent démontrer leurs capacités et la faisabilité de leurs recherches.

« Au cours des premières rencontres, je recentre toujours la réflexion autour de la priorité de la collaboration, qui est l’atteinte des objectifs scientifiques. Les autres contraintes, j’en fais mon affaire. » Mëkanic conçoit ensuite sur mesure tout ce dont les chercheuses et les chercheurs ont besoin, dans le budget défini. « Pour nous, tout est possible, à part peut-être la téléportation. »

Mëkanic, c’est en quelque sorte une équipe d’ingénierie de recherche sur demande, qui comprend les besoins du milieu de la recherche scientifique tout en maîtrisant les clés de l’industrie. « On vient accélérer le rythme, rassurer les deux solitudes en créant un rapprochement entre elles », résume Thierry Lafrance, avant de poursuivre : « Notre secret est notre réseau de fournisseurs industriels. Nous connaissons ceux qui sont prêts à nous suivre à travers tous les défis. Tous les chercheurs qui effectuent des travaux expérimentaux ont besoin du service offert par Mëkanic. Ils gagnent un temps fou et publient davantage. L’humanité fait face à l’extinction et nous avons un besoin urgent d’innover et d’accélérer le rythme de la recherche pour trouver demain matin les solutions aux enjeux d’aujourd’hui. Cette accélération rend du même souffle les projets collaboratifs beaucoup plus attrayants pour l’industrie. Sans toutefois négliger la recherche fondamentale, ce rapprochement crée des possibilités qui profitent à l’ensemble des deux communautés. »

«Notre secret est notre réseau de fournisseurs industriels. Tous les chercheurs qui effectuent des travaux expérimentaux ont besoin du service offert par Mëkanic .»

— Thierry Lafrance, ing. — Mëkanic

… ET PRÉSERVER LA SANTÉ MENTALE DES ÉTUDIANTS ET ÉTUDIANTES

À qui revient normalement la prise en charge de la conception? « Aux étudiantes et étudiants diplômés! Mais même avec toute leur bonne volonté, ils manquent d’expérience, commettent des erreurs et subissent une énorme pression. Leur santé mentale est souvent mise à l’épreuve. » Thierry Lafrance affirme même que ce sont les étudiantes et étudiants en recherche expérimentale qui prennent le plus de temps à obtenir leur diplôme. « Le souhait de Mëkanic n’est pas d’évincer ces étudiantes et étudiants, mais plutôt d’en faire des alliés pour leur permettre d’apprendre sans se préoccuper des contraintes d’ingénierie. » L’offre de l’entreprise montréalaise est donc de les intégrer aux phases de design, d’assemblage et de mise en service, et par la même occasion de soutenir le mandat des universités en termes de formation de main-d’oeuvre qualifiée.

Mëkanic a soufflé ses dix bougies en février 2023. Depuis sa création, l’entreprise a réalisé une centaine d’innovations technologiques dans de nombreux secteurs : environnemental, robotique, aéronautique, médical, etc. Deux ingénieurs, un dessinateur et une comptable travaillent à temps plein pour l’entreprise, « chacun bien au chaud dans sa maison depuis le début de l’aventure. On peut dire qu’on était en avance sur notre temps », ironise Thierry Lafrance. Cette petite équipe généraliste et talentueuse est prête à prendre des risques. Le PDG insiste : « On pilote une dizaine de projets simultanément. On est des ingénieurs de brousse, on pilote avec notre instinct grâce à notre vaste expérience. On aime l’aventure, l’équipe carbure à l’adrénaline. »


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