L’attribution de mandats d’ingénierie par les municipalités
Le 28 mars dernier, j’ai écrit au ministre des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire, Monsieur Laurent Lessard, pour lui faire part des préoccupations de l’Ordre des ingénieurs du Québec concernant l’adoption, le 10 décembre dernier, du projet de loi 131 modifiant diverses lois du domaine municipal.
Ce projet de loi a pour effet de ne plus rendre possible l’octroi d’un contrat de gré à gré pour la surveillance des travaux aux ingénieurs-conseils ayant réalisé la conception, un sujet qui touche à la question, plus large, du processus d’attribution de mandats d’ingénierie par les municipalités.
Madame Kathleen Lévesque, journaliste du Devoir, a eu vent de cette démarche, m’a interviewée et a publié un article à ce sujet le 6 avril, suivi de deux autres, les 9 et 13 avril, où elle fait référence à notre intervention. À la suite de ces articles, nous jugeonsessentiel, à l’Ordre, de bien faire comprendre le sens de notre intervention auprès du ministre. J’affirme d’emblée que la démarche de l’Ordre vise l’intérêt public, c’est-à-dire la capacité pour les municipalités et leurs citoyens d’obtenir des infrastructures durables et de qualité à un prix juste et raisonnable.
L’objectif du gouvernement est d’obtenir les meilleurs prix pour la surveillance en recourant à la compétition. Nous le comprenons très bien et cet objectif est légitime. Mais en procédant de cette manière, il cause davantage de problèmes qu’il n’en règle. Je m’explique.
D’abord, il faut comprendre à quoi sert la surveillance des travaux et pourquoi elle est essentielle. La surveillance vise deux objectifs. Premièrement, s’assurer qu’un ouvrage est construit conformément aux plans et devis préparés par les ingénieurs, donc qu’il est sécuritaire et intègre. Inutile, je pense, d’insister sur le risque que représente pour le public une structure ou un ouvrage mal construit. Deuxièmement, faire en sorte que tous les changements effectués en cours de construction soient revus avec les ingénieurs concepteurs afin de s’assurer que l’ouvrage demeure intègre tout en respectant les besoins formulés par le client. Ces changements sont habituellement nombreux, parce qu’il est impossible de tout prévoir à l’avance et que les conditions de réalisation des travaux nous réservent souvent des surprises. Cela oblige les ingénieurs concepteurs à revoir leurs plans et à refaire leurs calculs. Il est donc essentiel qu’ils soient impliqués dans la surveillance.
Avec les nouvelles règles, il arrivera deux choses. Soit l’ingénieur soumettra un prix pour la conception et la surveillance, soit la municipalité ira en appel d’offres séparé pour la surveillance, avec le risque que le concepteur soit écarté au profit d’un autre ingénieur. Or, ce n’est pas une bonne idée ni dans un cas ni dans l’autre.
Dans le premier cas, l’ingénieur devra soumettre un prix pour la conception et la surveillance. Le problème est que le coût de la surveillance est très souvent difficile à déterminer avant la conception, car il dépend étroitement des solutions et des technologies qui seront retenues. Comme le prix le plus bas l’emporte généralement, les budgets de surveillance seront calculés au plus serré et sur la base d’approximations. Ils risquent donc d’être insuffisants, ce qui pourrait mener à des activités de surveillance tronquées, ou encore à des dépassements de coûts.
Procéder à un appel d’offre séparé pour la surveillance n’est pas un meilleur choix. Le concepteur risque de ne pas être impliqué dans le mandat de surveillance. L’ingénieur qui obtiendra le mandat devra alors se familiariser avec un concept développé par d’autres, ce qui prendra du temps et augmentera les risques d’erreurs, sans compter les problèmes liés à la responsabilité professionnelle. Dans les deux cas, les citoyens seront les perdants.
Revoir le processus d’appel d’offres dans son ensemble
Pour l’Ordre, c’est tout l’ensemble du processus d’appel d’offres pour les services d’ingénierie dans les municipalités qu’il faut revoir, globalement et non à la pièce comme on le fait actuellement. Les municipalités sont les seuls organismes gouvernementaux du Québec à encore utiliser une formule privilégiant le prix, le plus souvent au détriment de la qualité.
De nombreux organismes publics ont adopté des approches privilégiant la qualité tout en contrôlant rigoureusement les prix. De biens meilleures pratiques existent au Québec, au Canada et ailleurs dans le monde. Pourquoi ne pas s’en inspirer ?