, 3 mai 2022

Industrie 4.0 : des robots pour collègues ?

La collaboration entre humains et robots suscite un grand intérêt en entreprise. Si elle offre de nombreux atouts, l’intégration de cette technologie comporte aussi des risques, notamment en ce qui a trait à la santé et à la sécurité du travail.

Cet article s’inscrit dans le dossier « Industrie 4.0 ».
Par Brigitte Trudel


Ce n’est pas d’hier que les robots ont leur place en entreprise. La robotique industrielle classique a démontré son utilité grâce au concours d’imposants robots capables de soulever des charges énormes comme de fonctionner très rapidement.

L’industrie 4.0 nous amène plus loin en ouvrant la porte de la coactivité humains-robots dans un même espace de travail. « L’humain est reconnu pour trouver des solutions intelligentes à des situations ambiguës, décrit Sabrina Jocelyn, ingénieure et chercheuse en sécurité des machines industrielles à l’Institut de recherche RobertSauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST). Quant au robot, il se distingue par ses capacités de précision, de performance et de puissance. L’idée derrière la conception de robots capables de travailler avec des humains (aussi appelés robots collaboratifs ou, dans le jargon, cobots), c’est d’allier ces deux profils. Avec les robots collaboratifs, on se propose d’alléger la tâche des humains et de leur éviter les opérations répétitives, tout en gagnant en fluidité, en productivité et en flexibilité. »

Dans l’industrie, la popularité du concept est exponentielle. « De 2017 à 2020, la place de la robotique collaborative y a doublé, passant d’environ 3 à 6 % selon l’International Federation of Robotics », ajoute l’ingénieure.

Plusieurs manières de collaborer

Les humains et les robots qui partagent un même espace de travail peuvent collaborer de différentes manières. Sabrina Jocelyn note que la littérature scientifique actuelle relève quatre façons de collaborer avec le robot.
Dans le premier cas, le robot et l’humain réalisent des tâches (d’assemblage, par exemple) en intervenant simultanément sur la même pièce. Dans un autre modèle, ils interviennent sur une même pièce, mais de manière séquentielle. Troisième option : l’humain et le robot exécutent des tâches différentes, mais leur espace de travail est tout de même partagé. Enfin, il existe des situations où chacun travaille de son côté tout en s’approchant l’un de l’autre occasionnellement.

Cela dit, quelle que soit la forme que prend la collaboration entre humains et robots, le fait qu’ils évoluent dans une zone partagée ne vient pas sans risques.

« En robotique traditionnelle, on prévient les risques notamment par des enceintes de protection (cages de protection) qui séparent les robots des humains, rappelle la chercheuse. Cette méthode devient inapplicable quand la collaboration entre l’humain et le robot est nécessaire. Il faut alors mettre en place d’autres solutions si l’évaluation des risques le permet. »

Chocs, brûlures et autres

Quels sont les risques auxquels font face les travailleurs et travailleuses qui collaborent avec les robots ? « Il y a, bien sûr, les risques inhérents à la conception du robot et liés à la source d’énergie qui l’anime, répond Sabrina Jocelyn. On parle alors de risques de diverses natures, mécanique ou électrique. »

Avec les robots collaboratifs, on se propose d’alléger la tâche des humains et de leur éviter les opérations répétitives,tout en gagnant en fluidité, en productivité et en flexibilité.

— Sabrina Jocelyn, ing. — IRSST

Parmi les risques mécaniques, les risques d’impacts sont sans doute les plus importants, précise l’experte. Il peut s’agir de chocs, d’écrasements, de pincements. « Il ne faut pas oublier que les robots comportent, par exemple, des bras ou des pinces qui, par un effet de ciseaux, sont susceptibles de causer ce genre d’accidents. »

À cela s’ajoutent les blessures induites par le contact avec des pièces dangereuses manipulées par des robots, par exemple du métal en fusion. Les brûlures font donc partie des dommages possibles, de même que les intoxications par les vapeurs émanant d’un procédé.

En outre, même si les robots viennent au secours des humains en se chargeant des tâches répétitives, cela n’élimine pas pour autant les dommages d’ordre musculosquelettique. « Ils peuvent être dus à des contraintes physiques dans le partage de l’espace, indique Sabrina Jocelyn. Également, un robot à guidage manuel dont l’installation n’est pas adaptée à la personne qui le manipule peut occasionner à cette dernière des douleurs au poignet, au bras, au dos. »

À tous ces risques physiques s’ajoutent des problèmes d’ordre psychosocial telles la surcharge, la fatigue, la sensation d’isolement que peuvent expérimenter les travailleuses et travailleurs. « Oui, les robots sont là pour soulager les humains et ils apportent de nombreux avantages, affirme la chercheuse. Mais leur présence augmente la cadence de production si elle n’a pas été pensée adéquatement, ce qui peut causer stress et anxiété chez les travailleurs et travailleuses. Ceux et celles qui passent l’entièreté de leur quart de travail en compagnie de robots ressentent parfois un sentiment d’isolement. Avoir la certitude d’occuper un environnement suffisamment sécuritaire devient alors primordial. »

Des solutions sécuritaires

Considérant tous ces aspects, quels moyens doit-on mettre en place en entreprise pour assurer une sécurité optimale ? Du point de vue de la norme ISO 10218-2:2011 en matière de sécurité en robotique industrielle, Sabrina Jocelyn énumère quatre méthodes de protection recommandées pour l’intégration des robots appelés à collaborer avec l’humain. Ces méthodes peuvent être utilisées seules ou en combinaison.

La première, l’arrêt nominal de sécurité contrôlé. Cette méthode consiste à arrêter le robot dès qu’une présence est détectée dans la zone protégée. Lorsque l’humain sort de la zone, le robot se remet en fonction soit automatiquement, soit par autorisation de l’humain.

La seconde, le guidage manuel. Il s’agit d’un dispositif par lequel l’opérateur fait part de son intention de mouvement au robot. S’il n’est pas dirigé par ce dispositif, le robot seul ne peut rien faire.

Les deux autres méthodes de protection recommandées sont réglables à partir de programmes inclus dans les robots. Leurs paramètres doivent être configurés à l’étape de leur installation en milieu de travail.

La troisième méthode s’appuie sur le contrôle de la vitesse et de la distance de séparation entre l’humain et le robot. Le port de capteurs par chacun est un moyen de mettre en œuvre cette méthode. « Le but ici est de protéger l’humain en lui évitant les contacts avec le robot, explique Sabrina Jocelyn. La programmation permet de configurer une distance sécuritaire entre eux deux. Dès que cette distance minimale est violée, tout arrête. »

« La quatrième méthode vise à diminuer les risques par la limitation de la puissance et de la force du robot, poursuit l’ingénieure. Donc, dès qu’il y a contact entre l’humain et le robot, ce dernier inverse son mouvement ou s’arrête. Une conception mécanique adéquate peut aussi contribuer à limiter la pression résultant de la force de contact entre le robot et l’humain ou l’énergie dégagée s’il y a un impact. On peut par ailleurs privilégier des arrondis pour les articulations du robot plutôt que des arêtes vives, ou encore des bras robotisés coussinés d’un matériau absorbeur d’énergie. »

Dans la prochaine version de la norme ISO 10218-1, les méthodes 2 à 4 concerneront aussi la conception du robot collaboratif. Au moins une des méthodes 2 à 4 devront être présentes intrinsèquement dans ces robots pour satisfaire à l’ensemble des futures normes en la matière.

Dans un monde idéal, indique Sabrina Jocelyn, plutôt que de provoquer un arrêt complet du robot, on devrait pouvoir modifier sa trajectoire ou ralentir son mouvement. « Cette approche plairait davantage en entreprise parce qu’elle altère moins le débit de production. En revanche, pour ce qui est de la sécurité fonctionnelle de cette approche, tout n’est pas au point, entre autres en ce qui concerne les dispositifs de sécurité basés sur la vision.

Un dispositif de vision de fiabilité reconnu au sens des normes sur la sécurité fonctionnelle (par exemple CEI 62061 ou ISO 13849) permettrait à l’humain de se passer du port de capteurs servant à calculer la distance de séparation. Développer les algorithmes fiables qui détermineraient la chorégraphie adéquate des déplacements humains-robots sans interruption nécessite encore beaucoup de recherche. Entretemps, la prudence est de mise. »

Technique et bonnes pratiques

Il existe donc des solutions normatives aux défis de sécurité que comporte la coactivité humains-robots. Toutefois, elles ne se suffisent pas en elles-mêmes. Pour être réussie, l’intégration de ces technologies doit relever d’une démarche organisationnelle qui débute bien avant l’implantation des robots, insiste Sabrina Jocelyn. D’abord, une solide analyse des besoins est essentielle. Au cours de cette étape, il est impératif que les opérateurs concernés puissent s’exprimer. Quels sont les défis auxquels ils font face dans l’accomplissement de leurs tâches ? En quoi ont-ils besoin d’être assistés ? Quelles sont leurs appréhensions ?

Ces échanges sur les meilleurs procédés doivent avoir lieu dès le début et tout au long du processus. Une fois les robots implantés, des activités de formation et des suivis sont nécessaires. Il est également important de prévoir une période d’essai pour vérifier si le robot répond aux besoins et pour procéder aux ajustements requis, le cas échéant.

« Il faut garder en tête que l’appréciation des risques que comporte l’interaction humain-robot en entreprise se trouve à la croisée des chemins entre l’ingénierie, la biomécanique, l’ergonomie, résume l’ingénieure. Toutes ces expertises sont concernées dans la mise en place de solutions qui assurent la sécurité des travailleuses et des travailleurs. Sur ce plan, il n’y a pas de compromis à faire. »

Pour conclure, Sabrina Jocelyn souligne que, lorsqu’elle est réussie, la collaboration humains-robots procure beaucoup de satisfaction au sein des organisations. « Celles-ci reconnaissent les avantages du point de vue de la rentabilité, et de plus, selon une étude réalisée avec des collègues de l’IRSST et de l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS, France), les opérateurs eux-mêmes disent qu’ils en ressortent gagnants ».