, 4 July 2023

Clément Gosselin, ing. : Le professeur qui écoute les équations

Clément Gosselin, ing., chef de file de la robotique internationalement reconnu, obtient le Grand Prix d’excellence 2023, la plus haute distinction de l’Ordre des ingénieurs du Québec pour l’ensemble de sa pratique professionnelle. Ce professeur, qui enseigne au Département de génie mécanique de l’Université Laval, puise une partie de son inspiration dans les équations et les lois de la physique pour créer des innovations au service des humains.

Cet article s’inscrit dans la collection « Génie à la une ».
Par Pascale Guéricolas, photos : Jonathan Robert


 

Visiter le Laboratoire de robotique de l’Université Laval en compagnie de son fondateur Clément Gosselin, c’est un peu remonter le fil de ses inventions des 35 dernières années. Sur une grande table, tiens voilà son œil agile créé dans les années 1990, qui a donné lieu à plusieurs applications. Un peu plus loin, voici le modèle réduit de son préhenseur conçu pour le bras spatial canadien. Sans parler des dernières avancées, insérées dans les énormes portiques utilisés en usine pour des robots assistant notamment les personnes travaillant dans les usines de GM.

En 1989, rien de tout cela n’existait. Cette année-là, le jeune ingénieur fait son entrée à l’Université Laval comme professeur au Département de génie mécanique, après avoir fait un baccalauréat en génie mécanique à l’Université de Sherbrooke, un doctorat à l’Université McGill sous la direction d’un des plus grands roboticiens de l’époque, puis un stage post-doctoral en Europe. « J’ai commencé seul dans mon bureau, avec une feuille de papier », se souvient le chercheur.

Patiemment, ce passionné des robots depuis sa dernière année de baccalauréat trace son chemin dans un domaine en pleine expansion, celui des robots parallèles. À la différence des robots sériels, cette technologie permet de disposer d’une plus grande charge utile et d’une plus grande vitesse. Comment ? En n’alignant pas les moteurs l’un à la suite de l’autre pour faciliter leur mobilité, ce qui ajoute du poids, mais en montant des structures parallèles, un peu à la manière d’une main qui dispose de plusieurs doigts pour agripper un objet.

Vive l’intelligence mécanique!

Quelques années après avoir fondé le Laboratoire de robotique, qui compte aujourd’hui quatre professeurs et une trentaine de chercheuses-étudiantes et chercheurs-étudiants ainsi que des professionnelles et professionnels de recherche, le chercheur et son équipe font une avancée majeure concernant les mains robotiques. À cette époque, ces structures s’avèrent très complexes car les personnes qui les conçoivent multiplient les moteurs pour faciliter leur mobilité. Le jeune chercheur prend, lui, une autre direction. Il mise plutôt sur l’excellence du design et l’exploitation des principes de base de la mécanique. Il tient pour acquis que toutes les mobilités ne seront pas contrôlables, mais que la main robotique va s’ajuster. Ce concept, qu’il baptise l’intelligence mécanique, guide encore aujourd’hui les recherches menées par son laboratoire.

Cette avancée majeure propulse le laboratoire dans la cour des grands. En 2008, trois étudiants diplômés de son équipe fondent Robotiq en utilisant une des technologies articulées. Quinze ans plus tard, cette entreprise fait partie de la courte liste des 50 compagnies les plus influentes en robotique, aux côtés d’Amazon et de Google.

 

J’adore apercevoir dans les yeux de mes étudiantes et étudiants un signe montrant que quelque chose les a touchés. C’est un des privilèges de faire ce métier-là.

Clément Gosselin, ing. — Université Laval

Créer avec les maths

Aujourd’hui, les articles de ce détenteur d’une quarantaine de brevets en robotique inspirent les chercheurs et chercheuses du monde entier. Clément Gosselin indique qu’il n’a pourtant rien d’un bricoleur compulsif. Pour tout dire, il ne montait pas frénétiquement des mécanos dans sa chambre quand il était enfant. Non, l’aventure robot a pris une autre voie chez ce matheux avoué. « Au cégep, les équations différentielles me fascinaient, raconte-t-il. C’est vraiment là que j’ai pris intérêt aux simulations qui permettent de mettre en action les réactions par rapport aux lois mécaniques. »

À la blague, Clément Gosselin dit que « les équations mathématiques lui parlent », car elles lui permettent de prédire certains comportements, que l’on vérifie ensuite dans les simulations, puis dans les prototypes. Cette passion pour un univers très théorique, il l’éprouve aussi pour la musique baroque, en particulier pour l’œuvre de Bach. Joueur de saxophone classique, le professeur Gosselin apprécie l’équilibre parfait, bien imbriqué du compositeur. Grand amateur de concert, il aime aussi l’opéra, l’expression de la voix la plus développée, selon lui.

Qu’on se le dise, cet officier de l’Ordre du Canada – qui a reçu un Award of Merit, la plus haute distinction de la Fédération internationale pour la théorie des machines et des mécanismes (IFToMM) –, également fellow de la Société américaine des ingénieurs en mécanique, carbure à l’humain. Ses recherches portent essentiellement sur la façon dont la machine peut alléger le travail qu’effectuent certaines personnes ou le faire à leur place.

Des robots au service des humains

Son œil agile, équipé en 1994 d’une mini-caméra dont le rayon d’action se déplace beaucoup plus rapidement que la vision humaine, a servi à développer des poignets de robot ou des dispositifs pour la réadaptation de la cheville. Une entreprise des Pays-Bas a même repris ce concept pour produire une nouvelle version en 2018 pour manipuler des lasers. Plusieurs des inventions conçues au Laboratoire de robotique trouvent aussi leur application dans des mécanismes d’assistance robotisés, utilisés dans les usines d’assemblage du constructeur automobile GM.

« Il y a 20 ans, on se demandait si nos robots risquaient de priver les gens d’emplois, rappelle Clément Gosselin. Aujourd’hui, il s’agit surtout de créer des technologies qui aident les humains à cohabiter avec ces mécanismes en toute sécurité, et de réduire le plus possible le stress ergonomique. » Le chercheur cite, par exemple, les recherches menées par son laboratoire pour permettre d’installer rapidement et sans effort un tableau de bord dans un véhicule avec l’aide d’un assistant robotisé.

La main robotique sous-actionnée, mise au point il y a quelques années par son équipe, a aussi une fonction sécuritaire. Elle sert notamment à décontaminer un site de déchets nucléaires situé en Grande-Bretagne, où s’accumule du matériel depuis les années 1940. L’Université Stanford a aussi repris ce concept pour réaliser Ocean-One, un robot sous-marin qui explore des épaves et récupère des artéfacts.

Une main mécanique pour nourrir les québécois

Mais ce qui passionne aussi le chercheur actuellement, en plus des travaux menés pour l’assemblage automobile, ce sont les avancées dans le domaine de l’agriculture. « Les robots vont peut-être arriver à suppléer au manque de main-d’œuvre dans les champs, et contribuer ainsi à nourrir la population avec des produits locaux », explique-t-il. Des travaux de sarclage, ou même la récolte de fruits et légumes, deviennent possibles grâce à des mécanismes de plus en plus sophistiqués sur le plan de la dextérité et de la préhension.

Très investi dans la recherche, ce chef de file du secteur de la robotique reconnu par ses pairs a publié plus de 700 articles scientifiques. Il ne néglige pas pour autant sa carrière d’enseignant : il donne des cours aux trois cycles universitaires, et encadre plusieurs étudiantes et étudiants diplômés chaque année. « Au début de ma carrière, ce sont surtout mes projets qui m’intéressaient, reconnaît le professeur. Au fil du temps, ma vision a changé. J’adore apercevoir dans les yeux de mes étudiantes et étudiants un signe montrant que quelque chose les a touchés. C’est un des privilèges de faire ce métier-là. »

Clément Gosselin souligne que même après plusieurs décennies à donner des cours comme celui qui porte sur la dynamique, il arrive que des questions ou remarques d’étudiants ou d’étudiantes contribuent à changer certaines de ses perspectives sur la matière. Cette ouverture au regard de l’autre, Clément Gosselin la cultive aussi au sein du Laboratoire de robotique, qui dispose d’un grand espace ouvert où les membres de l’équipe travaillent ensemble. « Dans la recherche, il ne faut pas négliger les interactions humaines », remarque-t-il. À l’entendre, les meilleures idées ne naissent pas forcément au cours des réunions formelles par visioconférences, mais souvent d’échanges spontanés. Pas de doute, le titulaire du Grand Prix d’excellence 2023 mise toujours sur l’humain plutôt que sur la technologie !

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