23 avril 2011

Le remplacement du Pont Champlain : un enjeu électoral ?

Montréal, le 23 avril 2011 - Nous vous invitons à prendre connaissance de la lettre publique de Mme Maud Cohen, ing., présidente de l'Ordre des ingénieurs du Québec.

On parle beaucoup, dans le cadre de l’actuelle campagne électorale fédérale, du remplacement du pont Champlain. Un investissement de plusieurs milliards de dollars dans une infrastructure publique constitue assurément une promesse électorale alléchante. Normal, me direz-vous ? Non ! Il n’est absolument pas normal que le remplacement de cet ouvrage
essentiel soit devenu un enjeu électoral.

Avant d’élire un parti, nous élisons un gouvernement, un gestionnaire public dont on attend qu’il soit compétent et responsable. Or, n’importe quel gestionnaire compétent et responsable peut conclure, à partir des rapports qui lui sont faits, que l’ouvrage actuel est en fin de vie. Son remplacement ne constitue pas un choix, comme la construction d’un complexe sportif ou d’une nouvelle route, mais une nécessité indiscutable et incontournable. Tout gouvernement responsable doit s’engager à reconstruire le pont Champlain. Point à la ligne.

Un ouvrage dégradé

Le pont Champlain est le plus achalandé au Canada. C’est un ouvrage essentiel, non seulement pour la grande région de Montréal, mais aussi pour le Canada. C’est le principal lien routier vers les provinces maritimes, ainsi qu’un axe stratégique vers l’est des États-Unis. Le trafic lourd et surtout l’utilisation massive de sels de déglaçage l’ont prématurément dégradé, au point qu’il est impossible de le réhabiliter de manière durable. Dès lors, comme il est hors de question que ce lien soit interrompu, il faut le reconstruire en assurant la continuité du service.

Le gestionnaire du pont, la Société Les Ponts Jacques-Cartier et Champlain incorporée, assure être en mesure de maintenir l’ouvrage en condition sécuritaire pour encore dix années et applique un programme d’intervention et d’entretien ainsi que des sommes importantes à cet effet. L’Ordre des ingénieurs du Québec est convaincu que la Société assume très sérieusement son rôle et qu’elle n’hésitera pas à interrompre la circulation en cas de doute.

Le temps presse

Nous avons donc dix années devant nous, au terme desquelles le nouveau pont devra être pleinement opérationnel. Dix années qui ne seront pas de trop pour définir le projet, faire les choix de transport collectif entre la Rive-Sud et le Grand Montréal, s’entendre sur le financement, concevoir l’ouvrage, aller en appel d’offres et le construire tout en modifiant les approches routières et les liens de transport collectif, pour finalement mettre le nouvel ouvrage en service avant de démolir le pont actuel.

Dix années, c’est un délai que nous ferions bien de prendre très au sérieux. L’échangeur Turcot, sur lequel nous devons limiter la circulation pour une durée indéterminée, nous montre ce qui peut survenir quand on veut prolonger trop longtemps la vie d’un ouvrage vieillissant. Les risques liés à la sécurité sont bien contrôlés. Par contre, le coût économique associé à la fermeture partielle d’un ouvrage stratégique risque d’être très élevé.

Dix années, c’est d’autant plus court qu’un nombre record d’intervenants doivent s’entendre : trois niveaux de gouvernement, incluant plusieurs municipalités de Montréal et de la Rive-Sud, sans compter une pléthore d’autres organismes. L’interminable saga du CHUM nous montre bien qu’un processus de décision public peut sérieusement s’enliser. Un écueil que nous devons absolument éviter.

Il faut dès maintenant que les deux niveaux supérieurs de gouvernements fassent preuve de leadership, s’entendent et rassemblent les participants avec cet objectif incontournable : un nouvel ouvrage opérationnel dans dix années. À cet effet, la création d’un bureau de projet par le gouvernement du Québec est un premier pas dans la bonne direction.

Faire des choix durables

Le triste sort de l’ouvrage actuel, bon pour la casse après seulement cinquante ans de service, donne sérieusement à réfléchir. L’ouvrage est impossible à réparer, une erreur qu’il nous faut à tout prix éviter de refaire. Il faut tabler sur une durée de vie largement supérieure à un siècle, au demeurant courante pour un tel ouvrage, et le concevoir pour qu’il puisse être réhabilité en cours d’utilisation.

Mais la notion de durabilité prend ici une signification beaucoup plus large. Faire des choix durables, cela signifie également concevoir l’ouvrage en fonction d’une vision évolutive du transport des personnes et des marchandises, une vision qui intègre d’emblée le transport collectif. Une vision qui doit être établie et partagée par tous les acteurs présents.

Au-delà d’un défi technique, le remplacement du pont Champlain s’annonce d’abord comme un défi social et logistique. Un défi à notre mesure, mais qu’il faut relever dès maintenant en étant bien conscients que le temps nous est compté.